Devoir de Philosophie

Les Animaux Malades De La Peste- Jean De La Fontaine

Publié le 16/10/2010

Extrait du document

fontaine

 

 LES  ANIMAUX  MALADES  DE  LA  PESTE

 

   « Les Animaux malades de la peste « est la première fable du livre VII, qui ouvre le deuxième recueil des Fables. Publié 10 ans après le 1er, en 1678, le talent de la Fontaine se décline ici dans des textes généralement plus longs, ce en quoi il s'éloigne de ses modèles que sont les fables d' Esope et de Phèdre, qui elles se limitaient à quelques phrases. On s'accorde généralement à dire qu'il leur donne, dans ce second recueil, un  tour plus philosophique.                                                                                La réception fut plus mitigée que lors de la publication des premiers livres moins graves et moins doctes. Mais la postérité en jugera autrement, préférant cette partie, peut-être moins apparemment séductrice, mais tellement riche en sens.

 

   La Fontaine définit son œuvre comme une vaste pièce de théâtre, ayant pour décors l'univers tout entier, pour acteurs toutes les créatures vivantes qui le peuplent, et pour action celle représentées dans chacune des fables, comme il l'écrit dans la 1ère fable du livre V: « ... «

 

   « Les Animaux malades de la peste « est à l'origine une fable ancienne provenant d'une tradition médiévale. La Fontaine y ajoute « le tribunal des animaux «, et sa langue savoureuse...              Débutant le deuxième volet des Fables, elle possède une place symbolique et emblématique.

 

   L'histoire, donc, se passe chez les animaux. La peste  faisant des ravages dans leurs rangs, le Lion propose de sacrifier le plus coupable des leurs pour expier, et se libérer de cette tragédie. « ... «

 

Comment interpréter la morale de cette fable construite comme une pièce de théâtre?

 

 La construction et le jeu scénique évoquent une une pièce de théâtre, à la fois savoureuse et tragique-avec des personnages finement dessinés-  Tout est mis en œuvre par La Fontaine pour offrir à ses lecteurs une critique acerbe de la justice et du pouvoir...

 

Une fable menée comme une pièce de théâtre tragique:

 

  Dès la scène d'exposition ,   la structure théâtrale de cette fable-pièce est fortement marquée.  La situation est campée en quelques vers, du vers 1 au vers 14. La notion de drame est mise en exergue dès les premiers mots avec la répétition du terme « mal « et des mots: terreur, fureur, punir les crimes, la Peste avec un « P « majuscule qui personnifie quasiment ce grand mal qui « faisait aux animaux la guerre «.        La Peste est bien sûr le terme clé, il est rejeté au troisième vers, après une gradation pressante de termes inquiétants, pour souligner l'état d'urgence qu'elle provoque et                                     en sachant qu'elle impressionnera fortement le lecteur de l'époque, à qui cette maladie fait peur.        Le lecteur perçoit le désastre.                                                                                                                   L'auteur utilise une allégorie issue de la mythologie grecque, évoquant l'Achéron vers 5  « ... «  -le fleuve des Enfers- où le passeur s'enrichit par l'obole que chaque âme doit lui payer.

 

    L'auteur  continue sa description en s'attachant de plus près à ce que vivent les personnages, la répétition de l'adjectif indéfini « tous « dans le vers 7:  « ... «                                                  montre que toutes les classes de la société sont touchées.  La vie sociale est plongée dans un coma: on le perçoit grâce à l'accumulation de termes négatifs: « On n'en voyait point «, « nul mets «, « ni loups ni renards «...  On voit que  chacun évite l'autre, même les tourterelles, qui sont pourtant le symbole de l'amour et de la fidélité...

 

   A la lecture du texte, les sons sont durs, inquiétants, avec les allitérations en « r «:  « qui répand la terreur (…) en sa fureur «. L'emploi de rimes masculines pour ces mêmes vers (1 et 2) renforcent cette impression de dureté.

 

   Le  déroulement  de la fable peut ensuite nettement être découpé suivant les étapes d'un drame, en Actes    progressant vers le dénouement, de cette manière:

 

         (Le 1er Acte est composé de la scène d'exposition)

 

         2ème Acte du vers 15 au vers 33: Le discours du Lion

 

          3ème Acte du vers  34 au vers 48: La parole du renard et des courtisans

 

         4ème Acte du vers 49 au vers 54: l'intervention de l'âne

 

          5ème Acte du vers 55 à la fin: Le jugement des animaux et la morale

 

   Cette fable est un texte dialogué, les personnage s'expriment. Ces personnages se retrouvent plus ou moins fréquemment dans les fables, un peu comme des acteurs principaux. Dans les 113 fables du Livre II on trouve 11 fois le Renard, 7 fois le Lion, 3 fois l'Ane et 3 fois également l'Ours. Tout ces héros forment un répertoire de rôles, mais ils peuvent tout à fait muer selon les fables. Ils ne sont pas de simples incarnations de concepts, mais ils sont dotés d'une vie propre.                                                     La lecture allégorique nous amène bien évidemment à transposer cette ménagerie dans notre humanité.

