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Article de presse: Le grand chantier du " capitalisme rouge "

Publié le 22/02/2012

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19 février 1997 - Depuis 1978, Deng Xiaoping a fait prévaloir en Chine trois grandes orientations : la priorité au développement économique; une décentralisation des pouvoirs destinée à stimuler les initiatives et l'ouverture du pays sur l'extérieur. Ces choix ont métamorphosé l'économie chinoise. Il y a quinze ans, la Chine était un pays très pauvre, où l'austérité était largement partagée, un monde fermé. Elle a maintenant une économie en développement rapide, elle est devenue un concurrent redouté et un marché convoité dans les échanges internationaux. Amorcées en 1978, les réformes ont progressé suivant les lignes de moindre résistance et, en quinze ans, elles ont gagné l'ensemble de l'économie. Ce gradualisme qui fait l'originalité de la transition chinoise par rapport à l'expérience de l'Europe de l'Est est peut-être moins le résultat d'un choix délibéré qu'une conséquence de la configuration politique du pays où il a fallu composer avec les partisans du système existant. En décembre 1978, le plénum du comité central du Parti communiste donne le feu vert à la décollectivisation de l'agriculture, qui se propage comme une traînée de poudre. En octobre 1984, le plénum du parti donne une nouvelle impulsion aux réformes et leur ouvre largement l'économie urbaine : l'objectif est de réduire au minimum la planification autoritaire et de laisser se développer les mécanismes de marchés et la concurrence, dans le cadre d'une planification souple. Au cours de la seconde moitié des années 80, les entreprises développent de plus en plus leurs activités hors plan. Les circuits marchands s'étendent. La coexistence de deux logiques dans le fonctionnement de l'économie est propice à tous les trafics. L'étendue de la corruption est dénoncée par les manifestants de Tiananmen. Après la crise de juin 1989, le durcissement du pouvoir politique entraîne un gel des réformes et des velléités de retour en arrière. Mais les changements se révèlent irréversibles. En janvier 1992, Deng Xiaoping met fin à cet intermède. Début 1994, les projets de réforme du système bancaire, de réforme fiscale, de rationalisation des grandes entreprises marquent une nouvelle étape : il s'agit désormais de construire des institutions qui permettent de réguler une économie dont l'évolution est devenue chaotique. Quatre zones franches Au cours de ces années, le secteur d'Etat recule face à la marée montante des entreprises de statuts variés. Les entreprises privées sont moins nombreuses que celles qui associent investisseurs individuels, coopératives, pouvoirs locaux et capitaux étrangers. En 1996, les entreprises d'Etat assurent un tiers de la production industrielle contre plus de 80 % en 1978. La quasi-totalité des prix sont libres ou flexibles. Le formidable mouvement de décentralisation économique et financière a pour conséquence, d'une part, des interventions administratives multiples et arbitraires dans la vie économique et dans l'activité des entreprises; d'autre part, une autonomie des politiques provinciales, qui résistent aux efforts déployés par Pékin pour accroître les recettes fiscales du gouvernement central et discipliner la croissance. Dès 1979, le gouvernement autorise les investissements étrangers en Chine et crée quatre zones franches. Démarrés au milieu des années 80, les investissements étrangers enregistrent, au début des années 90, un boom spectaculaire qui s'explique par le dynamisme de l'économie et des réformes et par l'ouverture de nouveaux secteurs d'activité aux entreprises étrangères (distribution, transports, immobilier). Les deux tiers des capitaux viennent de Hongkong mais une bonne partie ne fait qu'y transiter, venant de pays tiers ou même de Chine continentale, ces derniers passant par Hongkong afin de bénéficier en Chine des dispositions favorables offertes aux investisseurs étrangers. L'ouverture a entraîné une intégration croissante de l'économie de Hongkong à la Chine. Depuis le milieu des années 80, les sociétés de la colonie ont délocalisé massivement leurs industries sur le continent. A leur instar, les entreprises du Japon, de Taïwan, de Corée du Sud ont, elles aussi, opéré des transferts d'activités industrielles, multipliant les investissements directs et de sous-traitance sur le territoire chinois. Ces délocalisations sont à l'origine de la formidable expansion des exportations industrielles chinoises et de leur diversification rapide vers des produits nouveaux comme l'électronique grand public et l'électroménager. Le commerce extérieur de la Chine, dont le poids dans le commerce mondial a triplé entre 1980 et 1995 (passant d'environ 1,1 % à plus de 3 %), est actuellement pour une bonne moitié le fait des industries extraverties qui importent des produits intermédiaires pour les réexporter sous forme de produits finis. Les réformes ont surtout bénéficié aux provinces côtières et notamment à celle de Canton. Une des conséquences de l'ouverture est ainsi d'accentuer une ligne de fracture entre la façade maritime et l'intérieur du pays et de favoriser les risques de désarticulation de l'économie, dans la mesure où l'internationalisation des économies côtières se fait au détriment des interdépendances avec le reste du pays. Des poches de misère Depuis 1979, le PIB a progressé en moyenne de 9 % par an, un record, même en Asie. La production industrielle a augmenté encore plus vite, de 15 % par an, et dans le secteur agricole la production a enregistré une hausse de plus de 5 %. Globalement la croissance est forte mais très coûteuse. Elle donne lieu à une accumulation de stocks de produits de mauvaise qualité et s'accompagne de goulets d'étranglement physique : l'énergie manque et le réseau des transports est engorgé. La croissance laisse cependant subsister des poches de misère, situées surtout dans des régions isolées dans l'ouest du pays. Selon la Banque mondiale, près de 100 millions de personnes vivent encore en dessous du seuil de pauvreté absolue. Les progrès s'accompagnent de fortes inégalités. Dans la première moitié des années 80, une politique très favorable à l'agriculture avait permis une réduction des inégalités de revenus entre les paysans et les citadins, mais depuis l'écart s'est élargi. En moyenne, le revenu par tête est trois fois plus élevé en ville. Par ailleurs, dans les campagnes, les systèmes de protection sociale ont souvent disparu en même temps que les structures collectives. Et les différenciations régionales se sont d'autant plus accentuées que la décentralisation a réduit la capacité de l'Etat à redistribuer les ressources des régions les plus prospères vers les plus déshéritées. L'excédent de main-d'oeuvre agricole entraîne l'afflux vers les grandes villes d'une population " flottante " à la recherche de travail, estimée à 80 millions de personnes. Mais la précarité menace aussi les salariés urbains en raison de l'absence de protection sociale hors du secteur d'Etat, de la multiplication des contrats de travail temporaire, des programmes de rationalisation de la gestion des entreprises, dont 40 % sont actuellement en déficit. Enfin, partout, les différences sociales ont pris de l'ampleur avec la multiplication des revenus non salariaux, issus d'activités privées et de spéculations diverses avec l'importance des primes liées aux performances des entreprises. Les transformations économiques en cours donnent ainsi lieu à une vaste redistribution des pouvoirs et des ressources qui rendent inévitables les tensions politiques, sociales, régionales. Les successeurs de Deng Xiaoping ne manqueront pas de méditer le proverbe chinois d'après lequel, quand on chevauche un tigre, il faut éviter d'en tomber. FRANCOISE LEMOINE Le Monde du 21 février 1997

