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L'art peut-il tout dire ?

Publié le 27/02/2008

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L'art peut-il tout dire ?

« sur une société civile très régressive.

Problème actuel : en France, la situation est menaçante.

Il se produit desmutations historiques telles qu'à un moment donné, il peut y avoir repli de la société civile par rapport aux initiativesde l'État.

Quand, en 1987, j'ai décidé de consacrer un numéro de la revue L'Infini à Voltaire, cela paraissait incongru.Mais le numéro est paru en pleine affaire Rushdie et, au Trocadéro, on pouvait voir un type avec une petitepancarte : «Voltaire, réveille-toi!».

Au lieu de rester dans la même problématique - la responsabilité de l'artiste,l'artiste comme reflet de la société - il vaut mieux se demander quand ont eu lieu les transformations du récit et dela perception.

C'est cela, un artiste : un individu qui fait part de ses impressions, perceptions, sensations.

De soncorps.

Et puis, il y a ce que l'on appelle le corps social qui revendique une sorte de domination absolue sur lessingularités.

Mais ce sont des singularités de langage.

De pouvoir dire.

Là est le véritable intérêt.

Ce nest pas unproblème de minorités ou d'ethnies : l'artiste n'a rien à voir avec cela.

Bien sûr, on essaiera toujours de le réduire àune caricature : Proust et le faubourg Saint-Germain, Céline et l'antisémitisme, Bacon et l'homosexualité...

Et si onles posait plutôt comme des exceptions? Il n'y a rien de commun entre Kafka et Prague, Joyce et Dublin, Proust etParis...

La censure peut être dure (exécution, procès...) ou douce (faire comme si tout était permis).

Ces deuxformes de censure sont appelées à se rejoindre sur un plan : l'amnésie, l'ignorance, l'illettrisme.

Déjà, pour Voltaire,une dictature a un moyen tout simple de régner : interdire la lecture.

Et si l'on programme l'inaptitude à lire? Je nepourrais pas lire des passages de La Philosophie dans le boudoir de Sade au journal de 20 heures à la télévision.

Lelivre est en librairie sur papier bible, mais qui sait le lire? C'est comme si les signes typographiques n'arrivaient plusau cerveau.

La censure a changé de forme.

Ce ne sont plus les procès du XIXe siècle, pour outrage à la morale etaux bonnes moeurs.

Aujourd'hui, Salman Rushdie parle moins de la censure religieuse et davantage de l'écrivaincomme d'un corps qui ne prend pas le bon chemin social.

Et qui, tôt ou tard, va avoir affaire au pouvoir.Jacques Soulillou : La censure est indispensable au statut de l'artiste et de l'auteur.

Du point de vue de la création, ce dernier pense qu'il peut tout faire.

Or, il rencontre des limites, comme le droit des autres artistes àinterdire que des morceaux de leur oeuvre ne soient plagiés ou accaparés sans leur autorisation.Philippe Sollers : Le problème réel est de savoir si une société donnée fait pression directement ou indirectement - vous avez parlé d'autocensure - sur un artiste pour qu'il évite de traiter certains sujets.Aux États-Unis, le droit de tout dire est inscrit dans la Constitution.Jacques Soulillou : C'est une évolution récente de l'interprétation du 1er amendement, qui stipule : «Le Congrès ne fera pas de loi limitant la liberté d'expression».

Actuellement, la jurisprudence est favorable à une expression qui, dupoint de vue d'un Occidental du Vieux Continent, apparaît comme totale.

En effet, elle passe outre lesrevendications des minorités si des propos racistes sont exprimés dans des oeuvres.

Mais cela n'a pas toujours étéle cas.

James Joyce, par exemple, n'a pas passé la barrière du 1er amendement.Au nom du 1er amendement, la Cour suprême des États-Unis a interpellé le Congrès sur les tentatives deréglementation des sites pornographiques sur Internet.Philippe Sollers : Attention à bien distinguer la liberté d'expression de la liberté de l'art! Il peut se produire un détournement de la liberté d'expression qui soit industrialisée comme répression et rabaissement de l'art.

