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Aristote : la politique comme aboutissement de l'éthique

Publié le 10/01/2011

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aristote

Aristote : la politique comme aboutissement de l’éthique

 

Aristote (384-322 av. J.C.)

 

Portrait d’après un original en bronze de Lysippe

 

 

1.2.1- Définition et but de la cité (polis)

 

En lien avec la définition du bonheur se trouvant dans l’Éthique à Nicomaque et le principe voulant que « le Bien est ce à quoi toutes choses tendent », Aristote débute Les politiques en affirmant que la cité est une certaine communauté en vue d’un certain bien.

 

- Citation p.1 rec. – « Puisque toute cité, nous le voyons, est une certaine communauté, et que toute communauté a été constituée en vue d'un certain bien (car c'est en vue de ce qui leur semble un bien que tous les hommes font ce qu'ils font), il est clair que toutes visent un certain bien, et que, avant tout, c'est le bien suprême entre tous que celle qui est la plus éminente de toutes et qui contient toutes les autres. Or c'est celle que l'on appelle la cité, c'est-à-dire la communauté politique. »

 

Les hommes choisissent de vivre en société parce que cela leur apporte le bien, mais aussi des biens (avantages) en général. Puisque les hommes ont différentes aptitudes (vertus), ils ont intérêt à s’associer pour bénéficier du talent des autres en échange de leur talent. La cité est donc une communauté d’échange de biens en vue du bien de tous.

 

Ce « bien » n’est pas uniquement extérieur à l’homme, mais se rapporte directement à sa nature intrinsèque car, comme il le dira plus loin, « L’homme est par nature un animal politique ». (p.4 rec. p.90 texte)

 

Comme Aristote se plaît à le répéter : « La nature ne fait rien en vain ». Or, si les hommes tendent naturellement à se regrouper, c’est pour leur bien (au sens de l’accomplissement de leur nature).

 

Parce que l’homme est un animal politique, ce n’est pas seul, mais dans la cité (avec les autres) qu’il pourra s’accomplir et, par conséquent, être heureux. Puisqu’elle provient de ce désir naturel de l’homme, la cité aura pour but l’accomplissement et le bonheur humain.

 

 

Problème et méthode

 

Selon Aristote, les fonctions d’homme politique, de chef de famille et de maître d’esclave ne se distinguent pas uniquement par le nombre de personnes qu’ils gouvernent (comme le soutient Platon), mais par « une différence spécifique » ou par une différence de nature. 

 

Pour montrer en quoi ces « différents pouvoirs » diffèrent les uns des autres, la méthode proposée par Aristote consiste à « diviser le composé jusqu’à ses éléments non composés », c’est-à-dire à considérer les éléments constituant la cité (la constitution de la cité) afin d’être en mesure de mieux expliquer le tout (la cité) et, par conséquent, les fonctions en question.

 

 

1.2.2- Genèse de la cité : de l’esclavage à la politique

 

L’esclavage naturel

 

De façon naturelle et irréfléchie s’unissent les êtres qui ne peuvent exister l’un sans l’autre (par exemple, l’homme et la femme) et ce, « en vue de leur mutuelle sauvegarde », c’est-à-dire de leur protection et de leur procréation. Ce choix irréfléchi (instinctif), nous dit Aristote, se retrouve également chez les animaux.

 

À un niveau supérieur (humain), la relation maître/esclave naît de cette nécessité naturelle et commune de sauvegarde.

 

Rec. p.3, texte p.88

 

« En effet, être capable de prévoir par la pensée c'est être par nature commander c'est-à-dire être maître par nature, alors qu'être capable d'exécuter physiquement ces c'est être à être commandé c'est-à-dire être esclave par nature. C'est pourquoi la même chose est avantageuse à un maître et à un esclave ».

 

Dans un contexte de préservation, le meilleur dirigeant (maître) est celui qui est « capable de prévoir par la pensée » les dangers et les tâches à accomplir en vue du bien (sauvegarde) du groupe.

 

D’autre part, celui qui n’a pas cette vertu de prévoyance (esclave), mais qui est capable de contribuer au bien du groupe par son physique (ou par d’autres vertus), aura intérêt à suivre les ordres et conseils du maître.

 

Ainsi, nous dit Aristote, chaque individu aidera davantage son groupe s’il se consacre à sa fonction naturelle et, donc, s’il ne tente pas d’accomplir la tâche des autres. 