« Des poches de misère Depuis 1979, le PIB a progressé en moyenne de 9 % par an, un record, même en Asie.

La production industrielle a augmentéencore plus vite, de 15 % par an, et dans le secteur agricole la production a enregistré une hausse de plus de 5 %.

Globalementla croissance est forte mais très coûteuse.

Elle donne lieu à une accumulation de stocks de produits de mauvaise qualité ets'accompagne de goulets d'étranglement physique : l'énergie manque et le réseau des transports est engorgé. La croissance laisse cependant subsister des poches de misère, situées surtout dans des régions isolées dans l'ouest du pays.Selon la Banque mondiale, près de 100 millions de personnes vivent encore en dessous du seuil de pauvreté absolue.

Lesprogrès s'accompagnent de fortes inégalités.

Dans la première moitié des années 80, une politique très favorable à l'agricultureavait permis une réduction des inégalités de revenus entre les paysans et les citadins, mais depuis l'écart s'est élargi.

En moyenne,le revenu par tête est trois fois plus élevé en ville.

Par ailleurs, dans les campagnes, les systèmes de protection sociale ont souventdisparu en même temps que les structures collectives.

Et les différenciations régionales se sont d'autant plus accentuées que ladécentralisation a réduit la capacité de l'Etat à redistribuer les ressources des régions les plus prospères vers les plus déshéritées. L'excédent de main-d'oeuvre agricole entraîne l'afflux vers les grandes villes d'une population " flottante " à la recherche detravail, estimée à 80 millions de personnes.

Mais la précarité menace aussi les salariés urbains en raison de l'absence deprotection sociale hors du secteur d'Etat, de la multiplication des contrats de travail temporaire, des programmes derationalisation de la gestion des entreprises, dont 40 % sont actuellement en déficit.

Enfin, partout, les différences sociales ont prisde l'ampleur avec la multiplication des revenus non salariaux, issus d'activités privées et de spéculations diverses avecl'importance des primes liées aux performances des entreprises. Les transformations économiques en cours donnent ainsi lieu à une vaste redistribution des pouvoirs et des ressources quirendent inévitables les tensions politiques, sociales, régionales.

Les successeurs de Deng Xiaoping ne manqueront pas de méditerle proverbe chinois d'après lequel, quand on chevauche un tigre, il faut éviter d'en tomber. FRANCOISE LEMOINE Le Monde du 21 février 1997. »

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