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Article de presse: Lyndon B. Johnson : la démesure au pouvoir

Publié le 22/02/2012

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22 janvier 1973 - L' " escalade " des fonctions présidentielles en une génération ne pouvait rester sans conséquences. Qu'il se soit trouvé, juste à ce moment-là de l'histoire américaine, un personnage aspirant lui-même au gigantisme historique, tout prêt à consommer l'union d'une mythologie et d'une mythomanie particulière, constitue le phénomène johnsonien dans son essence. Sans doute, ne peut-on traiter de " fabulateur " un homme d'Etat disparu sans s'exposer au reproche d'inconvenance. Mais quel simple mortel n'éprouve le besoin d' " en rajouter " sur lui-même et de se protéger en projetant sa propre légende ? Que ce besoin ait pris chez Johnson des proportions hors du commun est une réalité qui ne contribua pas peu à déconcerter, puis à rebuter ses compatriotes. Chacun sait que Lyndon Baines Johnson est né, le jeudi 27 août 1908, dans un hameau presque sans nom de l'arrondissement de Gillespie, à proximité d'Austin, la capitale du Texas. Le père du futur trente-sixième président des Etats-Unis, Sam Ealy Johnson, législateur texan à ses heures, et sa mère, Rebekah Baines, s'essaient à divers commerces, mais vont de revers en revers. Pourtant ils seraient les derniers à se regarder comme des " petits Blancs ". En bons Sudistes, ils ont un arbre généalogique touffu. Les déboires répétés de ses parents et l'instabilité qui s'ensuit développeront un puissant désir de revanche sur la vie chez le seul fils à avoir vraiment réussi. A partir d'un maigre lopin acheté dans les parages de la pauvre cabane où il vit le jour, Johnson ne cessera d'arrondir et de moderniser un " ranch " spacieux, promu au sort de " parc historique " -sans parler du monumental mausolée de marbre qu'il fera édifier plus tard sur un terrain de l'université d'Etat, à Austin, pour recevoir dans un ordre majestueux les archives de la présidence Johnson. Ni l'étude ni l'enseignement ne seront le fort de L.B.J. A quinze ans, il sort du lycée ( " high school " ) de Johnson-City. Sa mère l'inscrira alors à l'école normale de San-Marcos. Enfin diplômé et à la tête d'un petit magot obtenu en se livrant à de médiocres industries, Lyndon Johnson est envoyé à Houston comme professeur de " diction publique " (public speech). C'est alors qu'il est remarqué par un collaborateur du magnat de l'élevage " King Ranch ", Richard M. Kleeberg, pour le compte duquel il avait déjà " dragué des suffrages " quelque temps avant parmi un électorat préférant la vénalité à la famine. L'argent fait très tôt son apparition dans la carrière de L.B.J., puisque, selon une version différente de la sienne, il serait entré au service de R. Kleeberg non sur un coup de chance, mais sur recommandation de l'avocat d'une firme de construction texane, Brown and Root, dont l'expansion suivra fidèlement la courbe de l'astre politique de M. Johnson. Au moment de sa retraite, sa fortune personnelle est appréciable, mais non fantastique. Il en doit le plus clair aux investissements recommandés par sa femme, " Lady Bird " (de son vrai nom de jeune fille Claudia Taylor), qui transformera une dot modique-son père tenait un " magasin général " et possédait quelques biens fonciers-en un solide réseau d'affaires centré autour d'une station de radio à Austin. Johnson se présente en 1937 à la députation dans la circonscription d'Austin, devenue vacante à la suite du décès de son représentant, James B. Buchanan, un conservateur d'avant le déluge de la grande crise. Le programme johnsonien est simple : soutien inconditionnel à Roosevelt. La récompense ne se fait pas attendre. L'année même de ce premier mandat, Roosevelt circonvient le président de la commission des affaires navales de la Chambre. La Navy, comme plus tard la