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Article de presse: Boris Eltsine signe un accord de paix en Tchétchénie

Publié le 22/02/2012

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10 juin 1996 - A un petit détail près, les accords signés lundi 10 juin à Nazran, en Ingouchie, au nom des gouvernements tchétchène (indépendant) et russe, seraient véritablement historiques. A première vue, il ne s'agit que d'accords militaires désengagement et échange de prisonniers semblables à ceux qui ont déjà échoué l'an dernier. Mais un de leurs points, inclus sur insistance des indépendantistes, a une signification capitale : c'est la reconnaissance par Moscou qu'aucune élection ne peut être considérée comme légitime en Tchétchénie avant la " démilitarisation " de celle-ci c'est-à-dire, concrètement, avant un retrait des troupes russes. Un membre de la délégation tchétchène a souligné, lors d'une conférence de presse commune, que les accords signés ouvrent la voie à la tenue d'élections libres en Tchétchénie, en présence d'observateurs internationaux. Le chef de la délégation russe, le ministre des nationalités Viatcheslav Mikhaïlov, a implicitement reconnu ce point en précisant que de telles élections devront néanmoins être considérées comme une " affaire intérieure " russe. Les Tchétchènes refusaient en effet, depuis le début de ces négociations, il y a une semaine, de signer quoi que ce soit tant que leurs interlocuteurs russes n'auraient pas annulé les élections au Parlement tchétchène qu'ils avaient prévu d'organiser le 16 juin, jour du premier tour de l'élection présidentielle en Russie. Les indépendantistes, conduits à Nazran par leur chef d'état-major, Aslan Maskhadov, ont donc eu gain de cause : ces élections ont été repoussées. Mais c'est précisément cette date du 16 juin qui constitue le " petit détail " pouvant tout remettre en cause. " Démilitarisation " Les accords signés lundi prévoient aussi une levée des barrages russes autour des villages tchétchènes avant le 7 juillet et un retrait de l'armée russe avant le 30 août, les Tchétchènes devant entamer parallèlement un processus de " démilitarisation ". Ce terme remplace celui, plus brutal, de " désarmement " qui figurait dans l'accord de l'an dernier, mais n'a pas été autrement précisé. Cependant, rien ne garantit qu'ils seront respectés par la partie russe après le 16 juin (comme Boris Eltsine semble en manifester désormais l'intention, à la condition qu'il soit déclaré vainqueur à cette date) ou après le 7 juillet, date prévue du second tour (qui pourrait d'ailleurs être avancée au 3 juillet, a-t-on suggéré lundi au Kremlin, sans que les Tchétchènes en aient été prévenus). Car nul, en Tchétchénie comme en Russie, n'oublie le cynisme avec lequel Boris Eltsine avait annoncé, en février dernier, son intention d'arrêter la guerre qu'il avait lancée en décembre 1994 : sinon " ça ne sert à rien que je me lance dans une réélection ", avait-il dit. Ce cynisme se retrouve dans le fait que l'accord de cessez-le-feu, attendu et annoncé depuis des mois, durant lesquels des milliers de civils ont encore été tués et blessés, intervient cinq jours à peine avant le premier tour de scrutin en Russie. Selon des journalistes à Nazran, les combattants tchétchènes qui accompagnaient leur délégation doutaient, en privé, que Moscou respecte ces accords. Néanmoins, l'espoir était évident : après leur signature devant la presse, dans un climat qui restait tendu, les indépendantistes ont célébré l'événement par une prière de remerciement pour " la paix et la concorde " qui doivent désormais régner dans leur pays, conclue par trois fortes et joyeuses exclamations : " Allah Akbar ! " (Dieu est le plus grand !). Mais les problèmes n'avaient pas disparu pour autant. Car les adversaires d'un retrait militaire de Tchétchènie abondent au Kremlin et dans les divers états-majors russes. Boris Eltsine lui-même, qui avait complaisamment parlé fin mars de ses " collaborateurs opposés à des négociations avec les bandits " tchétchènes, n'a pas vraiment changé de langage aujourd'hui, même s'il a su franchir un pas capital en recevant, le 27 mai au Kremlin, le chef des indépendantistes Zelimkhan Iandarbiev. Cela avait ouvert la voie aux négociations de Nazran, mais le président russe n'en continue pas moins d'affirmer que des troupes " de police " resteront quoi qu'il arrive en Tchétchénie pour y " liquider les dernières petites bandes de bandits ". Les Tchétchènes estiment que, pour l'instant, ils n'ont d'autre choix que de prendre cela pour de la rhétorique électorale d'un homme qui ne peut avouer, avant le scrutin, qu'il a perdu sa guerre de Tchétchénie. SOPHIE SHIHAB Le Monde du 12 juin 1996

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