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Les arts de la durée

Publié le 06/04/2011

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   La durée est d'abord rythme, c'est-à-dire succession périodique de tensions et de détentes, de mouvements et de repos, comme la vie même. Que ce soit Pascal, notant que l'âme, jetée dans le corps, y trouve le nombre, ou Kant considérant le temps comme le cadre naturel de notre expérience interne1, les philosophes s'accordent avec les savants pour saisir dans les manifestations de rythmes biologiques (rythmes cardiaque, pulmonaire...) les assises des autres rythmes humains (travail du rameur, du bûcheron, du récitant, du danseur, etc.) et la structure de notre durée, c'est-à-dire de notre manière de vivre le temps et de le sentir comme tel.    Définition. Nous appelons donc arts de la durée les arts qui extériorisent le nombre, à partir des possibilités que nous offrent les pulsions naturelles, et qui, d'abord donnent un aspect formel à des nécessités immédiates. Ces arts sont la danse, la musique et la poésie. Ils se rattachent aux conditions de notre action, la prennent pour fin, en lui imposant la discipline des alternances, des variations et des retours, ressentis comme des valeurs esthétiques.

« Il l'est selon la mélodie et l'harmonie, c'est-à-dire dans la succession et la simultanéité, grâce à des groupementsd'écarts ou gammes, variables selon les inventions et les habitudes locales1 La musique engendre ainsi desspéculations techniques d'allure mathématique, mais surtout permet la création d'habitudes mentales, de formes depensée où les rapports de tons par les valeurs mettent en cause directement un substrat psychologique, sansl'intermédiaire de mots ni de concepts. La pensée musicale n'est pas la traduction d'une idée, d'abord formulée grâce à des images verbales, pas plus qu'ellen'est une description d'un sentiment ou d'un paysage.

Le titre qui vient couronner tel morceau de musique estsouvent choisi, en fonction, si l'on peut dire, d'une ressemblance trouvée après coup.

Il n'est pas l'expression d'unevolonté descriptive préexistant à l'œuvre.

Un musicien contemporain avouait avoir lié le projet d'un va-et-vientthématique à l'image des mouvements d'un fauve en cage : mais, une fois le morceau achevé, c'est le rythme d'unelocomotive que lui faisait évoquer sa musique, dont, par ailleurs, la construction était uniquement le produit d'unenécessité logique, proprement technique et sonore. C'est que la musique a ses lois rigoureuses, non pas imposées mais déduites, et dont les volumineux traitésd'harmonie et de contre-point expriment l'obligatoire et rationnelle tyrannie.

Mais la puissance propre audéveloppement musical éveille chez l'auditeur une certaine couleur de conscience et donne à l'œuvre sa significationpsychologique.

C'est ainsi que, par exemple, la spiritualité d'un Jean-Sébastien Bach est, avant tout, l'effet d'unesuccession stricte, amorcée par un rythme et un ton donnés.

Dans le même sens, Delacroix note, après quelquesheures passées avec Chopin, que, de l'aveu du musicien, les fameux Préludes n'étaient pas d'abord une expressionsentimentale, mais les brefs développements d'un donné initial selon une logique implacable. Enfin l'existence de formes caractérisées, comme la fugue, les thèmes et variations, montre que le beau musical nerefuse pas de se laisser enfermer en des moules qui se sont révélés à l'épreuve comme portant une sorte deperfection, définitivement réglée.

Les éléments multiples de ces « possibles » théoriques constituent le langagemusical.

Certes, celui-ci varie dans le temps et l'espace, mais il n'en existe pas moins comme un tout, où lespostulats ne se justifient que par les valeurs qu'ils permettent de créer, valeurs par lesquelles le traitement d'unematière peut exprimer les formes de l'esprit. La poésie.

Le point de départ de la poésie, comme celui de la danse et de la musique, est la production, sur la tramede notre durée, d'un rythme à la fois sensible et rationnel, c'est-à-dire immédiatement saisissable et cependantréductible à la mesure.

Tout, d'ailleurs, dans la poésie est rythme et concourt au maintien du rythme: accentuation,alternance des brèves et des longues, rimes même.

Le développement des sonorités en général ne cesse, en effet,de s'ajouter au sens que les mots employés dans le poème apportent par eux-mêmes, — et ces sonorités ne valentd'abord que par le rythme. Aussi la poésie est-elle peut-être le prolongement du geste avant d'en être le substitut.

Née probablement en mêmetemps que la danse, elle est sans doute d'abord un moment de la danse, l'exclamation qui pousse la gesticulation audelà d'elle-même, le mot sonore qui en marque le rythme.

(On peut encore entendre lors de certaines dansespopulaires, les acteurs pousser un cri ou s'exclamer à certains temps).

Autrement dit, la poésie serait à la fois danseet musique, étroitement liée à une activité dont l'efficience ne se limite pas à l'action réelle.

De fait, la poésie estincantation, c'est-à-dire incorpore aux gestes et aux sons les mots qui, bientôt, deviennent le lieu même desvaleurs rythmiques et sonores, auxquelles se superposent les valeurs proprement verbales et significatives.

Dès lors,au delà des possibilités de l'action, la poésie ne cesse de susciter les états psychologiques eux-mêmes, puisqu'elleutilise les mécanismes spontanés de l'apparition des mots dans une pensée descriptive et interrogatrice. Ce que nous avons dit du sentiment de la nature et du lyrisme trouve surtout son expression dans le langagepoétique, soumis, comme celui de la musique, à des lois à la fois singulières et collectives, grâce auxquelles le poètes'efforce, comme dit Mallarmé, de Donner un sens plus pur aux mots de la tribu, c'est-à-dire de rendre à la parole sa valeur esthétique au delà de l'utile.. »

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