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Calligramme "Il y a" de Apaullinaire

Publié le 16/04/2011

Extrait du document

Influencé par la poésie symboliste dans sa jeunesse, admiré de son vivant par les jeunes poètes qui formèrent plus tard le noyau du groupe surréaliste (Breton, Aragon, Soupault. Apollinaire est l'inventeur du terme « surréalisme «), il révéla très tôt une originalité qui l'affranchit de toute influence d'école et qui fit de lui un des précurseurs de la révolution littéraire de la première moitié du XXe siècle. Son art n’est basé sur aucune théorie mais sur un principe simple : l’acte de créer doit venir de l’imagination, de l’intuition car il doit se rapprocher le plus de la vie, de la nature. Cette dernière est pour lui « une source pure à laquelle on peut boire sans crainte de s’empoisonner « (Œuvres en prose complètes, Gallimard, 1977, p.49). Mais l’artiste ne doit pas l’imiter, il doit la faire apparaître selon son propre point de vue, de cette façon, Apollinaire parle d’un nouveau lyrisme. L’art doit alors s’affranchir de la réflexion pour pouvoir être poétique. « Je suis partisan acharné d’exclure l’intervention de l’intelligence, c’est-à-dire de la philosophie et de la logique dans les manifestations de l’art. L’art doit avoir pour fondement la sincérité de l’émotion et la spontanéité de l’expression : l’une et l’autre sont en relation directe avec la vie qu’elles s’efforcent de magnifier esthétiquement « dit Apollinaire (entretien avec Perez-Jorba dans La Publicidad). L’œuvre artistique est fausse en ceci qu'elle n'imite pas la nature, mais elle est douée d'une réalité propre, qui fait sa vérité.

 

Apollinaire se caractérise par un jeu subtil entre modernité et tradition. Il ne s’agit pas pour lui de se tourner vers le passé ou vers le futur mais de suivre le mouvement du temps. « On ne peut transporter partout avec soi le cadavre de son père, on l’abandonne en compagnie des autres morts. Et l’on se souvient, on le regrette, on en parle avec admiration. Et si on devient père, il ne faut pas s’attendre à ce qu’un de nos enfants veuille se doubler pour la vie de notre cadavre. Mais nos pieds ne se détachent qu’en vain du sol qui contient les morts « (Méditations esthétiques, Partie I : Sur la peinture).

 

C’est ainsi que le calligramme[8] substitue la linéarité à la simultanéité et constitue une création poétique visuelle qui unit la singularité du geste d'écriture à la reproductibilité de la page imprimée. Apollinaire prône un renouvellement formel constant (vers libre, monostiche, création lexicale, syncrétisme mythologique). Enfin, la poésie et l’art en général sont un moyen pour l’artiste de communiquer son expérience aux autres. C’est ainsi qu’en cherchant à exprimer ce qui lui est particulier, il réussit à accéder à l’universel. Enfin, Apollinaire rêve de former un mouvement poétique global, sans écoles, celui du début de XXe siècle, période de renouveau pour les arts et l'écriture, avec l'émergence du cubisme dans les années 1910, du futurisme italien en 1909 et du dadaïsme en 1916. Apollinaire entretient des liens d'amitié avec nombre d'artistes et les soutient dans leur parcours artistique (voir la conférence "la phalange nouvelle").

 

 

 

 

C'est le poète français Guillaume Apollinaire qui est à l'origine du mot (formé par la contraction de « calligraphie « et d'« idéogramme «), dans un recueil éponyme (Calligrammes, 1918). Étymologiquement, ce mot-valise signifie « Belles Lettres « dans la mesure où il reprend l'adjectif grec le nom gramma qui signifie "signe d' écriture", "lettre". Il s'agissait donc pour Apollinaire d'« écrire en beauté «. Il aurait ainsi déclaré parodiquement à son ami Picasso : « anch'io son' pittore ! « (« moi aussi je suis peintre ! «)

 

Ainsi, cette forme particulière de poésie est parfois nommée poésie graphique.

