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L'apport de Molière dans le mythe de Dom Juan

Publié le 22/02/2012

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Quand on sait avec quelle vigueur, avec quel courage Molière s'est engagé dans les batailles intellectuelles, politiques, théâtrales de son temps, on ne peut sous-estimer la part de la polémique, de la satire dans la conception de son Dom Juan. Georges Couton a très justement, dans les commentaires de son édition de la Pléiade, mis l'accent sur cette urgence qui le poussait, à travers Dom Juan à se battre encore et toujours pour Tartuffe. Le dernier acte, celui de l'hypocrisie relie les deux pièces et les deux personnages. Couton relève cette parenté hardiment voulue, crûment provocatrice, quand il écrit les lignes qui suivent, à propos de l'éloge de l'hypocrisie que Molière met dans la bouche de Dom Juan : « Cette rigueur dans l'analyse, cette lucidité, cette violence ont le ton des placets pour Tartuffe. La pièce de Dom Juan tout entière est à bien des égards un placet pour Tartuffe. La bataille de Tartuffe se poursuit, mais à un autre niveau. Qui, en effet, était Tartuffe? Un pauvre diable, bien qu'il se dise gentilhomme; plus exactement, un "pauvre honteux", qui a trouvé moyen de parasiter une famille bourgeoise. Toute l'ascension sociale à quoi il peut prétendre, par la voie des bénéfices ecclésiastiques, ne peut l'amener qu'à une situation médiocre. Dom Juan est, au contraire, un très grand seigneur, de ceux qui lorsqu'ils se font d'Eglise sont en mesure, comme dirait Saint-Simon, d"aller à tout'. Et alors, quand on sait à quel point le théâtre de Molière est ancré dans la réalité sociale, on ne peut pas ne pas se demander si Dom Juan n'a pas eu un modèle. » (Couton, 1, tome 2, p. 21)
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« désirs, à l'assouvissement de ses instincts.Molière reprendra et développera cet aspect du thème de manière plus subtile.

Il ne se contente pas de mettrel'accent sur l'insensibilité de son héros qui écarte sans pitié tout ce qui peut empêcher ses plaisirs.

Là encore, ildéplace le centre d'intérêt sur la personnalité même de Dom Juan.

La révolte contre l'autorité paternelle devient unsimple épisode qui est à l'origine de la décision du libertin de feindre la conversion pour regagner la confiance de sonpère et continuer à profiter de sa protection.

Le recours à l'hypocrisie apparaît comme la manifestation d'uneamoralité fondée en raison et qui, loin d'être l'expression spontanée d'une vitalité ombrageuse est la traductioncalculée d'un rationalisme destructeur et nihiliste.Ainsi, Molière pose à travers son personnage des questions philosophiques fondamentales qui portent sur la sourcemême de la morale et de la vertu.

Le mythe de Dom Juan dépasse le cadre de l'anecdote pour incarner lacontestation des idées reçues et des valeurs établies au nom de la liberté individuelle.Cette conception entraîne des modifications significatives de l'intrigue.

Chez Tirso de Molina aussi bien que chez lesauteurs français et italiens, Dom Juan est présenté essentiellement comme un obstacle aux amours puériles ethonnêtes de couples qu'il se plaît à disloquer; chez Molière, Dom Juan devient le symbole même de l'inconstance etde la force irrépressible du désir amoureux qui refuse de se fixer sur un seul objet.Molière ira plus loin que tous ses prédécesseurs en reliant avec une cohérence implacable tous les niveaux ducomportement de son héros.Là où les auteurs des autres Dom Juan faisaient souvent preuve d'un flou artistique, Molière introduit desmotivations qui retournent comme un gant la problématique de l'oeuvre et transforment en démonstration del'agnosticisme le plus affirmé ce qui était à l'origine une apologie de la religion.En développant une triple contestation contre l'ordre moral, l'ordre social et l'ordre religieux, le Dom Juan de Molièren'est plus seulement un fils de grande famille qui a mal tourné et dont le châtiment exemplaire peut servir àdissuader les jeunes aristocrates qui seraient tentés de suivre ses traces.

