l'art s'affirme-t-il contre le gout de la multitude
Publié le 19/03/2004
Extrait du document
«
II.
— DISCUSSION : « ÊTRE INSPIRE AVANT DE S'AFFIRMER.
»
Faut-il conclure de ce qui précède qu'il est essentiel à l'art de se présenter comme réaction ? Ou bien l'aspectrévolutionnaire de l'art ne serait-il qu'accidentel ? Pour répondre à ces questions, tournons-nous successivementvers celui qui crée l'oeuvre d'art et vers ceux qui la contemplent.
1.
Dans la création. — Pour l'artiste qui veut ajouter au monde esthétique un nouveau continent, la seule réaction contre la mode et les multitudes ne saurait suffire.
Il ne suffit pas d'étonner et de dérouter pour faire oeuvre d'art, ilfaut d'abord être inspiré, et bien que leurs vociférations aient quelque valeur de stimulant, il nous est permis dedouter de l'authenticité de l'inspiration de quelques hommes d'avant-garde.
N'atteint pas nécessairement la beautéquiconque y prétend.
Mais que l'inspiration soit présente — et on l'éprouve avec la même évidence que la vérité —alors, l'oeuvre d'art fait son chemin.
Elle s'impose d'elle-même en vertu de son énergie intérieure.
Dès lors, pourquoicrier, afin de persuader la multitude d'abandonner ses idoles ? Qu'elle constitue ou non une réaction contre le goûtde l'époque, l'oeuvre d'art vaut par la qualité de son inspiration.
2.
Dans la contemplation. — C'est précisément la révélation de la beauté d'une oeuvre d'art qui appelle la contemplation chez quiconque possède du goût.
Mais pourquoi dans ce domaine se défier des multitudes ? Le goûtserait-il moins bien partagé que la raison ? Pense-t-on, par exemple, que la beauté des vitraux de Chartres aitéchappé à nos lointains ancêtres, ou qu'elle échappe encore de nos jours à la multitude ? Encore qu'en matièreesthétique on en doit point se régler d'après le nombre des voix — malgré les prix et les concours ! — pourquoi.accorder a priori moins de crédit à la foule paisible qu'à quelques trublions exacerbés ? Et puisque, selon KANT, nousréclamons pour le beau, comme pour le vrai et pour le bien, une approbation universelle, on voit mal commentl'artiste pourrait ne pas désirer un tel suffrage.
Enfin, la simplicité à laquelle accède l'oeuvre d'art la rendprécisément communicable à un plus grand nombre.
Aussi nous paraît-il injuste de rabaisser ce que l'on appelle avecune nuance péjorative bien marquée « les multitudes ».
Croirait-on, ce faisant, mieux affirmer la valeur d'un art ?
CONCLUSION. — En fin de compte, l'aspect révolutionnaire d'un art qui « s'affirme contre les goûts des multitudes » ne peut être qu'accidentel.
C'est qu'en effet, si un art s'affirme, c'est d'abord par l'effet de sa vitalité propre, etcette affirmation ne peut être en aucun cas la négation d'autres formes valables de l'art.
« Un portrait de Manet neréfute point la Joconde », a dit ALAIN (Propos de Littérature), et nous ajoutons : « même si les multitudes préfèrentLéonard à l'impressionnisme.
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