Devoir de Philosophie

Les Aveugles, de Baudelaire. Commentaire.

Publié le 17/02/2012

Extrait du document

baudelaire

B A U D E L A I R E
L E S    A V E U G L E S

 

Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux ! Pareils aux mannequins; vaguement ridicules; Terribles, singuliers comme les somnambules; Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie, Comme s'ils regardaient au loin, restent levés Au ciel;  on ne les voit jamais vers les pavés Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité, Ce frère du silence éternel. O cité, Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité, Vois! je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété, Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?

Les Fleurs du mal  (XCII)

Expliquez méthodiquement ce sonnet.

Poésie morbide et malsaine! On serait tenté de porter cette appréciation uniforme sur chacun des morceaux de ce livre « atroce « qui a nom Fleurs du Mal. Ce sonnet parut le 15 octobre 1860, dans une revue éphémère, VArtiste. A cette époque, Baudelaire est un malade incurable déjà. Depuis longtemps, il se plaint d'insomnies et use de narcotiques à hautes doses. Le chercheur de Paradis artificiels récolte ce qu'il a semé. Au lieu de jouissances paradisiaques : des cauchemars, des essoufflements, des palpitations, des réveils en sursaut, accompagnés d'angoisses et de sueurs glacées; à l'état de veille, des migraines, des lassitudes extrêmes. Au début de cette même année, il a été alerté par une première congestion cérébrale. Entre l'homme et les vers existe une relation fatale...

baudelaire

« lumiere qui brille pour lui dans l'autre monde, plein de consolation, d'espe- ranee, de beatitude.

» N'exagerons pas toutefois l'influence du conteur allemand sur notre porte; it a pu ebranler son imagination, lui suggerer une idee, mais ces vers sont du pur Baudelaire.

Nous y trouvons : 1° Un « tableau parisien » tres evocateur; 2° L'expression d'un etat Warne douloureux; 3° Un talent bien personnel. Le tableau nous frappe tout d'abord.

Il evoque a la fois les Aveugles, le Paris qui s'amuse et le Poete malheureux.

Les Aveugles sont au premier plan.

Le sonnet commence et finit par eux; mais ils sont situes dans in capitale du plaisir, ils sont contemples par un desabuse.

Ellen de plus curieux que de comparer les Aveugles de Baudelaire it l'Aveugle (1) de Theophile Gautier.

Le rapprochement s'impose presque quand on sait l'admiration de Baudelaire pour Theo, qu'il appelle « le maitre et mon maitre », comme aussi ramitie de Gautier pour ce disciple compromettant.

C'est, croyons-nous, un excellent moyen de mieux com- prendre l'art original des deux peintres, et d'apprecier chacun a sa juste valeur.

Gautier a peint l'Aveugle classique : celui qui porte sur la poitrine une pancarte, sur qui veille son fidele toutou, et qui joue « au coin d'une borne » de la flute ou de la clarinette.

L'ceil exerce de rartiste a fixe quelques traits saillants de sa physionomie : it est « hagard comme au jour un hibou »; it joue du flageolet « d'un air morne » ; it marche, guide par son chien, spectre diurne dormant Peinture objective, notations exactes, mais sans grande emotion.

On regarde et on passe. Les Aveugles de Baudelaire s'imposent a nous; ils nous suivent comme une obsession quand nous les avons « contemples 2.

avec le porte.

C'est que, tout en les peignant, lui aussi, d'apres nature, it les a dramatises de plus puissante facon.

La vision de Gautier s'eparpille en details; it a re marque que son aveugle «tatonne en se trompant de trou » et « joue un ancien vaudeville qu'il fausse imperturbablemenf », etc...

Ici, les details secondaires disparaissent : plus de chien, de flageolet, de borne : toute notre attention est coneentree sur les yeux la divine etincelle est pantie » et sur In demarche, l'attitude des aveugles.

Nous n'avons plus devant nous l'un de ces malheureux qui exploitent leur infirmite, mais la foule plus considerable de ceux dont nous ignorons, en les rencontrant, les moyens d'existence.

Ce portrait est plus universe! (2).

11 n'est pas moins exact et plus evocateur.

Au lieu de retenir ce que chacun peut observer, Baudelaire pousse plus loin ses investigations, insiste sur des caracteres qui echappent au vulgaire et ne se revelent qu'aux « con - templateurs ».

Its sont vraiment af f reux.

Non pas laids, ni antipathiques, mais effrayants; ils inspirent une sorte d'horreur sacree.

Its marchent it la maniere des automates, pareils aux mannequins.

Trait realiste.

Et cette demarche mecanique les rend vaguement ridicules, un peu, comme it colin- maillard, he joueur dont les yeux sont recouverts d'un bandeau, et qui tatonne dans le noir et le vide.

Aux «spectres nocturnes », irreels, Baude- laire substitue les Somnambules, qui, effectivement, ont l'air singuliers et terribles.