 

 

De la famille à la cité

 

Suite à la relation (plus archaïque et plus individuelle) du maître et de l’esclave, se forme la relation familiale entre le chef de famille et ses membres. La famille, selon Aristote, est une « communauté naturelle constituée en vue de la vie de tous les jours » (de la vie quotidienne). Elle est donc centrée sur le bien de la progéniture et le bonheur du clan.

 

« Une famille achevée se compose d’esclaves et de gens libres », nous dit Aristote. Elle se compose principalement de trois types de relations : Les relations « de maîtrise » (maître/esclave), la relation maritale (femme/homme) et la relation parentale (parent/enfant).

 

Le chef de famille sera celui qui sera le plus prévoyant (compétent) dans la recherche de ce bonheur familial. On comprend donc en quoi se distinguent et se ressemblent la fonction de chef de famille et celle de maître.

 

Mais lorsque plusieurs familles s’unissent pour des motifs ou des nécessités qui dépassent le bien de la vie quotidienne (ex. économie, échange de biens et services, guerre, etc.), cette communauté se nomme « village ». Et, enfin, la communauté formée de plusieurs villages est appelée « cité » lorsqu’elle atteint son autonomie (autarcie) et son achèvement.

 

Rec. p.4, texte p.90

 

« Et la communauté achevée formée de plusieurs villages est une cité dès lors qu'elle a atteint le niveau de l'autarcie [autonomie] pour ainsi dire complète ; s'étant donc constituée pour permettre de vivre, elle permet, une fois qu'elle existe, de mener une vie heureuse. Voilà pourquoi toute cité est naturelle : c'est parce que les communautés antérieures dont elle procède le sont aussi. Car elle est leur fin, et la nature est fin : ce que chaque chose, en effet, est une fois que sa genèse est complètement achevée, c'est cela que nous disons être la nature de cette chose, par exemple la nature d'un homme, d'un cheval, d'une famille. De plus le ce en vue de quoi, c'est-à-dire la fin, c'est le meilleur, et l'autarcie est à la fois une fin et quelque chose d'excellent ».

 

Ainsi, « toute cité est naturelle » pour Aristote parce qu’elle rejoint le désir naturel de l’homme de « mener une vie heureuse », c’est-à-dire de s’accomplir en tant qu’il est un « animal politique » doté de raison. 

 

Et c’est son autonomie par rapport aux autres cités et le bonheur de ses citoyens qui constituent la fin de la cité (son achèvement, sa maturité, son excellence).

 

Puisque la fin (naturelle) justifie les moyens, Aristote poursuit son raisonnement et affirme qu’une cité est « par nature antérieure à une famille et à chacun de nous », c’est-à-dire que le tout (cité) est nécessairement antérieur à ses parties (famille et individus). Même si l’individu précède chronologiquement la cité, c’est seulement dans la cité (tout) qu’il est véritablement un individu (accomplit sa nature) et peut être appelé citoyen.

 

1.2.3- Le maître et l’esclave

 

Selon certains sophistes, le pouvoir du maître est contre nature, car il repose sur la force et la convention. Il est donc injuste puisque, par nature, les individus ne diffèrent pas entre eux.

 

Selon Aristote, il faut examiner s’il existe des esclaves par nature et s’il est juste et meilleur pour eux d’être considérés ainsi, car si cela ne peut être démontré, tout esclavage est contre nature et doit être évité.

 

 

Nature et fonction de l’esclave

 

Contrairement aux instruments inanimés et passifs (ex. le marteau, le gouvernail) destinés avant tout à la production (art), l’esclave est un bien acquis animé destiné à l’action, c’est-à-dire destiné au bien de la vie.

 

Aristote résume et précise ce que sont la nature et la fonction de l’esclave :

 

Rec. p.8, texte p.98

 

« Celui qui par nature ne s'appartient pas mais qui est l'homme d'un autre, celui-là est esclave par nature ; et est l'homme d'un autre celui qui, tout en étant un homme, est un bien acquis, et un bien acquis c'est un instrument en vue de l'action et séparé de celui qui s'en sert ».

 

Le vivant, nous dit Aristote, est d’abord composé d’une âme et d’un corps c’est-à-dire d’une partie qui, par nature, commande et d’une autre qui est commandée. En considérant l’homme qui est dans de bonnes dispositions (possède cette hiérarchie interne), Aristote nous dit :

 

Rec. p.9, texte p.101

 

« Dans ces conditions il est manifeste qu'il est à la fois conforme à la nature et avantageux que le corps soit commandé par l'âme et que la partie passionnée le soit par l'intellect c'est-à-dire par la partie qui possède la raison, alors que leur égalité ou l'interversion de leurs rôles est nuisible à tous ».

