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« Il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons » (André Gide). Commentez. ?

Publié le 27/02/2008

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gide
Cette citation est extraite du troisième livre des Nouvelles nourritures, ouvrage de Gide qui fait suite à l'une de ses oeuvres de jeunesse, les Nourritures Terrestres, où un auteur d'aphorismes et de poèmes en prose instruit le lecteur, nommé Nathanaël, à prendre garde à la beauté du monde et à jouir des biens que l'existence humaine procure, plutôt que de placer tout son espoir dans un au-delà rémunérateur. Etudiant cette citation, nous devrons garder à l'esprit deux caractéristiques importantes de celle-ci : il s'agit d'un propos de type aphoristique, c'est-à-dire qui condense volontairement une sagesse qu'il appartient au lecteur de reconstituer ; d'autre part, il s'agit d'un propos qui s'inscrit dans un ouvrage faisant l'apologie d'une sensualité raisonnée, d'un immoralisme dont Gide n'a pas cessé d'être l'apôtre (il est notamment l'auteur d'un roman qui s'intitule précisément « L'immoraliste »). Par monstre, nous entendons un individu ou une créature qui par son apparence extérieure, ou son comportement particulier, manifeste un écart par rapport à la norme. L'étymologie latine de ce terme peut retenir notre attention, dans la mesure où elle aide à sa compréhension : « monstre » vient probablement du latin « mostrare », ce qui indique qu'à l'origine, le « monstre » était l'individu ou la chose qui se montrait en raison de son caractère ambigu, inhabituel, par exemple dans le cadre des foires. En prétendant qu'il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons, Gide veut dire que le sentiment de peur qui saisit généralement les êtres humains à la contemplation de créatures qui diffèrent de ce dont ils ont l'habitude n'est pas justifié. Pour le dire autrement, la peur ne parait pas à Gide une réaction adéquate pour se rapporter à des créatures différentes, précisément car l'anormalité (la distinction par rapport à la norme) n'est pas un motif suffisant pour être effrayé. Dans un premier temps, nous verrons dans quelle mesure le propos de Gide peut paraître paradoxal, et comment philosophiquement, scientifiquement, la monstruosité a pu être considérée comme un indice crédible d'un danger. Cependant, nous verrons dans un deuxième temps que le propos de Gide est un aphorisme à déplier, qui signifie que la monstruosité n'est qu'un écart à la norme et que cet écart n'est pas un motif suffisant pour justifier la crainte intuitive que nous en avons. Enfin, nous consacrerons le dernier temps de notre réflexion à montrer que le propos de Gide s'inscrit dans une problématique plus vaste que celle de la monstruosité, et reprend le flambeau de l'épicurisme pour libérer l'individu des craintes qui peuvent compromettre sa félicité. La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si l'écart avec la norme est un motif suffisant pour justifier la crainte intuitive que nous avons des êtres qui manifestent cet écart.
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« Allant plus voir, nous pouvons penser que ces inférences d'ordre philosophique ont été relayées et largementrépandues par une pseudo pensée scientifique qui est celle du médecin suisse Lavater, qui a vécu au XVIIIe siècle.Par Lavaterisme, nous entendons un système prétendument scientifique qui établissait des rapports objectifs entrel'apparence extérieure d'un sujet et ses caractéristiques morales.

C'est ainsi que Lavater faisait d'un front large unsigne d'intelligence, de yeux rapprochés l'indice d'un caractère fuyant… On trouve l'influence de cette pensée dansla littérature du XVIIIe siècle, notamment chez Balzac qui ne décrit en détails l'apparence de ses personnages quepour donner à entendre à son lecteur ce qu'ils sont intimement.

De ceci nous tirerons que si la monstruosité atendance à inspirer notre peur, c'est parce que nous faisons de l'apparence extérieure d'un individu un livre ouvertoù nous prétendons qu'il est possible de deviner ce qu'il est intimement.

Ainsi, la laideur du monstre ne sauraitqu'être un indice de son dérèglement intérieur, de sa monstruosité morale à l'image de sa monstruosité physique. II.

L'écart à la norme n'est pas suffisant pour justifier la crainte qu'elle peut nous inspirer a.

La monstruosité n'a rien à voir avec l'intériorité du sujet : les exemples de la Littérature C'est précisément contre ce type d'inférence, pseudo scientifique, pseudo philosophique, que Gide souhaite nousmettre en garde.

En effet, Gide nous dit que la monstruosité n'est pas un critère objectif pour fonder une inférencerelative à l'intériorité du sujet.

Pour le dire autrement, c'est à une forme de dualisme entre l'apparence et la psychéque Gide nous invite : nous ne pouvons rien savoir d'autrui en fondant notre connaissance sur la seule enveloppeextérieure d'un sujet.

La littérature avant Gide a fait de cette idée un motif récurrent : pensons au Quasimodo deVictor Hugo dans Notre Dame de Paris , dont la monstruosité ne fait pas de lui un individu moralement exécrable, comme peut l'être Frollo, l'assassin d'Esméralda à la fin du roman.

Mais c'est aussi la religion catholique qui a illustrécette idée en faisant du diable, dans certaines traditions, un être profondément beau, magnifique, dont l'origineangélique est rappelée par son nom (« Lucifer », celui qui porte la lumière) aussi bien que par son apparenceradieuse et séduisante.

Nous dirons donc avec Gide qu'il n'y a pas lieu de faire de la monstruosité un indicedéfavorable pour la moralité d'un sujet, puisqu'il existe au contraire une dichotomie entre ces deux caractéristiques :le beau peut être mauvais, et inversement. b.

La norme n'est qu'une moyenne et non un idéal fixant une limite inamovible Mais c'est pour une raison plus profonde que nous pouvons aller dans le sens de Gide et dire avec lui que « bien peude monstres méritent la peur que nous en avons » : parce que la monstruosité est écart par rapport à une moyennemouvante, non par rapport à une norme immuable.

C'est le philosophe Georges Canguilhem qui permet de fonder unetelle affirmation : « L'approche quantitative du normal, en définissant le normal et l'anormal par la fréquence statistique, conduit àconsidérer le pathologique comme normal puisqu'une norme parfaite de santé apparaît, du point de vue factuel,comme non existante et en ce sens « anormale ».

Ici, la détermination sociale du pathologique par la fréquencestatistique aboutit à une neutralisation de la charge affective individuelle appréhendant le pathologique commeanormal et elle concourt à une négation de l'altérité du pathologique (…).

L'approche mathématique, arithmétiqueou statistique, permet au physiologiste d'élaborer un concept objectif et scientifique de normal, désigné sous leterme de moyenne ».

Canguilhem et les normes, Guillaume Le Blanc , PUF, p.

66-67. En effet, la norme n'est jamais que la moyenne établie à partir d'une pluralité de sujets : elle dépend donc d'uncalcul arithmétique et de l'échantillon interrogé.

Pour le dire autrement, la norme n'est pas définie de manièreabsolue et inchangée : elle varie en fonction des époques, des sujets, des circonstances (ainsi la norme de la taillehumaine a variée au cours des siècles : si un mètre quatre vingt était monstrueux comme taille au dixième siècle, oùla nutrition rendait inhabituelle cette taille, celle-ci est au contraire parfaitement normale de nos jours).

Nous dironsdonc que s'il est peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons, c'est parce que la monstruosité est écartpar rapport à une norme constituée par une moyenne arithmétique, et non différence par rapport à une normeimmuable. III. Une incitation à la tolérance qui s'inscrit dans une invitation plus générale au bonheur a.

Gide, continuateur de la démarche Epicurienne de libération de l'homme de ses craintes Allant plus loin, nous verrons ici que la démarche de Gide, cette invitation à la tolérance, n'est pas sans s'inscrire. »

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