 

    Cette situation dramatique avec cet alibi terrible qu'est la Peste, les personnages puissants et le chœur de malveillants, ce personnage noble et pur qui périra, victime de forces terribles -injustes et qui le dépassent-, cette mort suggérée mais inexorable, les dialogues... C'est bien au registre du  théâtre tragique  que cette fable nous renvoie. Elle évoque le théâtre grec, et on peut la mettre en parallèle avec l'Œdipe roi  (430-415 Av. JC) de Sophocle, où Thèbes est ravagée par la Peste car elle détient entre ses murs le coupable de la mort du roi Laïos.  Sa condamnation permettrait de libérer la ville du châtiment divin, et Œdipe recherche des informations sur le crime, pour percer le mystère.

 

   Plus concrètement, concernant la Peste, c'est une épidémie redoutée qui reçoit souvent des remèdes irrationnels. Au 17ème siècle encore, les médecins parlent d'humeur peccamineuse « de la nature du pêché « pour cette ma ladie. Maladie qui fit ravages et qui était en réalité généralement transmise par les puces.

 

Des personnages bien campés:

 

   Dans cette fable les personnages ont une réelle personnalité, et un rôle, porté par des dialogues subtils. La rhétorique est au service du puissant, et le discours du   Lion  est très habilement mené. Son hypocrisie se perçoit dès les premiers mots qu'il énonce: « Mes chers amis «, sur un ton que l'on peut supposer paternaliste, or le Roi s'adresse bien sûr à ses sujets, pas à ses amis, il est le Maître absolu, il est libre de mener le discours comme il l'entend.

 

Il commence tout d'abord, dans les vers 16 à 19, par évoquer la loi divine qui régit la vie, plaçant son discours au dessus de tout soupçon, de tout arbitraire, comme inspiré directement du Ciel qui parlerait à travers lui: « ... «

 

Il évoque l'Histoire pour justifier encore son propos, au vers 21:  « ... «

 

Puis il se met à user d'ironie en s'accusant lui même d'une manière quelque peu excessive, et amusée, en utilisant un niveau de langue léger, vers 25 et 26     « ... «

 

Il est tout à la fois prolixe, quand il raconte ses méfaits, et dissimulateur l'instant d'après.                                           On remarque de quelle manière il passe sur l'épisode du Berger, dont le nom ne vient que rejeté à l'extrême fin de son propos, assombrissant le discours avec une note franchement inquiétante: « ... «  (passage des vers 25 à 29).

 

   A la fin, le Lion produit un effet d'annonce     « Je me dévouerais donc, s'il le faut ;« ( vers 30)  Les animaux-courtisans savent, bien sûr, qu'il n'en est pas question, et que ces propos sont ''pour la forme''.    Puis le Lion conclut en laissant aux autres personnages la place de s'auto-accuser.

 

   Le  renard  intervient de la manière la plus flatteuse qui soit, évoquant le « bon Roi «, scrupuleux, plein de « délicatesse « (vers 34 et 35), et évitant habilement par là-même de s'accuser. Il tourne son propos pour rendre minimes et même transformer les actes répréhensibles du Lion en actions tout à fait justifiées, voire bénéfiques. (vers 37 et 38)   « ... «.                                                                     On peut voir dans ce personnage un courtisan bien placé ou même un conseiller du Roi.                        Il parle même de « péché « pour appuyer sur le fait que l'action du Roi n'en serait pas un, les moutons méritant leur sort.  Les sons en « ss «, qui évoquent le dangereux serpent qui susurre, sont tout à fait représentatifs de la personnalité du Renard, vers 34 et 35       « ... «.

 

   L'intervention du Renard réside sur des non-dits: il s'exprime avec force conviction et détails pour faire oublier ce qu'il souhaite dissimuler. Il est lui aussi maître dans l'art de manipuler par le discours.

 

   On entend le chœur des courtisans se joindre sans tarder aux propos du Renard, dès qu'il a terminé sa performance:  vers 43      « ... «

 

Personne n'ose accuser les personnages puissants: le Tigre, l'Ours et autres grosses bêtes qui représentent les aristocrates ...                                               Puis arrive l'Ane,   l'atmosphère générale semble alors plutôt détendue et sereine:  vers 47- 48    « ... «.    L' assonance en « in « donne une petite note légère et amusante au passage..

 

    Une notion de modestie est introduite dans la manière qu'a  l'Ane d'apparaître dans la scène: « L'Ane vint à son tour «   (vers 49).   Il est naïf, et se confie en toute confiance, dans un discours où les assonances en « i « et en « en «, autrement dit en « hi-han « le rendent un peu ridicule, des vers 49 à 54  (c'est à dire tout le discours de l'Ane):    « ... «

 

L'Ane s'exprime donc en toute franchise, ce qui est symbolisé par l'expression « parler net « ce qui, bien sûr, ne viendrait  à l'esprit d'aucun des autres personnages.