 

Pour Aristote, le même rapport naturel (dirigeant/dirigé) se retrouve entre les différents hommes et, par conséquent, il est conforme à la nature et plus avantageux que l’esclave soit commandé par le maître.

 

Selon l’étymologie grecque, le mot « raison » (logos) signifie aussi « parole ». Donc, la vertu de prévoyance (sagesse) qui caractérise le dirigeant et qui consiste à être « capable de prévoir par la pensée » (raison), sous-entend également la vertu de la juste parole (savoir commander ce qui est juste par la parole).

 

En plus de manifester le douloureux et l’agréable (comme la voix des animaux), le langage propre à l’homme permet de signifier et de distinguer l’avantageux du nuisible et le juste de l’injuste. Or, ces vertus, selon Aristote, sont indispensables à l’atteinte et au maintien de l’ordre dans la cité. 

 

L’esclave qui ne possède pas les vertus de la raison doit, selon Aristote, avoir « la raison en partage » avec un maître. Or, c’est en ce sens que l’esclave « appartient à un autre ». Sa nature ne lui permettant pas de se diriger convenablement (de se posséder), pour lui, « la condition d’esclave est avantageuse et juste », car elle lui permet de bénéficier de la raison du maître en échange de ses services.  

 

 

La légitimité de l’esclavage

 

Selon Aristote, les thèses qui soutiennent que la vertu (l’excellence) ne doit pas commander ne méritent pas notre attention, car elles sont contre nature et se contredisent elles-mêmes.

 

Par contre, il ne faut pas nécessairement associer ces thèses avec celle qui veut que le plus fort (celui qui a les moyens de l’emporter) commande. La raison étant, selon Aristote, qu’il semble que « la force ne va pas sans excellence », c’est-à-dire sans vertu.

 

Par contre, souligne Aristote, il est possible que l’origine et l’issue d’une guerre soient injustes et que des maîtres naturels soient, par la force, réduits et contraints à l’esclavage.

 

La justice ne doit donc pas être confondue avec la loi du plus fort (et avec la loi en général), car c’est avant tout celui qui possède la vertu du dirigeant qui mérite le pouvoir :

 

Rec. p.12, texte p.107

 

« C’est pourquoi il y a avantage et amitié réciproques entre un esclave et son maître quand tous deux méritent natu­rellement leur statut ; mais si ce n'est pas le cas, et qu'ils le tiennent de la loi et de la force, c'est le contraire ».

 

 

Réponse au problème : la différence spécifique des chefs

 

Entre les différentes fonctions, le pouvoir du maître sur l’esclave se distingue du pouvoir politique (de l’homme politique), « car l’un s’exerce sur des hommes libres par nature, l’autre sur des esclaves ».

 

En ce qui concerne les affaires de la cité (politique), « c’est en vertu d’une science » ou de la maîtrise de la science politique (compétence) que le dirigeant doit, parmi les maîtres naturels, être choisi.

 

 

1.2.4- Aristote critique la République (citée idéale) de Platon

 

Dans sa recherche de la meilleure constitution politique, Aristote ne perd jamais de vue la visée pratique et concrète de son enquête. Partant du constat que les communautés politiques actuelles (de son temps) « ne fonctionnent pas bien », il propose une étude des meilleures constitutions ayant existé et des constitutions imaginées par les théoriciens.

 

Rec. p.33, texte p.137 – «Une enquête sur la meilleure constitution suppose une étude des constitutions réelles réputées excellentes et des consti­tutions imaginées par les théoriciens.»

 

En parlant de « constitutions imaginées » (utopies), c’est à la cité idéale de Platon qu’il fait référence.

 

 

Critique de la communauté des femmes, des enfants et des propriétés (biens)

 

Essentiellement, Aristote critique le « communisme » de la République. Même s’il s’accorde avec Platon pour dire que la cité est une « certaine communauté », une mise en commun et une « unité excessive » pourrait mener la cité à sa perte.

 

Rec. p.34-35, texte, p.139-140

 

« Mais il est manifeste que si elle s'avance trop sur la voie de l'unité, une cité n'en sera plus une, car la cité a dans sa nature d'être une certaine sorte de multiplicité, et si elle devient trop une, de cité elle retourne à l'état de famille, et de famille à celui d'individu. On peut dire, en effet, que la famille est plus une que la cité, et l'individu plus un que la famille. Si bien que, serait-on à même de réaliser ce but, on devrait se garder de le faire, car ce serait mener la cité à sa perte ».

