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BAUDELAIRE: POÈMES EN PROSE

Publié le 25/06/2011

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baudelaire

Il est difficile de fixer avec précision le moment où Baudelaire a commencé de songer au poème en prose. Sans doute la première idée lui en est-elle venue de très bonne heure. Mais c'est seulement en 1857 qu'il mentionne parmi ses projets un volume de pallies nocturnes, quelques mois avant d'en publier six sous ce titre dans Le Présent, le 24 août, au moment même où vient de se terminer le procès que lui ont valu les Fleurs du Mal. Cette formule, si peu précise qu'elle soit, l'est encore trop pour les textes qu'elle qualifie, et dont un seul, Le Crépuscule du soir, peut à la rigueur justifier l'épithète de nocturne. Mais on ne saurait l'appliquer à La Solitude, aux Projets, à L'Horloge, La Chevelure ou L'Invitation au voyage. Cependant, sans «en publier d'autres, il s'en tient à cette désignation jusqu'au début de i861. Puis au moment où il en groupe neuf  (dont trois nouveaux seulement) dans la Revue Fantaisiste, le i er novembre, il abandonne toute précision et les nomme simplement : Poèmes en prose. Apparemment, ce titre ne le satisfait pas. On se rappelle en effet « l'horreur « qu'il manifestait à l'égard de la plaquette et de l'album, quand il s'agissait des Fleurs du Mal. Bien que pour les poèmes en prose il n'ait jamais été question d'un livre qui eût un commencement et une fin, il semble qu'il ait cherché tout au moins à les grouper sous une idée générale, envisageant tour à tour comme titres possibles Le Promeneur solitaire, Le Rôdeur parisien, La Lueur et la Fumée, « titre qui rend bien mon idée « (?), Rêvasseries.

baudelaire

« finale.

Ses longues hésitations elles-mêmes le confirment : la forme qu'il a donnée au poème en prose lui a étéimposée par son génie, indépendamment de toute idée préconçue.

Seulement, s'il s'écarte bien loin de son modèle,ce n'est pas pour être resté en-deçà, mais pour l'avoir dépassé.Sa première tentative remonte peut-être à La Fanfarlo, si l'on prend à la lettre le passage suivant : « Au lieud'admirer les fleurs, Samuel Cramer, à qui la phrase et la période étaient venues, commença à mettre en prose et àdéclamer quelques mauvaises stances composées dans sa première manière.

» Si l'expression est volontairementambiguë, le morceau qu'elle introduit confirmerait notre interprétation, ainsi qu'on peut en juger par ces quelqueslignes : « Écoutez en esprit les valses subites de ce piano mystérieux.

Les parfums de l'orage entrent par lesfenêtres ; c'est l'heure où les jardins sont pleins de robes roses et blanches qui ne craignent pas de se mouiller.

Lesbuissons complaisants accrochent les robes fuyantes, les cheveux bruns et les boucles blondes se mêlent entourbillonnant ! » C'est ici qu'on pourrait voir, dans un registre légèrement différent, une forme qui s'inspired'Aloysius Bertrand, et qui recherche directement l'effet poétique.Après cette page à demi-parodique, il semble que Baudelaire ait abandonné toute inspiration de ce genre.

Etsoudain, en 1855, de la façon la plus inattendue, sans introduction ni explication, il publie dans le recueil collectif deFontainebleau ses deux premiers poèmes en prose : Le Crépuscule du soir et La Solitude.

Ce qu'il y a de singulier,c'est que dans la lettre à Fernand Desnoyers dont il « coiffe » son envoi, il annonce « deux morceaux poétiques »,c'est-à-dire Les deux Crépuscules en vers, et ne dit pas un mot des deux morceaux suivants.

Timidité ? incertitudesur leur valeur ? Mais ils sont signés.

Croyons plutôt qu'il s'est décidé au dernier moment à les joindre aux autres, etc'est là encore un nouveau signe d'hésitation.Ces deux textes diffèrent beaucoup de leur forme définitive.

Ils ne constituent qu'un poème en deux parties,considérablement plus courtes, surtout la première, que la version de 1864, retenue dans l'édition posthume.

Mais ladifférence la plus frappante est qu'ils sont divisés en strophes à peu près égales, comme dans Gaspard de la Nuit.

Leton est déjà tout autre, ainsi que le sujet, tous deux beaucoup plus proches de la réalité immédiate.

MaisBaudelaire, qui visiblement procède par tâtonnements, n'a pas encore façonné l'instrument parfait.Car il s'agit bien d'un instrument nouveau, chargé d'une fonction nouvelle, elle aussi.

Si l'on y regarde de près, onreconnaîtra que la plupart des sujets traités dans Le Spleen de Paris se prêteraient mal à la forme versifiée, dumoins telle que Baudelaire la pratique.

Il n'y en a guère que cinq ou six qui soient communs aux deux recueils, maisc'est là un exercice de virtuosité, le même thème repris sur deux instruments différents.

Aussi nous ne saurionssuivre les commentateurs qui voient dans le poème en prose la première version telle qu'elle se présente à l'auteur,une sorte de canevas destiné à être mis en vers s'il en a le temps, le courage et le talent.

Certains sont allésjusqu'à dire que Baudelaire n'est pas un vrai poète : il pense en prose...

Le raisonnement ne vaut pas grand choseen lui-même.

Vigny, pour ne citer que lui, établissait souvent un canevas en prose avant d'en tirer un poème.

Nousne savons pas si Baudelaire a jamais procédé ainsi, mais ce n'est assurément pas le cas pour ses poèmes en prose.Il y a d'abord des raisons positives d'en douter.

Le passage de La Fanfarlo que nous avons cité spécifie quel'opération s'est faite en sens inverse : elle a consisté à mettre en prose a quelques mauvaises stances », et peut-être en effet s'agit-il d'un poème de jeunesse dont quatre vers seulement nous sont parvenus, que rappelle la prosede La Fanfarlo : Il aimait à la voir, avec ses jupes blanches,Courir tout au travers du feuillage et des branches,Gauche et pleine de grâce, alors qu'elle cachaitSa jambe, si la robe aux buissons s'accrochait... La même Fanfarlo présente un autre exemple de vers mis en prose, dans le paragraphe : « Le temps était noircomme la tombe »...

Un poème signé de Prarond, dans le recueil de 1843, en a, sans aucun doute possible, fourni lasubstance.

Citons seulement ces deux vers : Le ruisseau, lit funèbre où s'en vont les dégoûts,Charrie en bouillonnant les secrets des égouts... et la phrase correspondante : « Le ruisseau, lit funèbre où s'en vont les billets doux et les orgies de la veille, charriait en bouillonnant ses millesecrets aux égouts »...

C'est même là un des rapprochements les plus troublants parmi ceux qui étayent la conjecture d'une collaborationcachée de Baudelaire à ce fameux recueil.

L'argument n'est pas décisif, car Baudelaire a pu fort bien utiliser des versqui n'étaient pas de lui.

Il a pu aussi bien fournir quelques vers à Prarond sans être l'auteur du poème entier.

Maispeu importe.

Ce qui nous frappe, c'est que l'utilisation en prose a suivi, et non précédé, la rédaction en vers.

Il y aégalement toutes les apparences que L'Invitation au voyage en prose soit postérieure au poème des Fleurs du Mal.Celui-ci, selon plusieurs indices assez probants, semble avoir été conçu au début de 1848.

L'autre, publié en 1857,deux ans après le premier, est beaucoup plus développé.

Il désigne la Hollande avec des détails précis queBaudelaire avait probablement recueillis dans des articles ou à l'occasion d'une .exposition dont il avait eu. »

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