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Article de presse: OMC : rodage partiellement réussi

Publié le 22/02/2012

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9-13 décembre 1996 - C'est du 9 au 13 décembre, à Singapour, que se tiendra la première conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). On y fera le bilan des deux premières années de fonctionnement de la dernière-née des organisations internationales. Il y a trois ans exactement, les négociations de l'Uruguay Round touchaient à leur terme, sept ans après la conférence inaugurale de Punta del Este, un an après le compromis de Blair House qui avait débloqué la situation sur le plan agricole. L'accord de Marrakech fut signé au printemps de 1994, après que de nouveaux débats sur la clause sociale eurent menacé de remettre en cause le fragile équilibre. Il fallut encore quelques mois pour choisir un siège pour la nouvelle organisation internationale (Genève), ainsi qu'un directeur général pour remplacer l'Irlandais Peter Sutherland. Ce fut l'ancien commissaire européen, Renato Ruggiero, qui l'emporta, quelques mois après que, le 1er janvier 1995, l'OMC eut pris la place du secrétariat du GATT. Comment évaluer le bilan de ces deux années ? L'OMC héritait à sa naissance d'un accord portant sur le commerce des marchandises et d'un accord partiel sur les services (des pans entiers sur les services financiers ou les télécommunications en avaient été soustraits au dernier moment, afin de permettre la signature finale). Si une partie de l'accord de Marrakech portait sur des domaines déjà pratiqués dans le cadre du GATT, comme la poursuite de la diminution des tarifs douaniers, il contenait aussi des secteurs nouveaux (agriculture, textiles) ou des droits jusque-là peu défendus (propriété intellectuelle). L'accord comprenait enfin la création d'un mécanisme de surveillance et d'arbitrage des conflits, le coeur de l'OMC, qui devait peu à peu asseoir sa crédibilité vis-à-vis de ses mandants et administrés, ce en quoi le GATT avait toujours échoué. Sur ce dernier point, il est encore trop tôt pour juger des résultats. Les instances de l'OMC, qui compte maintenant 123 membres, ont été mises en place et ont, pour l'instant, bien fonctionné sur les premiers cas qui leur ont été soumis. Tant les Etats-Unis que l'Europe n'ont pas hésité à utiliser l'OMC pour régler leurs différends. C'est particulièrement symptomatique de la part des Etats-Unis, qui préféraient la stratégie de la canonnière aux joies du multilatéralisme. L'OMC a eu à juger de la portée exacte de l'appellation " coquille Saint-Jacques " (et l'Europe a été condamnée, à la demande de quelques pays sud-américains), du protectionnisme japonais en matière de pellicules photographiques (à la demande des Etats-Unis, ce qui revient à une affaire Kodak contre Fuji), et de la plainte européenne au sujet de la loi Helms-Burton portant sur les pays ayant des relations commerciales avec Cuba. Au total, ce sont une quarantaine de plaintes que l'OMC a eu à instruire durant ces deux premières années : si certaines relèvent de différends commerciaux classiques entre deux pays, d'autres sont des " affaires " beaucoup plus complexes, comme celles portant sur le régime d'importation des bananes de l'Union européenne ou le protectionnisme agricole sud-coréen. Les dossiers agricoles n'ont cependant pas été les plus épineux. La guerre des subventions céréalières, qui avait fait rage de 1986 à 1994, s'est éteinte avec la flambée des prix mondiaux et la disparition tant des restitutions communautaires que des primes américaines de juillet 1995 à octobre 1996. Le calme agricole a donc privé l'OMC de l'une de ses sources de conflits majeurs. Mais cela pourrait ne pas durer : avec la baisse des prix, les tensions semblent revenir, et l'agriculture sera au menu de Singapour, avec la volonté des pays du groupe de Cairns (ceux qui ne subventionnent pas leurs exportations agricoles) de lancer une nouvelle négociation agricole afin de réduire un peu plus les subventions les Etats-Unis, qui disposent maintenant d'une loi agricole (le Fair Act) totalement découplée de la production voient d'un assez bon oeil ce nouveau pavé dans la mare européenne. Pour les dossiers restés ouverts au lendemain de l'accord de Marrakech, le bilan de l'OMC est moins convaincant : sur les dossiers financiers, seul un accord " croupion " a pu être signé, et encore, sans la participation des Etats-Unis. Les négociations sur les télécommunications et le transport maritime ont pris un retard considérable. Il se pose en fait un problème de tactique. Logiquement, l'OMC devrait être un forum de négociation permanent et il n'y aurait plus besoin de " rounds ". Mais, prises individuellement, les négociations s'enlisent vite, et l'on en vient à regretter la dynamique de discussions plus globales au sein desquelles un dossier pouvait en compenser un autre : " Je cède sur les textiles, mais je gagne sur les services financiers. " Singapour pourrait être l'occasion de préparer l'agenda d'un nouveau round. Pour le remplir, les idées ne manquent pas : la poursuite de négociations agricoles et textiles, le problème des télécommunications et, plus largement, des technologies de l'information, outre la question des investissements étrangers (à la demande de l'Europe et du Canada), et celle de la corruption (à la demande des Etats-Unis). Enfin, deux problèmes majeurs demeurent entiers depuis les sommets de Rio et de Copenhague : l'environnement et la question sociale. Sur ces deux points, la ligne de partage passe entre le Nord et le Sud, affrontement classique dans les assemblées onusiennes, mais nouveau pour l'OMC, qui a surtout connu des conflits entre pays développés. La dernière réunion de préparation au sommet de Singapour a bien mis en évidence ces clivages. Ainsi, un noyau dur de pays émergents menés par l'Inde, la Malaisie et l'Indonésie, a bloqué toute référence aux questions sociales dans le projet de déclaration finale. De leur côté, les Etats-Unis et l'Europe se sont montrés fort réticents à un durcissement du protocole textile. En ce qui concerne les technologies de l'information (matériel informatique et de télécommunications), les Etats-Unis ont obtenu, lors de la réunion de l'APEC à Manille, un accord du bout des lèvres de la part des partenaires asiatiques pour la libéralisation totale des échanges en l'an 2000. Sur ce point comme sur d'autres, l'absence de la Chine à Singapour (elle n'est pas membre de l'OMC) sera un handicap majeur. Enfin, il faut s'attendre à quelques rudes passes d'armes entre les Etats-Unis et leurs partenaires (la France en particulier) sur l'application des lois Helms-Burton et d'Amato-Kennedy à propos de Cuba et de quelques autres ennemis des intérêts américains comme l'Iran et la Libye. Le diktat des Etats-Unis est de plus en plus mal supporté, et il faudra suivre avec attention les travaux de la commission d'arbitrage que l'OMC vient de créer à ce sujet. PHILIPPE CHALMIN Le Monde du 10 décembre 1996

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