 

En d’autres termes, de l’unité excessive pourrait naître une division et une dissension internes qui auraient pour conséquence une dégradation ou une rétrogradation (retour à son origine) de la cité et, donc, l’éloignement de son but : le bonheur de la communauté.

 

Une unité plus faible (incluant la multiplicité) est donc préférable à une unité plus forte. C’est pourquoi, selon Aristote, la cité « doit être une unité composée d’éléments différant spécifiquement ».

 

Selon Aristote, c’est « l’égalité réciproque qui assure le salut des cités », c’est-à-dire que les biens en général (de même que le pouvoir) doivent être répartis proportionnellement selon la valeur des individus et non en quantité égale. La raison étant que ce sont les individus les plus aptes (compétents) à utiliser les différents biens de la cité qui doivent les posséder.

 

 

Critique de la communauté des enfants

 

Dans la République, Socrate soutenait qu’un indice nous permettant de savoir si nous nous trouvons dans la meilleure forme de gouvernement (unitaire) est que les citoyens disent des mêmes choses « ceci est à moi » ou « ceci n’est pas à moi ». En d’autres termes, c’est lorsque les citoyens possèdent les choses en commun (femmes, enfants, biens).

 

Pour Aristote, non seulement cette communauté (unité) de la possession est « irréalisable », mais elle présente plusieurs inconvénients.

D’abord, ce consensus général sur ce qui est possédé en commun n’est pas nécessairement « signe d’accord des esprits », c’est-à-dire que l’adhésion à la règle générale (tout est commun) peut comporter des désaccords particuliers (exceptions).

 

Mais l’inconvénient principal de cette mise en commun, selon Aristote, réside dans le fait qu’on tend à négliger ce qui est en commun parce qu’on a l’impression que quelqu’un d’autre va s’en occuper.

 

Ainsi, nous dit Aristote : « tous les parents négligeront également tous les enfants » s’il est convenu que tous les enfants de la cité appartiennent à tous. Il n’est donc pas préférable que chacun appelle « le mien » tous les enfants comme le soutient Socrate.

 

De plus, en raison de la ressemblance physique qui unit les enfants à leurs géniteurs (parents biologiques), il ne serait pas possible, par le mélange des enfants, de cacher le lien de parenté véritable.

 

Or, ce lien de parenté, selon Aristote est essentiel pour éviter la révolte et les crimes « car il y a chez les hommes deux choses principales qui les portent à la sollicitude [prendre soin des autres] et à l’amour : ce qu’on possède en propre et ce qu’on chérit ». (Rec. p.39, texte p.148)

 

Dans un régime « communiste » tel celui de Platon, poursuit Aristote, l’amour et la sollicitude ne peuvent exister, car en diluant le lien de parenté, le rapport à autrui perd son sens. 

 

Aristote suggère donc que ce soit les parents, comme cela se fait déjà dans la cité, qui possèdent leur enfant en propre et s’en occupent.

 

 

Critique de la communauté des biens

 

La meilleure solution concernant la répartition des biens est que « la propriété des biens soit privée et qu’ils soient rendus communs par leur usage ». (Rec. p.41, texte p.152) De cette manière, il est possible d’éviter les inconvénients et de tirer avantage à la fois du système de propriété privée et du système de propriété commune.

 

C’est par « l’usage » (habitude) ou en pratique que les biens privés seront partagés et donc, rendus communs. Cependant, nous dit Aristote, « il faut qu’en un sens les propriétés soient communes, mais que fondamentalement elles soient privées ».

 

Aristote soutient que « tout est commun entre amis ». Par contre, c’est en conservant la propriété privée que la notion de partage (vertu de libéralité) et celle d’amitié prennent tout leur sens. Et, ajoute Aristote, « cela ne peut exister si l’on unifie trop la cité ».

 

Non seulement l’expérience démontre que le partage du bien public cause plus de différends (contrairement à ce que prétend Platon), mais le régime de la propriété commune coupe l’accès au Bien (accomplissement) de l’homme au point où Aristote affirme que « sous ce régime, la vie est complètement impossible ».

 

Enfin, Aristote reproche à Platon de s’être attardé uniquement sur la définition du rôle des « gardiens » et, également, d’avoir refusé le bonheur à ceux-ci puisqu’ils doivent se sacrifier à leur tâche : « rendre la cité entièrement heureuse ». Sans le bonheur des gardiens, soutient Aristote, « la cité platonicienne est malheureuse ».

 

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