Je prendssouvent cet exemple : donnez-moi l'Éthique de Spinoza et j'en fais un film avec des images pornographiques.L'industrialisation supprime ce qui pourrait être vraiment gênant dans la pornographie : la pensée de ce qui s'ypasse.

La censure a trouvé le moyen, sur le plan des représentations sexuelles industrialisées, d'utiliser l'art dans uncontexte qui ne soit pas verbalement troublant.

Nous sommes dans une époque de la marchandise qui fait semblantde tout dire pour ne pas dire grand chose.

C'est la raison pour laquelle je peux difficilement faire comprendrepourquoi un tableau de Picasso représente l'érotisme de la pensée.

Imaginez un artiste qui pourrait dire n'importequoi puisque plus personne ne ferait attention à lui.

Les récentes déclarations de Philip Roth vont dans ce sens : «Jecontinue la littérature, mais c'est comme un poste de radio qui émettrait dans le vide».Jacques Soulillou : Il y a une autre forme de censure qui s'exerce contre l'artiste et que l'on pourrait appeler «le champ des possibles».

Toute personne qui écrit est sensible au fait de savoir si cela n'a pas déjà été dit.

Soit l'onpasse outre cette retenue : c'est le mot d'ordre de William Burroughs qui en appelle à une littérature à base derecyclages.

Soit, dans la pratique de l'écriture, on se heurte constamment au fait que des choses ont déjà étédites, des voies déjà occupées...

Il faut donc explorer d'autres domaines.Philippe Sollers : Ce n'est pas une censure : c'est une émulation, une excitation.

Un artiste est sensible à son art. Il étudie l'histoire de son art et se dit : je ne peux pas raconter cela de cette façon, parce que Proust l'a déjà fait.Jacques Soulillou : Cette attitude est spécifique à nos sociétés.

Dans beaucoup d'autres cultures, le fait de répéter ce qu'ont fait les artistes précédents est la norme : le peintre d'icônes reproduit la même image.

Nousvivons dans une norme différente.

L'artiste doit trouver une voie différente si cela est encore possible.Philippe Sollers : C'est encore possible mais on voudrait nous faire croire le contraire.

À chaque fois, le corps social intervient pour empêcher l'initiative individuelle : l'histoire est finie, tout a été fait, il ne se passe rien...

C'est unepropagande massive et constante à laquelle l'individu est censé répondre par la résignation, la passivité, ladépression.Dans certaines universités américaines, on n'enseigne plus Aristote parce que sa pensée n'est pas politiquementcorrecte (vis-à-vis des femmes ou des esclaves).

Qu'en pensez-vous?Jacques Soulillou : Ma première réaction est l'indignation.

Mais compte tenu de toute la violence que l'histoire de l'art occidental a proféré sur des catégories d'individus, on ne peut ignorer la question du ressentiment.

Des gens quiont été écartés de la parole demandent un jugement de valeur symbolique, a posteriori, contre toutes cesviolences.

J'ai bien conscience que donner crédit à ces revendications semble être un point de vue réactionnaire…Philippe Sollers : Un point de vue réactionnaire qui se présente comme progressiste.

Vous avez parlé de violence. Mais un art dont toute violence serait exclue ne serait plus un art.

Car, précisément, l'art fonctionne commecatharsis : il y a en lui des passions et des pulsions irrécusables, inépuisables.

Le théâtre d'Artaud exprime cela.Picasso a dit : «L'art n'est jamais chaste et s'il l'est ce n'est plus de l'art».

La revendication instrumentalisée seprésente comme progressiste pour mieux éviter qu'il y ait de la singularité.

Moi, ce qui m'intéresse, c'est un peintrecomme Basquiat et non un Noir à New York.

Rien ne doit jamais faire addition.. »

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