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Bernard Tapie inéligible pour cinq ans

Publié le 22/02/2012

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14 décembre 1994 - En moins d'une semaine, Bernard Tapie aura presque tout perdu : l'Olympique de Marseille, l'essentiel de ses sociétés, ses mandats électifs, et sans doute une part non négligeable de son capital d'image. Entré au tribunal de commerce de Paris, l'air sombre, mercredi matin 14 décembre, en député-homme d'affaires, il en est reparti dans la soirée, la mine défaite, en homme ruiné et en parlementaire déchu. " Le passif exigible connu dépasse de très loin l'actif disponible des époux Tapie ", avait conclu, quelques instants plus tôt, le président de la juridiction consulaire, Michel Rouger, à l'issue d'une longue description de leur situation financière. Au chapitre des actifs ne figurent en effet que les parts de deux sociétés en nom collectif, Groupe Bernard Tapie (GBT) et la Financière immobilière Bernard Tapie (FIBT) - cette dernière ayant déposé son bilan - , et le mobilier de collection, saisi depuis le mois de mai par le Crédit lyonnais, alors que la liste des passifs semble sans fin : dettes personnelles, cautions bancaires consenties aux filiales, dettes fiscales, etc. Au cours de la première audience du jour, mercredi 14 décembre, les avocats de la banque d'Etat, Me Georges Jourde et Jean Veil, soulignaient ainsi qu'en dépit de plusieurs condamnations judiciaires, qui obligeaient M. Tapie à payer une partie des frais de justice de ses adversaires, celui-ci ne s'était toujours pas acquitté des quelque 35 000 francs qu'il leur doit... " Un règlement amiable totalement illusoire " Chargé d'une mission de " conciliation " entre l'ex-président de l'OM et ses créanciers, Me Serge Pinon expliquait lui-même, dans un rapport du 6 décembre, qu' " un règlement amiable est totalement illusoire car refusé par les deux créanciers principaux - pour ne pas dire uniques - , le Crédit lyonnais et le fisc ". Dès lors, le tribunal de commerce ne pouvait que conclure à l'inutilité de " rechercher la voie d'un redressement judiciaire ", et ordonner le placement immédiat de M. et Mme Tapie en liquidation personnelle. Les juges consulaires y ont ajouté le placement en liquidation judiciaire de FIBT, société qui contrôlait le patrimoine personnel du couple Tapie, et de sa filiale la plus méconnue, Bernard Tapie Gestion, par le biais de laquelle le député percevait les honoraires de consultation que lui versaient ses propres entreprises... Penché depuis des semaines sur les entrelacs de sociétés et l'embrouillamini des sigles quasi identiques de la galaxie Tapie, le tribunal de commerce déplore d'ailleurs, dans son jugement, " la structure complexe construite par les époux Tapie pour des raisons exclusivement fiscales ". De fait, les informations judiciaires conduites depuis le 19 avril par le juge d'instruction Eva Joly et portant sur l'exploitation du Phocéa ont bien montré comment M. Tapie avait organisé les déficits afin de se soustraire à l'impôt. Mis en évidence par le fisc, la brigade financière et les experts judiciaires, ces faits ont valu à Bernard Tapie deux mises en examen, pour fraude fiscale et abus de biens sociaux. L'instruction étant close depuis deux semaines, ils pourraient aussi entraîner son prochain renvoi devant un tribunal correctionnel. Pour l'heure, la décision rendue par le tribunal de commerce a pour effet d'interrompre le processus de recouvrement engagé par le Trésor depuis le mois de mars, et par le Crédit lyonnais depuis le mois de mai, en transférant à plusieurs liquidateurs la charge d'organiser le règlement des créanciers, à commencer par la vente de l'hôtel particulier de M. Tapie, qui devait se tenir jeudi 15 décembre, et qui est donc reportée. Le jugement interdit en outre la poursuite des ambitions politiques de M. Tapie. En effet, au terme de la loi du 25 janvier 1985 sur les entreprises en difficulté, " l'incapacité d'exercer une fonction publique élective (...) s'applique à toute personne physique à l'égard de laquelle la liquidation judiciaire a été prononcée ". Un appel non suspensif L'homme d'affaires se trouve donc immédiatement privé de ses mandats électifs, et des immunités qu'ils octroient. Il se voit également contraint de renoncer, au moins provisoirement, à sa candidature - annoncée - à la mairie de Marseille, et à celle - fortement suggérée - à la présidence de la République. Bernard Tapie peut évidemment interjeter appel de ce jugement, et s'est déclaré déterminé à le faire quelques heures à peine après le prononcé du jugement. Mais la loi prévoyant qu'en cette matière, l'appel n'est pas suspensif, il peut être d'ores et déjà tenu pour inéligible, dans l'attente d'une décision de la cour d'appel qui, au demeurant, devrait être rendue " avant le mois de février ", selon une source judiciaire. La constance avec laquelle les avocats de Bernard Tapie se sont efforcés, ces derniers mois, de retarder cette échéance judiciaire montre à l'évidence combien le candidat à la mairie de Marseille était conscient du danger. Alors que le Crédit lyonnais combattait pour son image de marque, M. Tapie, lui, luttait davantage pour du temps que pour de l'argent. Aussi a-t-il multiplié les assignations contre son ancien banquier, tantôt devant les juridictions civiles, tantôt devant le tribunal de commerce, usant d'une procédure pour retarder l'autre, sans jamais réellement faire avancer sa cause. Le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, le 23 novembre, tranchant en faveur du Crédit lyonnais le litige qui l'opposait à son impécunieux client sur l'exigibilité de sa dette colossale pesa, à n'en pas douter, d'un poids considérable sur les échéances suivantes, en poussant le Trésor à accentuer sa pression et en rendant moins crédible que jamais l'hypothèse d'une ultime conciliation. Le jugement du tribunal de commerce, lui, ouvre par ailleurs la voie à une procédure de sanction, au terme de laquelle Bernard Tapie pourrait, le cas échéant, être placé en faillite personnelle. La juridiction commerciale pourrait être amenée à lui reprocher la soustraction de certains actifs au cours de l'été, dont un certain camion rempli de meubles, évanoui dans la nature au cours de la nuit qui précéda la saisie par le Crédit lyonnais, de la désormais fameuse " collection Tapie "... HERVE GATTEGNO Le Monde du 16 décembre 1994

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