Les idées qu'il expose à son valet avecune redoutable logique ouvrent une ère nouvelle, celle du « Siècle des Lumières » où les défenseurs de l'espritcritique et de la liberté de discussion vont battre en brèche un système fondé sur le principe d'autorité.

Dom Juanapparaît donc chez Molière moins comme un résidu corrompu d'une classe condamnée par l'histoire que comme leprécurseur d'une libre pensée qui n'a pas encore la possibilité de se faire entendre.Mais l'une des trouvailles les plus surprenantes de Molière est l'hypocrisie de Dom Juan qui, en rendant son hérosdéfinitivement antipathique, jette une ambiguïté irrémédiable sur la signification de ses pensées, de ses paroles etde ses actes.A travers Dom Juan, Molière montre impitoyablement le monde tel qu'il est.

Le refus manifesté par Dom Juan desalibis moraux exprime une vision lucide et amère de la réalité, une fois crevées les baudruches de l'idéalisme.

Molièreutilise le mythe en l'intégrant à son oeuvre de désillusion entreprise avec L'Ecole des femmes, poursuivie avecTartuffe.En exploitant beaucoup mieux que ses prédécesseurs les potentialités de la figure de Dom Juan, il réussit à combinerl'observation sociale, la satire politique et l'inquiétude intellectuelle.

Ainsi, tout en respectant globalement lesdonnées de l'intrigue léguées par le mythe, Molière renouvelle complètement celui-ci par la conception de sespersonnages.Sa pièce est un modèle d'adaptation créatrice, c'est, en fait, une recréation car il fait oeuvre nouvelle, oeuvreoriginale sans rien modifier des lieux communs de la tradition.

Ainsi il prolonge et renforce l'héritage de sesprédécesseurs tout en le transformant profondément.Il procède soit par extension, en développant les relations entre Dom Juan et son père, ou les relations entre DomJuan et Sganarelle, soit par resserrement, en élaguant, par exemple, le groupe féminin initial.Molière représentera dans le personnage pathétique d'Elvire toutes les victimes du séducteur.

Elvire, chez Molière,est l'épouse que Dom Juan a abandonnée après l'avoir enlevée d'un couvent.

Elle reparaîtra trois fois pour tenter desauver Dom Juan du châtiment que méritent ses crimes.

Le caractère noble et émouvant de ses interventions nefait que mieux ressortir l'endurcissement du héros muré dans un égoïsme qui apparaît comme l'effet pervers de sapassion de la liberté.En concentrant dans un seul personnage féminin le thème de l'inconstance de Dom Juan, Molière pour la premièrefois dans l'histoire du mythe montrait sur la scène une aventure amoureuse du séducteur menée de bout en bout.Enfin, la multiplicité des lieux et des temps, le foisonnement des situations, la variété des milieux offrait à Molière lediapason le plus large pour nourrir son histoire de la connaissance qu'il avait acquise de la société de son temps,aussi bien au cours de ses tournées en province dans les années difficiles que par son contact avec la Cour dans lesannées de faveur.La forme baroque, éclatée, du modèle espagnol se prêtait à cette liberté dramatique qui fait la particularité de DomJuan parmi les comédies de Molière.

Il résultera de cette rencontre une fécondation réciproque si intense entre lesdonnées objectives de l'histoire léguée par Tirso de Molina et le projet de Molière qu'il sera désormais difficile deconcevoir sans cet apport ce qu'il est convenu d'appeler « le mythe de Dom Juan ».Quand, un siècle plus tard, Lorenzo Da Ponte rédigea le livret du Don Giovanni de Mozart, il assembla habilement unemosaïque d'emprunts divers, en particulier aux Italiens, comme l'air du catalogue.

Mais pour l'essentiel de saconception, il s'inspira du Dom Juan de Molière qui n'était pas un Dom Juan parmi d'autres mais avait fini pars'identifier au mythe lui-même, tellement il en avait exprimé la quintessence dans un aboutissement synthétiqueautant que singulier.. »

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