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Article de presse: Le sort des criminels de guerre est au coeur du processus de paix en Bosnie

Publié le 22/02/2012

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- Le procureur du Tribunal pénal international (TPI) de La Haye sur l'ex-Yougoslavie, Louise Arbour, déplorait, il y a quelques jours, que les criminels de guerre " se sentent en sécurité absolue " dans le secteur français de l'OTAN en Bosnie-Herzégovine. Mm Arbour, en insistant sur la zone française, soulignait une " non- coopération " générale avec le TPI, qu'elle opposait au " modèle " offert par la Grande- Bretagne. C'est un commando britannique qui avait réalisé la première opération contre des criminels de guerre. Les Américains, fermes dans leurs déclarations, ne les traduisent guère en actes, hésitant à s'attaquer aux ex-belligérants et frileux à force d'imposer à leur armée le concept de " zéro mort " . Les Français, eux, se méfient de la justice internationale, des Etats-Unis, des Bosniaques... ce qui ne les incite guère à l'action. Sans parler d'un pro-serbisme tenace dans les rangs militaires. Or s'attaquer aux criminels de guerre, c'est s'attaquer surtout à des Serbes. L'armée bosniaque (à majorité musulmane) a commis très peu de crimes ; les exactions répertoriées côté musulman concernent des sévices infligés dans une prison par un quatuor de maniaques. De plus, Sarajevo coopère avec le TPI, et a livré les accusés musulmans. L'armée de Croatie et les séparatistes bosno-croates ont, eux aussi, commis des crimes dont les méthodes rappellent celles de l'armée et des milices serbes. L'ampleur n'est cependant pas comparable, et Zagreb vient de renouer des relations longtemps tendues avec le TPI en incitant dix accusés croates à se livrer. Les deux inculpés croates les plus hauts gradés sont incarcérés : Tihomir Blaskic et Dario Kordic, un proche du président Franjo Tudjman. Seuls les Serbes n'ont jamais livré un accusé au Tribunal pénal international. Dusko Tadic, dont le procès s'est achevé cette année par une condamnation à vingt ans de prison, a été arrêté en Allemagne. Le général Djordje Djukic, arrêté à Sarajevo, a été transféré à La Haye, avant d'être renvoyé, mourant, finir ses jours à Belgrade. Slavko Dokmanovic, l'ancien maire de Vukovar (en Croatie), accusé d'avoir participé au massacre de 261 patients de l'hôpital de la ville, a été arrêté en juin par un commando occidental agissant sous mandat de l'ONU. Milan Kovacevic, accusé d'avoir planifié un " génocide " dans la région de Prijedor, a été arrêté en juillet par le commando britannique qui a, lors de l'opération à Prijedor, abattu Simo Drljaca, également recherché par le TPI. On a appris, à l'occasion des arrestations de Vukovar et de Prijedor, que le tribunal de La Haye avait instauré une nouvelle procédure. Mme Arbour a pris la décision de ne plus publier les actes d'accusation ni les noms des inculpés, souhaitant avoir un prétexte supplémentaire (les accusés ne sont pas sur leur garde) pour convaincre les Occidentaux de procéder à des arrestations. Il existe donc un nombre inconnu d'actes d'accusation tenus secrets. Cela peut également inciter certains " criminels de guerre " à garder un profil bas. Ce n'est pas le cas de tous les coupables de crimes de guerre en ex-Yougoslavie, y compris de ceux qui figurent sur la liste officielle du TPI. Si des accusés se sont volatilisés, d'autres mènent une vie paisible et vaquent à leurs occupations ; d'autres sont encore moins discrets, selon des informations recueillies auprès de sources militaires occidentales. Simo Drljaca était l'un de ces exubérants qui clament aux terrasses des cafés qu'ils abattront tout soldat de l'OTAN qui tenterait de les arrêter. C'est ainsi que vivent, à Prijedor, les frères Banovic, attablés le jour au restaurant Express et la nuit à la discothèque Pacifica. La première opération britannique a toutefois modifié le jeu dans cette région. Certains accusés, craignant une poursuite des arrestations et se méfiant des policiers de Biljana Plavsic, la présidente de République serbe qui coopère quelque peu avec la communauté internationale, seraient partis, selon une source occidentale, vers les zones américaine et surtout française. Leurs destinations seraient Bijeljina et Zvornik (secteur américain), Pale, Foca et Visegrad (secteur français). D'où l'accusation de Mm Arbour d'une zone française qui serait un sanctuaire pour les criminels de guerre. De plus, la police serbe y est très étroitement contrôlée par l'ancien " président " Radovan Karadzic. Lui-même réside à Pale, d'où il continue à gouverner le pays. A Pale et à Foca, les accusés paraissent vivre en paix. Certains y possèdent des magasins et des cafés. Dragan Gagovic, l'un des créateurs des " camps de viols " de Foca, partage son temps entre son bar et l'école de police où il est instructeur. Parfois, certains font des blagues. Radovan Stankovic, accusé de " viols systématiques, crimes sexuels et actes de torture " , est entré l'an dernier dans une station de police de l'ONU pour... déposer une plainte. Gojko Jankovic s'est présenté aux premières élections de l'après-guerre, avant que l'OSCE ne l'exclue des listes. Certaines têtes d'affiches sont à peine plus discrets. Milan Martic, l'ancien " président " de la " République serbe de Krajina " , accusé d'avoir ordonné le bombardement de Zagreb, coule des jours paisibles à Banja Luka, au 88 de la rue Milosa Oblica, à cent mètres d'une station de police de l'ONU et d'un bureau de l'OTAN. Et l'ancien commandant de l'armée serbe Ratko Mladic, le plus sanguinaire de tous les chefs de cette guerre, ordinairement invisible, s'offre parfois le luxe, comme en juin, d'aller festoyer dans un palace de Belgrade, en Serbie. C'était à l'occasion du mariage de son fils. Les criminels de guerre n'ont guère de raisons d'être inquiets. Peut-être les moins connus devraient-ils être les plus prudents. Les armées et les pouvoirs politiques occidentaux ne semblent avoir aucune envie de s'attaquer aux personnages de fort calibre, par crainte notamment des représailles qui pourraient s'abattre sur leurs contingents. Reste le cas des " criminels de guerre " qui ne sont pas inquiétés par le TPI (sauf s'ils figurent sur la liste secrète). Les témoignages des survivants et l'étude des événements sont pourtant confondants. Velibor Ostojic, l'ordonnateur des " camps de viols " de Foca, est président de la Commission des droits de l'homme du gouvernement tricéphale bosniaque. Vojislav Seselj, le chef d'une des unités paramilitaires les plus féroces du pays, Les Aigles blancs, est candidat à la présidence de Serbie lors de l'élection de dimanche prochain. Zeljko Raznjatovic " Arkan " , le chef des Tigres, continue sa carrière politique et ses activités commerciales à Belgrade. Reste enfin le cas des partenaires des Occidentaux, de Franjo Tudjman, président de Croatie, et surtout de Slobodan Milosevic, président de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Ce dernier, en signant la paix à Dayton, a-t-il effacé d'un trait de crayon son passé de chef de guerre ? Il a ordonné ou encouragé l'immense majorité des atrocités commises par la soldatesque serbe. REMY OURDAN Le Monde du 19 décembre 1997

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