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Bergson: Une oeuvre géniale, qui commence par déconcerter

Publié le 20/04/2004

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bergson
Une oeuvre géniale, qui commence par déconcerter, pourra créer peu à peu par sa seule présence une conception de l'art et une atmosphère artistique qui permettront de la comprendre ; elle deviendra alors rétrospectivement géniale : sinon, elle serait restée ce qu'elle était au début, simplement déconcertante. Dans une spéculation financière, c'est le succès qui fait que l'idée avait été bonne. Il y a quelque chose du même genre dans la création artistique, avec cette différence que le succès, s'il finit par venir à l'oeuvre qui avait d'abord choqué, tient à une transformation du goût du public opérée par l'oeuvre même ; celle-ci était donc force en même temps que matière ; elle a imprimé un élan que l'artiste lui avait communiqué ou plutôt qui est celui même de l'artiste, invisible et présent en elle. Bergson- Le texte tente d'expliquer comment une oeuvre d'abord déconcertante finit par s'imposer comme rétrospectivement « géniale » - cela suppose une double transformation : de la définition de l'art et du goût du public. - La comparaison proposée avec la spéculation financière permet de préciser l'efficacité de l'oeuvre sur le goût général. - D'où vient cette efficacité ? De la « force » de l'oeuvre, de son « élan », c'est-à-dire finalement de l'élan de l'artiste, toujours actif dans l'oeuvre.
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« agisse, il y a aussi le goût qui est modifié par l'oeuvre.

Or l'oeuvre, sous-entend Bergson, n'est passeulement idée : elle est au moins idée matérialisée (il n'est pas certain qu'il y ait là un souvenir de ladéfinition hégélienne de l'art comme « manifestation sensible d'une idée », mais le rapprochement entre lesdeux formules est tentant).Cette existence « matérielle » renvoie à l'allusion antérieure à la « présence » de l'oeuvre, et confirme quec'est par la sensibilité que passe la modification du goût : c'est en faisant l'épreuve de formes nouvelles, dedispositions chromatiques inédites, ou d'une écriture neuve, que le public renonce progressivement à sadéfinition antérieure de l'art (qui l'informait de ce qu'il « doit être ») pour accueillir finalement ce qu'il refusaitd'abord.

C'est donc parce qu'elle est inscrite dans une « matière » que l'idée sera validée : les nouvellesexpériences sensibles seront effectuées parallèlement à la constitution d'une autre définition de l'art, pluslarge.

On pourrait aisément illustrer un tel processus : Kandinsky constate d'abord qu'il lui est possible depeindre sans figurer, et sa version de l'abstraction (qui suppose en effet un élargissement de la définition dela peinture) ne sera admise qu'après qu'un certain public – d'ailleurs constitué, au départ, d'artistes – aurapu constater visuellement qu'en effet la peinture non figurative est possible.

[III.

L'« élan » de l'oeuvre] L'oeuvre finit par s'imposer grâce à la force qu'elle possède.

On ne peut admettre que cette dernièrecoïnciderait simplement avec sa « matière », et il faut au contraire comprendre qu'elle vient en quelque sortes'ajouter à cette présence matérielle qui fait l'oeuvre : il y a dans l'oeuvre une sorte d'insistance, dans sasingularité même, qui attire l'attention et amène les spectateurs à s'intéresser à ses propositions neuves.À quoi peut être due une telle « insistance » ? Au fait, sans doute, que ce qui succède à l'oeuvredérangeante ne parvient pas à en épuiser la puissance d'innovation, n'est jamais en quelque sorte à sonniveau, ne présente pas un coefficient aussi élevé d'éléments perturbants.

Et cela doit être admis mêmedans les cas où l'oeuvre acquiert finalement le statut de moment initial d'une école ou d'un courant, c'est-à-dire si ce qu'elle proposait se diffuse de proche en proche à travers d'autres oeuvres, émanant d'autresartistes.

Ainsi Manet, si moqué à son époque, continue aujourd'hui à être reconnu comme l'initiateur de lapeinture moderne – bien que les solutions plastiques qu'il inaugure (ébranlement de la perspective, abandonde la hiérarchie des genres, conception du tableau comme peinture avant d'être représentation) aientjusqu'à nos jours une descendance innombrable.

On devrait même considérer que le nombre de « disciples »(au sens très large) confirme l'importance des innovations proposées.Il est alors compréhensible que Bergson finisse par nommer l'élan même de l'artiste, « invisible et présent»dans son oeuvre.

C'est d'abord parce qu'il n'y a pas d'invention sans inventeur, ou de création artistiquesans créateur.

À ce dernier doit donc être attribuée la puissance que recèle l'oeuvre « géniale » – ce quimène à considérer que l'artiste demeure bien « présent » dans son oeuvre, parce que ses propositions yrestent actives : c'est bien à lui, comme responsable initial, que renvoient l'idée matérialisée, l'élaboration del'oeuvre, le travail accompli et sa puissance déconcertante.

Mais cette personnalisation de l'oeuvre peutêtre modulée, dans la mesure où elle témoigne d'une conception elle-même historique de l'art, qui correspondd'ailleurs à l'apparition d' oeuvres éventuellement déconcertantes, c'est-à-dire à ce que l'on attend de l'artmoderne tel qu'il commence vers 1865-1870. [Conclusion] Rendant compte des processus grâce auxquels une oeuvre refusée finit par être reconnue, Bergson évite, dumoins dans cet extrait, d'aborder un problème conjoint, concernant la multiplicité des réceptions possibles.En soulignant la présence durable de l'artiste dans son travail, il suggère que tout le sens de ce dernierpourrait être déterminé par l'artiste lui-même.

Lorsque l'oeuvre d'art est reçue par des époques et descultures différentes, il semble pourtant que chacune s'y intéressera pour des raisons qui lui sont propres.Au-delà de l'élan qui diffuse la nouveauté, il conviendrait d'analyser les diverses « lectures » qu'il peutsusciter.. »

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