NASA, découvre les avantages stratégiques du golfe du Mexique. Les commandes de l'Etat pleuvent. Après quatre ans seulement passés à la Chambre, le député d'Austin croit s'être assez démené pour briguer le siège sénatorial libéré par la mort, le 9 avril 1941, du sénateur Sheppard. Il mord la poussière. Il lui faudra attendre 1948 pour qu'il décroche son premier mandat sénatorial. Pendant la guerre, L.B.J. est l'un des premiers parlementaires à s'engager. Il est rappelé à Washington, F.D.R. ayant " mobilisé " au Capitole les représentants du peuple. Et puis, c'est la mort de Roosevelt, Truman et sa " doctrine ", que Johnson embrassera avec la même ferveur que l'anti-isolationnisme rooseveltien. Il est porté, en 1953, à la direction du groupe démocrate du Sénat. Les caprices et les excès de L.B.J. défrayent la chronique indiscrète de la capitale. Il en gardera un pli funeste. Il sera trop tard quand, pour se couler dans le moule d'un homme d'Etat hanté par " la place que lui fera l'histoire ", il tentera de s'assagir. C'est apparemment sans conviction qu'en 1960 Johnson cherchera, devant la convention de San Francisco, à disputer l'investiture démocrate à John Kennedy. Le vieux routier s'efface d'instinct et s'apprête à regagner ce Sénat qu'il ne contrôlera même plus si son parti enlève la Maison Blanche. C'est alors que se produit ce coup de théâtre aux conséquences immenses : Kennedy propose à Johnson d'être son colistier, et celui-ci accepte. Pour Johnson, les années 1960-1963 sont une nouvelle " traversée du désert " dans le sillage d'un président qui monopolise le pouvoir et la curiosité. Rien ne le prédisposait à jouer les seconds rôles à la merci d'un jeune premier dont les intimes le snobaient ouvertement. Ferait-il même partie du " ticket " de 1964 ? Des rumeurs, inspirées ou non, prédisaient que J.F.K. s'en débarrasserait. Survint le drame de Dallas. Avait-on sous-estimé Lyndon Johnson ou s'est-il alors surpassé ? C'est de main de maître qu'il assume la transition et transforme un deuil irréparable en une source d'énergie nationale intarissable. Johnson est élu en 1964 avec quinze millions de voix d'avance sur son faire-valoir inconscient : plus que Roosevelt au sommet de son prestige. Les premiers mois de 1965 sont un des grands moments du réformisme américain. Lyndon Johnson, l'irrésistible, fait voter programme sur programme innovateur par un Congrès qui a mauvaise conscience d'avoir bloqué tous les projets de J.F.K. : abolition des dernières discriminations raciales, aide généreuse à l'éducation, assistance médicale gratuite pour les citoyens de plus de soixante-cinq ans, assortie d'une extension de la dérisoire " sécurité sociale " en vigueur. De toute façon, l'euphorie sera sans lendemain. Les gaspillages et l'inflation l'assombrissent bientôt. L'enthousiasme unanimiste ne dure pas davantage. Le 7 août 1964, à la suite d'incidents nébuleux dans le golfe du Tonkin (mais malheur alors à qui se permet de les qualifier ainsi !), le Congrès adopte une résolution patronnée par Johnson et donnant à l'exécutif carte blanche pour riposter aux " actes d'agression " du Vietnam du Nord. En mars 1965, devant la détérioration de la situation sur le terrain, Johnson ordonne aux troupes américaines de participer aux engagements. Dès lors, c'est l' " escalade " d'un côté, la dégringolade de l'autre. Les manifestations pour la paix au Vietnam-qui n'auront jamais leur contrepartie dans un mouvement pour la " victoire " sur les champs de bataille-se multiplient et s'intensifient. Les membres du gouvernement ne peuvent plus parler en public sans craindre les injures, voire les projectiles. Le 31 mars 1968, Johnson tire les conséquences de ces défections et déclare à un pays incrédule et soulagé en même temps qu'il ne briguera pas un second mandat. ALAIN CLEMENT Le Monde du 24 janvier 1973

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