El Buscon
Publié le 09/04/2013
Extrait du document
Francisco Gomez de Quevedo y Villegas (1580-1645) fit une brillante_carrière de courtisan. Il connut à ce titre les honneurs du pouvoir (il fut notamment secrétaire d'État du vice-roi de Sicile et chevalier de !' Ordre de Santiago), mais aussi quelques revers, au gré des complots qui agitèrent au XVIIe siècle la cour d'Espagne. Misanthrope de vocation, il est considéré comme l'un des grands classiques espagnols. El Buscon appartient déjà à la sèconde génération de l'âge d'or du récit picaresque espagnol (il fut rédigé après La Vie de Lazare de Tormes, dont l'auteur est anonyme, et La Vie de Guzman d'Alfarache de Mateo Aleman) et relève de l'exercice de virtuosité parodique ; l'absence de progrès, de leçon profitable, de grâce salvatrice y est soulignée au dernier degré.
«
EXTRAITS
Nommé « roi des coqs » lors
du Carnaval, Pablo se procure une
monture pour parader à travers la ville
Arrivé proche des femmes qui vendent des
choux,
mon cheval affamé èn saisit un, et
sans être vu ni entendu, il
le fit descendre
dans son ventre .
L' herbière cependant, qui,
comme toutes celles de sa profession, n'était
pas tendre, s'en aperçut et commença de
crier ; d'autres se joignirent à elle avec
quelques coquins, et prenant des navets, des
carottes les plus grosses, des melongènes et
d'autres légumes, chacun enjette au pauvre
roi.
Comme je vis que c'était un combat
naval, et qu'il ne devait pas se faire à cheval,
je voulus descendre de ma monture ; mais au
même instant elle reçut à la tête un si rude
coup
qu'ayant voulu se cabrer, elle tomba
avec moi, qu'on me permette de
le dire, dans
un privé où
je m'accommodai de la manière
qu'on peut s'imaginer.
Mes camarades ne
tardèrent
pas à s'armer de pierres, et les
ayant fait pleuvoir sur les herbières, ils en
blessèrent deux à
la tête.
Quant à moi, après
que
je fus tombé dans le privé, je devins
le principal acteur de la scène.
La justice
accourut et arrêta herbières et enfants .
(.
.
.)
Ensuite elles' approcha de moi, et voyant que
je n'en avais aucune [arme}, parce qu'on me
les avait ôtées
pour les mettre sécher dans
une maison avec mes habits et mon chapeau,
elle me demanda où étaient les miennes.
A
quoi
je répondis, tout couvert que j'étais
d'ordures, que je n'en avais que d'offensives
contre
le nez.
Pablo fait le portrait du licencié Cabra
Ses yeux étaient si enfoncés qu'il semblait
regarder
par des lucarnes profondes et
obscures, propres
àfaire des abat-jour pour
des boutiques de marchands.
Il avait
le nez
rongé
par certains boutons qu'on aurait pu
attribuer au libertinage, si dans ce cas, ils
n'avaient dû supposer de la dépense.
Sa
barbe annonçait
par sa couleur la crainte
qu'elle avait de
la bouche sa voisine, qui, à
force d'être affamée, semblait menacer de
la
dévorer.
Il lui manquait je ne sais combien
de dents, et
je pense que la nature avait
exécuté envers elles la loi
qui chasse les
fainéants et les paresseu x.
Il avait le cou
d'une autruche, et
la noix si saillante qu'on
eut dit que, forcée par
le besoin, elle cher
chait à manger.
Ses bras étaient secs, ses
mains ressemblaient
chacune à un fagot de
sarments.
En
le regardant au milieu du corps
en bas, on l'aurait pris, à ses deux jambes
longues et décharnées, pour une fourchette
à
deux branches ou pour un compas.
Il
marchait d'un pas lent, et pour peu qu'il le
voulût hâter, ses os faisaient
le même bruit
que des tablettes de Saint-Lazare.
Sa voix
était exténuée et sa barbe longue, parce que
par une suite d'avarice, il ne lafaisaitjamais
couper.
Il alléguait pour raison
qu'il détes
tait si fart de voir les mains d'un barbier sur
son visage,
qu'il aimerait mieux mourir
que d'y consentir .
C'était un des enfants
pensionnaires qui lui coupait les cheveux.
Traduit de l'espagnol
par Restif de la Bretonne Scène d'auberge, par David Teniers
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Pablo, refusant le déterminisme de sa
naissance et l'exclusion sociale
à son égard,
fait le récit
(à la première personne) de son
échec sans appel
à s'intégrer à la société des
honnêtes gens (
...
),d'où le refrain : "Je
voulais être gentilhomme.
"L'univers du
Busc6n est celui du déterminisme le plus
implacable et de l'acte répétitif (ascension
- chute ou exclusion) ; il trouve son figures
irréelles, comme la vie selon
Quevedo , donne
au picaro l'illusion
d'ascension extrême, bientôt suivie d'une
chute brutale dans la fiente (autre thème
picaresque, abondamment utilisé dans le
roman).
» Didier Souiller, Le Roman
picaresque,
P.U.F., coll.
« Que sais-je? »,
1980.
« Ce que Quevedo fait avec les mots , il
le fait d'abord avec son esprit, auquel
il impose,
à seu le fin d'engendrer de
l'humaine raison, si puissante et
dominatrice en lui, sans pénétrer toutefois
dans le champ désormais ouvert de la
déraison, qu'il réserve aux mannequins
absurdes jaillis de son intense réflexion.
Les monstres quévédiens, en effet, ne
naissent jamais, comme ceux de Goya,
d'un" sommeil de la raison": c'est, au
contraire, la raison en éveil qui les forge.
»
Maurice Molho, Romans picaresques
espagnols,
introduction, Gallimard,
plus parfait symbole dans l'épisode
carnavalesque du
" roi des coqs " : le
carnaval, succession de masques et de des
monstres, de se tordre et distendre,
d'excéder
si peu que ce soit les limites
1 B.
.
I Roge r- Violle t 2, 3, 4 G enève, musée d'a rt et d ' histo ir e I B arb ara Emi
coll.
de la Pléiade, 1968.
QUEVEDO Y VILLEGAS 02.
»
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