 

Si Apollinaire demeure l'auteur de calligrammes le plus reconnu par l'histoire littéraire, il n'a pas inventé le "poème-dessin" :

Les premiers seraient attribuées au poète grec Simmias de Rhodes (IVe siècle av. J.-C.) en représentant une hache, un œuf et des ailes de l'amour.

Rabelais au XVIe siècle avait ainsi représenté sa "dive bouteille" dans le Cinquième Livre. Le calligramme suppose une lecture "active" car le lecteur doit chercher le sens et la direction des phrases, chose qui paraît évidente dans un texte classique.

Le genre fut également pratiqué à la fin du XIXe siècle, notamment par Edmond Haraucourt1.

 

Depuis Apollinaire, André Breton (1896-1966), poète surréaliste français décrit un vase et son reflet dans le calligramme « Pièce fausse « in Clair de terre.

 

 

 

Apollinaire : Calligrammes, "Il y a", 1918

 

            Le 30 septembre 1915, Apollinaire (1880-1918), engagé volontaire dans l'armée française, adresse ce poème à Madeleine, jeune fille avec laquelle il a entretenu une brève liaison. Elle vient de repartir pour l'Algérie où réside sa famille et lui pour le front.

 

                                                                                  IL Y A

 

Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée

Il y a dans le ciel six saucisses (1) et la nuit venue on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles

Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour

Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi

Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants

Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne (2)

Il y a que je languis après une lettre qui tarde

Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour

Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète

Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des pièces

Il y a le vaguemestre (3) qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé

Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l'horizon dont il s'est indignement revêtu et avec quoi il se confond

Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour

Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la TSF sur l'Atlantique

Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils

Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico

Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant

Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres

Il y a des croix partout de ci de là

Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie

Il y a les longues mains souples de mon amour [...]

Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre

Il y a des Hindous (4) qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales

Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront

Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité

 

                                                                                  G. Apollinaire : Calligrammes, 1918

 

Notes:

1. saucisses : on appelait ainsi les ballons captifs (qui en avaient la forme) destinés à l'observation militaire.

2. boyaux : cheminements reliant les tranchées ; ils portent ici des noms qui les situent du côté allemand.

3. vaguemestre : sous-officier chargé du service de la poste dans l'armée.

4. Hindous : soldats enrôlés sous le drapeau anglais.

 

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Indications pour le commentaire composé

 

Introduction :

          Apollinaire et la guerre, une vision de poète parfois : "Ah Dieu que la guerre est jolie / Avec ses chants ses longs loisirs"

          mais aussi un constat plus réaliste, ainsi dans "Il y a", paru dans Calligrammes (1918), poème-lettre de facture très moderne, en vers libres non ponctués, adressé à Madeleine Pagès (rappel des circonstances) le 30.9.15.

          Thèmes à exploiter :

                        -un champ de vision original

                        -un poème de guerre

                        -un poème d'amour

 

I. Un champ de vision original

 

1)         un instant éclaté (instantanéisme et simultanéisme saisissants, influence de la peinture moderne sur le poète) :

- au cœur du champ de vision et du champ de conscience du poète

- volonté d'exprimer toute la diversité et la complexité du réel, sur le théâtre de la guerre et de par le monde (valeur de la tournure "il y a" : un constat), en jouant sur :  

le proche / le lointain

            la mer/ le ciel / la terre ; la nuit / le jour

            le monde intérieur / le monde extérieur ; le réel immédiat / le réel imaginé

            je / les autres

            la paix v. 22 / la guerre mais aussi d'autres formes de malheurs (misère sociale)

 

2) pour rendre cet instant : une litanie obsédante

-  anaphores réitératives de "Il y a" (seules exceptions : les deux derniers vers)

-  emploi du présent de l'indicatif soulignant cette simultanéité (temps des faits se passant à l'instant où le poète écrit)

- absence de ponctuation, de division en strophes ; longueur des vers (variable) tendant également à imposer à la fois ces diverses manifestations du réel à la conscience du lecteur

- des notations qui se succèdent de façon un peu énigmatiques, déroutantes, qui s'opposent ou s'appellent en se renforçant

 

II. Un poème de guerre

 

1)         L'univers concret du front

- référence à une guerre précise : celle de 14-18 (aspect documentaire, reportage), guerre de tranchées, proximité des lignes françaises et ennemies ; emploi de ballons d'observation, de la TSF ; gaz asphyxiants ; la suggestion de l'horrible hécatombe

- précision des termes : argot militaire "saucisses", "boyau" ; langage technique: "sous-marin", "fantassin", "servant", "gaz asphyxiant"...

