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Brantôme, Vies des dames galantes (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Brantôme, Vies des dames galantes (extrait). Dans cet extrait du « Discours sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus «, tiré des « Vies des dames galantes «, l'auteur multiplie les anecdotes plus ou moins véritables sur les moeurs amoureuses de ses contemporains. Juste avant cet extrait, il attirait l'attention sur les « dames qui se laissent aimer et servir « pour montrer le risque de dépendance qu'elles encourent. À présent, fidèle à son habitude qui consiste à passer sans transition d'un exemple contradictoire à l'autre, Brantôme va donner l'exemple des femmes qui savent se protéger des hommes en les enjoignant de se tenir à distance : de la généralité, il enchaîne sur une anecdote réelle qui renforce son propos de moraliste et de conteur. « Vies des dames galantes «, extrait des Mémoires du seigneur de Brantôme Mais il y a des dames qui se plaisent à se faire servir pour rien, sinon pour leurs beaux yeux, et disent qu'elles désirent être servies, que c'est leur félicité, mais de venir là et disent qu'elles prennent plaisir à désirer et non à exécuter. J'en ai vu aucunes qui me l'ont dit ; toutefois il ne faut pourtant qu'elles le prennent là, car, si elles se mettent une fois à désirer, sans point de doute il faut qu'elles viennent à l'exécution : car ainsi la loi d'amour le veut, et que toute dame qui désire, ou souhaite, ou songe de vouloir désirer à soi un homme, cela est fait. Si l'homme le connaît et qu'il poursuive fermement celle qui l'attaque, il en aura ou pied ou aile, ou plume ou poil, comme on dit. Voilà donc comme les pauvres maris se font cocus par telles opinions de dames qui veulent désirer et non pas exécuter ; mais, sans y penser, elles se vont brûler à la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont bâti d'elles-mêmes, ainsi que font ces pauvres simplettes bergères, lesquelles, pour se chauffer parmi les champs en gardant leurs moutons et brebis, allument un petit feu, sans songer à aucun mal ou inconvénient ; mais elles se donnent de garde que ce petit feu s'en vient quelquefois à allumer un si grand qu'il brûle tout un pays de landes et de taillis. Il faudrait que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages, de la comtesse d'Escaldasor, demeurant à Pavie, à laquelle M. de Lescu, qui depuis fut appelé le maréchal de Foix, étudiant à Pavie (et pour lors le nommait-on le protonotaire de Foix, d'autant qu'il était dédié à l'Église ; mais depuis il quitta la robe longue pour prendre les armes), faisant l'amour à cette belle dame, d'autant que pour lors elle emportait le prix de la beauté sur les belles de Lombardie, et s'en voyant pressée, et ne le voulant rudement mécontenter ni donner son congé, car il était proche parent de ce grand Gaston de Foix, M. de Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie tremblait, et, un jour d'une grand'magnificence et de fête qui se faisait à Pavie, où toutes les grandes dames, et mêmes les plus belles de la ville et d'alentour, se trouvèrent ensemble et les honnêtes gentilshommes, cette comtesse parut, belle entre toutes les autres, pompeusement habillée d'une robe de satin bleu céleste, toute couverte et semée, autant pleine que vide, de flambeaux et papillons voletant à l'entour et s'y brûlant, le tout en broderie d'or et argent, ainsi que de tout temps les bons brodeurs de Milan ont su bien faire par-dessus les autres : si bien qu'elle emporta l'estime d'être le mieux en point de toute la troupe et compagnie. M. le protonotaire de Foix, la menant danser, fut curieux de lui demander la signification des devises de sa robe, se doutant bien qu'il y avait là-dessous quelque sens caché qui ne lui plaisait pas. Elle lui répondit : « Monsieur, j'ai fait faire ma robe de la façon que les gens d'armes et cavaliers font à leurs chevaux rioteux et vicieux, qui ruent et qui tirent du pied ; ils leur mettent sur leur croupe une grosse sonnette d'argent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils sont en compagnie et en foule, soient avertis de se donner garde de ce méchant cheval qui rue, de peur qu'il ne les frappe. Pareillement, par les papillons voletant et se brûlant dans ces flambeaux, j'avertis les honnêtes hommes qui me font ce bien de m'aimer et admirer ma beauté, de n'en approcher trop près, ni en désirer d'avantage autre chose que la vue : car ils n'y gagneront rien, non plus que les papillons, sinon désirer et brûler, et n'en avoir rien plus. « Par ainsi, cette dame avertissait son serviteur de prendre garde à soi de bonne heure. Je ne sais s'il s'en approcha de plus près, ou comme il en fit ; mais pourtant, lui, ayant été blessé à mort à la bataille de Pavie et pris prisonnier, il pria d'être porté chez cette comtesse, à son logis dans Pavie, où il fut très bien reçu et traité d'elle. Au bout de trois jours, il y mourut, avec le grand regret de la dame, ainsi que j'ai ouï conter à M. de Montluc, une fois que nous étions dans la tranchée à La Rochelle, de nuit, qu'il était en ses causeries et que je lui fis le conte de cette devise, qui m'assura avoir vu cette comtesse très belle et qui aimait fort ledit maréchal, et fut bien honorablement traité d'elle : du reste, il n'en savait rien si d'autres fois ils avaient passé plus outre. Cet exemple devrait suffire pour plusieurs et aucunes dames que j'ai alléguées. Source : Beaumarchais (Jean-Pierre de) et Couty (Daniel), Anthologie des littératures de langue française, Paris, Bordas, 1988. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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