 

Il est celui qui n'inspire de crainte à personne, qui ne s'est pas non plus méfié, il est le bouc émissaire idéal.

 

Une scène (saine) critique de la société de l'époque

 

   Le renard, et surtout le Lion, n'avaient pas hésité à utiliser des allusions religieuses dans leurs discours, mais le Loup, quant à lui, représente directement dans la fable  l'ordre religieux (vers 56): « Un loup quelque peu clerc «. Il utilise effectivement des allégations d'ordre religieuses au milieu de sa cruelle « harangue « contre l'Ane: vers 57       « ... «  , ( qui équivalent à une accusation de sorcellerie). Il l'insulte également vers 58 en le traitant de « maladies de peaux «: « Ce pelé, ce galeux «.

 

Le méfait de l'Ane est une broutille- condamnée comme un « crime abominable « -digne des plus hautes représailles. Dans la phrase du vers 59 « Sa pécadille fut jugée un cas pendable « (au sens littéral), on entend les mêmes sonorités dans les mots  pécadille et  cas pendable, ceci mettant en parallèle la disproportion de la peine en considération de l'acte.

 

La condamnation est vite décidée,   La Fontaine rend cet empressement en ne s'attardant guère sur le sujet,   vers 61 et 62:   « ... «.

 

Le pouvoir judiciaire abusif est montré du doigt, comme la précipitation qu'ont les courtisans à approuver  la déchéance d'un autre, vers 55   « ... «.               La Fontaine utilise ici un vocabulaire  familier pour mettre en avant le côté profondément vulgaire et vicieux des courtisans.

 

Le renard, quand il dévalorise les moutons vers 36, évoque en réalité tous ceux qui n'étaient pas nobles: « ... «

 

   La Fontaine montre dans sa fable  la cour  comme l'univers totalement hypocrite qu'il est, où tout est manigance, intérêt, et jeu de pouvoir. La flatterie la plus vile n'a de cesse, comme l'illustre le Renard.

 

La cour est le moyen mis en place par Louis XIV pour « domestiquer « la puissante aristocratie qui, oisive, n'ayant plus à guerroyer, occupe plutôt son temps à chercher à plaire au Roi et à intriguer. Louis XIV, Le Lion, le Roi-Soleil est ici dépeins prenant la parole en premier, dans l'ordre hiérarchique -scrupuleusement respecté dans la fable-, n'ayant rien de plus à faire que donner le change avec quelques mots et  rayonner en attendant le dénouement.

 

   Une allusion est sans doute faite à l'arrestation de Fouquet, le surintendant des finances du royaume et ami de La Fontaine, sur ordre du Roi, en 1661. Fouquet serait alors le Berger mangé par le Lion, celui qui tond la laine des moutons sur leur dos, les moutons étant ici les contribuables.

 

Le roi joue de son pouvoir qu'il utilise, à son avantage et à sa gloire.

 

   La Fontaine nous livre en 2 vers une  morale  en forme de constat qui n'est pas totalement explicite, vers 63-64  « ... «.      Il énonce une vérité, sans jugement moral    formellement exprimé.                                                                                                                                                      -Le seul moment où transparaît  un jugement de l'auteur, dans une phrase au discours indirect libre,   est celui du vers sur la pécadille devenue cas pendable-                                                                                            La fable est une illustration -de la réalité du pouvoir: criminel et manipulateur,                                   - de l'hypocrisie des impitoyables qui gravitent autour     -et des exactions faites aux plus faibles.

 

   Il semblerait que, plus que vouloir réellement par ses écrit ''faire changer les hommes'', La Fontaine souhaite plutôt leur permettre l'observation, pour qu'ils puissent, plus conscients, mieux saisir la place qui est la leur au sein de la Nature. Cette volonté d'aider à accéder à la raison est bien entendu partagée par La Fontaine dans sa vie personnelle, et c'est ce qu'il dit dans l'Epilogue du premier recueil, à la fin du Livre sixième, « ... «

 

   Cette fable est très efficace, sa chute fait mouche, elle est d'ailleurs entrée dans le langage courant. Le récit est cruel et savoureux, plein de vérités que l'on peut sans mal replacer dans un contexte actuel (abus de pouvoir, volonté de s'en approcher coûte que coûte, injustices en tout genre, les plus faibles socialement étant manipulés, méprisés et violentés...) quelques 330 ans après.                                    Ces vérités, prenant en exemple des animaux, se rendent plus recevables pour le lecteur.

 

« Les Animaux malades de la peste « reste en bouche comme un petite pièce de théâtre, et ses personnages ont tous pris, en quelques mots, une épaisseur et une personnalité pleine et entière.

 

Cette fable enfin laisse à penser, car elle n'apporte aucune réponse toute faite.                                     Dans Les cinq tentations de La Fontaine (Grasset, 1938), Jean Giraudoux  (1882-1944) écrit ceci au sujet des Fables, et ce seront les mots de la fin:

 

Liens utiles