- la vie quotidienne sur le front : les lieux (les noms des boyaux, le chemin de l'Arbre isolé), les rites (l'attente du courrier, la lecture du journal [les femmes de Mexico ?], les assauts, les pauses...) ; le tout rendu avec prosaïsme : des chiffres (5 kilomètres), des sigles (TSF)

- l'omniprésence tragique de la mort : champ lexical de la destruction ; opposition entre la mort visible et accomplie ("cercueil", "croix"...) et ses pièges plus sournois, perfides ("sous-marin", "éclats", "gaz", ballons de surveillance, les espions, "l'art de l'invisibilité"...) et l'angoisse constamment présente "mine inquiète", "avec anxiété"

 

2) Sentiments du poète face à la guerre

- compassion profonde pour tous (les morts, le fantassin, les prisonniers, les Hindous) malgré l'inhumanité à laquelle la guerre contraint ses "servants" ; le poète spectateur et acteur de la guerre ("nous avons tout haché").

- révolte contre l'absurdité de la guerre (une impression de vaine agitation, cf. nbreux verbes de mouvement) et du monde (misère, saccage de la nature)

- lyrisme, pathétisme ET TOUT A LA FOIS humour noir (libérateur sans doute) : cocasserie de la juxtaposition des évocations, de certains détails (images provocantes : les asticots-étoiles ; sonorités comiques et grinçantes : "dans le ciel six saucisses", "des soldats qui scient" = allitération en S ; indignation feinte "l'espion s'est indignement revêtu…" ; chute du poème : jeux de mots, "les campagnes" (2 sens), "l'art de l'invisibilité", apparent éloge et terrible dénonciation

 

III. Un poème d'amour

 

1) Un amour menacé

- par la guerre et la mort ; mort possible du poète et de ses compagnons de combat, mais aussi de ceux qui sont loin du champ de bataille : Madeleine "emporté(e)" par un vaisseau (polysémie de "emporter"), menacée par un sous-marin et tous ceux qui sont chers et que l'on ne reverra pas ; v. 24 - 25 : longue période à la construction lourde, cascades de propositions (…à ceux dont…s'ils….car…) traduisant l'angoisse

- par la mort des sentiments : effet de l'éloignement, de l'oubli, silence douloureux : "une lettre qui tarde"; valeur symbolique des "cactus", écueils de l'amour non partagé ; connotation du verbe "languir" v. 7 (dépérissement , menace de mort)

- désir d'émouvoir la destinataire en évoquant pudiquement (un seul emploi du pronom de la 1° personne "je languis") l'horreur de sa vie quotidienne par cette lettre poème qui dresse le tableau d'un instant de cette vie

 

2) un amour lui aussi conjuratoire

- photos-fétiches, porte-bonheur

- leit-motiv "de mon amour" ou "ma bien-aimée": sorte de prière, douceur de l'invocation mais pas d'emploi de la 2° personne pourtant attendue dans une lettre ; force des adjectifs possessifs : mon, ma

- beauté de la femme (poétisée et érotisée, évocation des mains, du buste) ; forces de vie opposées aux forces de mort comme un dernier rempart ; sonorités fluides, douces

- évocation implicite, et une fois encore pudique, de moments de bonheur dans une communion charnelle

 

Conclusion

          Texte original dans sa forme, profondément humain dans ses deux thèmes (guerre  / amour)

          En quoi est-il "poétique", malgré la très grande liberté de la forme ? S'interroger sur ce point.

 

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