Le dernier vers du premier quatrain insiste sur le trait essentiel, celui qui traduit une attitude propre aux aveugles : Dardant on ne sait oil !ears globes tenebreux. Avec le second quatrain apparait un autre detail important : c'est au cier que semblent regarder ces aveugles; jamais leur tete ne se penche vers. la terre.

Le premier tercet definit leur marche : Its traversent ainsi le noir illimite... Gautier s'est erre* plus complaisamment sur ce point, et avec succes : Les fours passent sur lid sans luire;Sombre, it entend le monde obscur Et la vie invisible bruire Comme un torrent derriere un mur... (1) Cette poesie se trouve dans les Pages choisies de Gautier, « Classiques Larousse s,. p.

46. (2) Reconnaissons pourtant que tous les aveugles n'ont pas cet air sinistre et que tous ne fixent pas ainsi le del.

Vision subjective. lumière qui brille pour lui dans l'autre monde, plein de consolation, d'espé­ rance, de béatitude. » N'exagérons pas toutefois l'influence du conteur allemand sur notre poète; il a pu ébranler son imagination, lui suggérer une idée, mais ces vers sont du pur Baudelaire.

Nous jr trouvons : 1° Un «tableau parisien » très évocateur; 2° L'expression d'un état d'âme douloureux; 3° Un talent bien personnel.

* * Le tableau nous frappe tout d'abord.

Il évoque à la fois les Aveugles, le Paris qui s'amuse et le Poète malheureux.

Les Aveugles sont au premier plan. Le sonnet commence et finit par eux; mais ils sont situés dans la capitale du plaisir, ils sont contemplés par un désabusé.

Rien de plus curieux que de comparer les Aveugles de Baudelaire à lfAveugle (1) de Théophile Gautier.

Le rapprochement s'impose presque quand on sait l'admiration de Baudelaire pour Théo, qu'il appelle « le maître et mon maître », comme aussi l'amitié de Gautier pour ce disciple compromettant.

C'est, croyons-nous, un excellent moyen de mieux com­ prendre l'art original des deux peintres, et d'apprécier chacun à sa juste valeur.

Gautier a peint l'Aveugle classique : celui gui porte sur la poitrine une pancarte, sur qui veille son fidèle toutou, et qui joue « au coin ôrune borne » de ia flûte ou de la clarinette.

L'œil exercé de l'artiste a fixé quelques traits saillants de sa physionomie : il est « hagard comme au jour un hibou » ; il joue du flageolet « d'un air morne » ; il marche, guidé par son chienr spectre diurne à l'œil dormant ». Peinture objective, notations exactes, mais sans grande émotion. On regarde et on passe.

Les Aveugles de Baudelaire s'imposent à nous; ils nous suivent comme une obsession quand nous les avons « contemplés » avec le poète.

C'est que, tout en les peignant, lui aussi, d'après nature, il les a dramatisés de plus puissante façon. La vision de Gautier s'éparpille en détails; il a re­ marqué que son aveugle « tâtonne en se trompant de trou » et « joue un ancien vaudeville qu'il fausse imperturbablement », etc.

Ici, les détails secondaires disparaissent : plus de chien, de flageolet, de borne : toute notre attention est concentrée sur les yeux « d'où la divine étincelle est partie » et sur la démarche, l'attitude des aveugles.

Nous n'avons plus devant nous l'un de ces malheureux qui exploitent leur infirmité, mais la foule plus considérable de ceux dont nous ignorons, en les rencontrant,, les moyens d'existence.

Ce portrait est plus universel (2).

11 n'est pas moins exact et plus évocateur. Au lieu de retenir ce que chacun peut observer, Baudelaire pousse plus loin ses investigations, insiste sur des caractères qui échappent au vulgaire et ne se révèlent qu'aux « con­ templateurs ».

Ils sont vraiment affreux.

Non pas laids, ni antipathiques, mais effrayants; ils inspirent une sorte d'horreur sacrée. Ils marchent à la manière des automates, pareils aux mannequins.

Trait réaliste. Et cette démarche mécanique les rend vaguement ridicules, un peu, comme à colin- maillard, le joueur dont les yeux sont recouverts d'un bandeau, et qui tâtonne dans le noir et le vide.

Aux «spectres nocturnes », irréels, Baude­ laire substitue les Somnambules, qui, effectivement, ont l'air singuliers et terribles.

Le dernier vers du premier quatrain insiste sur le trait essentiely celui qui traduit une attitude propre aux aveugles : Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Avec le second quatrain apparaît un autre détail important : c'est au ciel que semblent regarder ces aveugles; jamais leur tête ne se penche vers la terre.

Le premier tercet définit leur marche : Ils traversent ainsi le noir illimité...

Gautier s'est arrêté plus complaisamment sur ce point, et avec succès : Les jours passent sur lui sans luire; Sombre, il entend le monde obscur Et la vie invisible bruire Comme un torrent derrière un mur...

(1) Cette poésie se trouve dans les Pages choisies de Gautier, « Classiques Larousse »».

p.

46.

(2) Reconnaissons pourtant que tous les aveugles n'ont pas cet air sinistre et que tous, ne fixent pas ainsi le ciel.

Vision subjective.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles