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BOILEAU

Publié le 02/09/2013

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boileau
 
1636 - 1711
SAMUEL JoHNsoN, dans la notice qu'il consacre à Dryden dans ses Vies des Poètes anglais, remarque que Boileau a été « le premier écrivain français qui se soit aventuré à parler dans ses vers de la guerre moderne et des effets de la poudre «. Il fait sans doute moins allusion à l' Ode sur la prise de Namur qu'à l'Épître IV. Ce n'est qu'une des preuves du « modernisme « de Boileau, aussi attentif aux dernières recherches scientifiques (comme dans son Epître V) qu'aux mots nouveaux et rares, ce qui lui permet, tel un Parnassien, de faire rimer Coco avec Cusco (toujours dans la même Epître V). Aussi pourrait-on supposer que, dans la querelle des Anciens et des Modernes, il ait pris le parti de ces derniers; il semble qu'il ne se soit battu pour les premiers que par humeur et caprice, ce qui lui permet d'ailleurs de s'avouer vaincu et de donner raison à tout le monde dans sa VIIe Ré¬flexion sur Longin, qui est un des meilleurs morceaux de critique de la littérature française et le premier fondé sur des considérations d'histoire, de linguistique et de sociologie.
Johnson ajoute que les Anglais, « moins effrayés par la nouveauté «, l'avaient précédé; on trouve en effet dans le Paradis perdu une étonnante description de l'artillerie infernale, description pour laquelle Milton emploie des mots comme roter, boyaux, vomir, etc... et autres métaphores digestives qui ne sont pas sans rappeler l'énergique réalisme du Repas ridicule ou de la Satire contre les femmes :
...Fait même à ses amours, trop faibles d'estomac
Redouter ses baisers plein d'ail et de tabac,
dit Boileau d'une dame d'un repas sortant tout enfumée, et, décrivant les avaricieux, il utilise les mots crasse, ordure, haillons, ignominie, il parle des souliers grimaçants vingt fois rapetassés, de bas en trente
endroits percés, de ...coiffes d'où pendait au bout d'une ficelle
Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu'elle.
On s'étonne que Boileau se soit lancé dans des discussions sur la « noblesse « des mots, en la refusant, par exemple, au mot âne, et l'on peut regretter qu'il ait légitimé la périphrase faible, lui qui avait commencé (avec Molière) à mettre un bonnet rouge au dictionnaire.


boileau

« Arme-toi, France; prends ta foudre, C'est à toi de réduire en poudre Ces sanglants ennemis des lois.

Suis la victoire qui t'appelle, Jadis on vit ces parricides, Mais bientôt le ciel en colère, Aidés de nos soldats peifides, Par la main d'une humble bergère Chez nous au comble de l'orgueil, Renversant tous leurs bataillons, Briser les plus fortes murailles, Borna leur succès et leurs peines : Et va sur ce peuple rebelle Venger la querelle des rois.

Et par le gain de vingt batailles Et leurs corps pourris dans nos plaines, Mettre tous les peuples en deuil.

N'ont fait qu'engraisser nos sillons.

Il est impossible de ne pas penser à la Marseillaise (avec un petit quelque chose du Chant du Départ : « La victoire en chantant ...

La République nous appelle ...

»).

Mêmes rimes : parricides et per­ fides, bataillons et sillons, orgueil et cercueil (au lieu de deuil), mais l'« idée » est la même.

Le ton est identique, le refrain est une pure et simple imitation de Boileau Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons! Marchons (bis), qu'un sang impur abreuve nos sillons! Mais qu'y aurait-il d'étonnant à ce que Boileau, bourgeois cartésien et poète bourgeois, ait inspiré le chant de la Révolution du tiers état ? Son dégonflement des poètes précieux et des aristocrates attardés, sa révolution littéraire prépare l'autre, celle qui décapitera les rois (« funeste sacrifice », lorsqu'il s'agit de Charles Ier), de même que lorsqu'il écrit en «honnête homme»: Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévôts, ou Abîme tout plutôt, c'est l'esprit de l'Eglise ou Et, sans distinction, dans tout sein hérétique, Pleins de joie, enfoncer un poignard catholique, il annonce le théisme, puis l'athéisme pratiques qui transformeront la Sainte-Chapelle en magasin de farines et feront du bois de chauffage avec son lutrin.

Un lutrin immortalisé, il est vrai.

Quelles que soient l'importance et la beauté des Epîtres et des Satires (et de l' Art Poétique), elles demeurent attachées à leur époque, figées dans leur temps, répartissant les droits et les fonctions du passé et du présent.

Le Lutrin est, par contre, une œuvre d'une grande nouveauté, très voisine du Roman Bourgeois de Furetière (ami de Boileau) et tournée vers l'avenir, c'est-à-dire le « vrai » et le vrai bourgeois.

Rapprocher un poème d'un ouvrage en prose ne fait pas de difficulté dans ce cas, puisque Boileau en signalant la nouveauté de « ces poèmes en prose que nous appelons romans » en a par là-même reconnu la nature.

Le Lutrin met un point final à l'épopée, il accomplit Don Quichotte, il inaugure le roman en France et annonce à la fois Candide et Bouvard et Pécuchet.

Quant à la poésie de Boileau, je n'y insisterai pas.

Il n'est plus nécessaire de l'expliquer ni de la défendre.

Seuls, quelques esprits conservateurs se refusent à l'admirer.

Boileau naquit en 1636, l'année du Cid.

Chapelain fondait l'Académie française.

L'année suivante paraîtra le Discours de la Méthode et deux ans plus tard naît Louis XIV.

Lorsque Boileau meurt, en 171 l, Montesquieu a vingt-deux ans et Voltaire dix-sept.

Rousseau naîtra l'année sui­ vante et Diderot deux ans plus tard.

Et Louis XIV meurt quatre ans après son historiographe : on sait que le travail de Boileau et de Racine disparut au cours d'un incendie, à Saint-Cloud, en l 726.

On ne déplore pas sa perte malgré le grand nom de ses auteurs.

Ceux-ci semblent avoir manqué de zèle dans leur tâche.

Un commis au Trésor disait : «On n'a encore rien vu de la main de ces deux messieurs, en leur qualité d'historiographes, que leurs noms au bas des quittances.

» Solution élégante aux problèmes du langage et de l'expression.

RAYMOND QUENEAU de l'Académie Goncourt 155. »

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