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L'ART DE CORNEILLE DANS CINNA

Publié le 07/04/2011

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corneille

   La vraie grandeur, qui est dans le théâtre cornélien, n'est-elle pas compromise par certaine fausse éloquence, disons même une artificieuse jactance, qui est bien éloignée de ce que nous entendons par art et peut-on parler d'un Corneille artiste? Ce n'est certes pas chez lui qu'on trouvera le sortilège de certaines musiques, mais la traduction scrupuleuse, — car il a un soin extrême de la forme — de toutes les nuances de sa pensée dans un langage accessible, au-dessus de la prose sans doute, mais aussi en deçà de l'outrance épique. Plénitude, justesse, voilà ses qualités éminentes.    I. — LA LANGUE. La langue de Corneille n'est ni floue ni molle ni indéfinie. Elle est forte et nerveuse. Loin d'être guindée, elle mêle librement des tournures traditionnelles de la langue tragique à des expressions plus familières, qui ont été souvent censurées par Voltaire, mais nous préférons aujourd'hui ces familiarités au goût de Voltaire.    Ce qui a le plus vieilli dans cette langue, c'est le vocabulaire noble et les symboles favoris du temps, dont le poète ne se fait pas faute d'user, les lieux communs métaphoriques surtout dans le langage de la galanterie, tels que les flammes (v. 709), les feux (v. 934), les chaînes, les jougs (v. 988), les tempêtes (v. 26) qui étaient alors d'emploi courant en poésie; de même mes soupirs, un digne objet, tes serments, adorable ou cruel, aimable inhumaine, véritable amant (v. 736), vrais amants (v. 1648) sont du langage d'amazones et des escrimes intellectuelles des romans à la mode.

corneille

« Cf.

dans tout son monologue, surtout v.

27 à 40 : L'issue en est douteuse et le péril certain...

(v.

27) Te perdre en me vengeant, ce n'est pas me venger (v.

36). On a de ce type une série de vers dits « cornéliens », c'est-à-dire concis, précis et fermes.

Pas de redondances,pas de fausse rhétorique, mais à la fois de l'éclat et une exaltation robuste, que la passion dont est enflamméeEmilie suffit à rendre naturels. Antithèses.

Les antithèses quelquefois appuyées et précieuses, toujours fortes, ne sont pas rares, particulièrement dans les vers-maximes.

Dans ce monologue précisément en voiciune un peu cherchée mais qui fait un beau vers : Aux douceurs que corrompt l'amertume des larmes (v.

38) puis plus loin : Amour, sers mon devoir, et ne le combats plus : Lui céder, c'est ta gloire, et le vaincre, ta honte, etc. (v.

48 sqq.) antithèses accumulées en un cliquetis verbal dont l'effet est un peu forcé mais qui sonnent bien à la scène et qui nechoquent pas lorsqu'elles répondent à un mouvement passionné.

Cf.

encore : Heureux pour vous servir de perdre ainsi la vie, Malheureux de mourir sans vous avoir servie (v.

321-2) et v.

1702-4, 1707, 1780, etc. Variété.

Prenons deux passages de Cinna afin d'illustrer les qualités du style cornélien.

D'abord lorsque Emilie est enface de Cinna (III, 4).

Cinna tout vibrant et triste vient de dire : Je tremble, je soupire...

Mais je n'ose parler et jene puis me taire.

Emilie attaque : Et ton esprit crédule ose s'imaginer Qu'Auguste pouvant tout peut aussi me donner?...

Il peut faire trembler la terresous ses pas...

Et changer à son gré l'ordre de tout le monde, Mais le cœur d'Emilie est hors de son pouvoir. Rien de plus frappant, de plus dramatique.

Cinna explique alors son attitude en un vers d'une aussi grande densité : Et pour vous l'immoler, ma main Va couronné. Emilie rétorque en une apostrophe véhémente, qui éclate : Pour me l'immoler, traître ! Et tu veux que moi-même Je retienne ta main ! qu'il vive et que je l'aime ! vers où l'on remarquera coupes ternaires et enjambement.

Puis c'est une riposte antithétique : Je fais gloire, pour moi, de cette ignominie! Puis un vers sentencieux, une de ces maximes générales que Corneille affectionne (cf.

v.

365 et passim) : Les cœurs les plus ingrats sont les plus généreux. Enfin le dialogue, rapide, incisif, haletant se précipite; les deux interlocuteurs opposent vers contre vers; lesréponses se croisent, attaques et ripostes se pressent : Vous faites des vertus au gré de votre haine. — Je me fais des vertus dignes d'une Romaine ! Et ce sont les sarcasmes, les expressions énergiques ou injurieuses : Je ne t'en parle plus, va, sers la tyrannie ! Peut-on ici parler d'emphase, d'enflure, de préciosité, d'amphigouri, de confusion ? Il nous paraît au contraire quec'est d'un réalisme sobre et vigoureux, éminemment dramatique ou plutôt tragique.

Le style est simple mais de tonextrêmement varié, adapté aux nuances psychologiques, convenable aux caractères.

Du dialogue cornélien, on a pudire qu'il dépassait tout dialogue en vigueur.. »

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