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Caractère et valeur de la méthode introspective

Publié le 25/06/2004

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Introduction. — Nous ne connaissons le réel qu'en nous fondant sur l'observation. Si, parfois, le savant paraît deviner le monde, son intuition divinatrice est provoquée par une longue suite d'observations, et c'est encore en observant qu'il la vérifie. Aussi les sciences de la nature ont-elles fait des progrès immenses depuis que des instruments ont permis d'observer des faits jusque-là inaccessibles à l'investigation de nos organes : l'invention du télescope a peuplé l'espace d'une infinité de mondes ; celle du microscope nous a découvert dans l'infiniment petit une complexité insoupçonnée des anciens. Mais il est un domaine du réel pour l'observation duquel il n'est point d'instrument qui augmente la portée de nos fonctions de connaissance : pour étudier notre vie intérieure, nous en sommes réduits à nous replier sur nous-mêmes ; le psychologue le mieux outillé n'a qu'un moyen de savoir ce que c'est que la peur ou l'illumination de la découverte : l'introspection. Quels sont les caractères essentiels de la méthode introspective et quelle est sa valeur ?

« physico-chimiques, fondée sur l'intuition.

Nous ne dirons pas qu'elle est intuitive, car elle comporte aussi, dans lavérification des hypothèses, des raisonnements.

Nous pouvons, du moins, la caractériser par cette prérogatived'utiliser le type le plus parfait d'intuition.Fondée sur les données immédiates de la conscience, la méthode introspective est incomparablement pluspersonnelle que la méthode des sciences physico-chimiques : c'est en lui-même que le psychologue observe, et s'ilobserve les autres il recourt à des méthodes étrangères à la méthode introspective au sens strict de ce terme.

Laconscience, en effet, est un domaine réservé où les autres ne peuvent entrer.

Nous avons parfois l'impression delire dans l'âme d'autrui, ou encore d'ouvrir notre âme de façon que notre confident puisse y lire comme à livreouvert.

En réalité, de l'état d'âme des autres, il ne nous est donné que des signes matériels — attitudes, jeux dephysionomie, sons articulés — et nous en sommes réduits à donner des signes matériels de ceux de nos étatsintérieurs que nous voulons faire connaître.Enfin, renfermé en lui-même, le psychologue qui se borne à l'emploi de la méthode introspective n'a de sa vieintérieure qu'une connaissance qualitative ; s'il peut répondre à la question de savoir si tel antécédent provoque oune provoque pas en lui tel conséquent déterminé, il est incapable d'établir des rapports quantitatifs entre lesantécédents et les conséquents qu'il observe.

Dans ce domaine, en effet, la mesure est impossible.

Il n'est pointd'unité que l'on puisse superposer au phénomène actuel pour déterminer sa grandeur, car dans la vie psychique toutse réduit au phénomène actuel.

Il reste bien le souvenir du passé, mais le souvenir d'avoir souffert n'est pas unedouleur — parfois même on y prend plaisir — et quand je prétends comparer ma tristesse de ce soir à celle d'hier,c'est entre des choses de nature différente que j'établis une comparaison.

La méthode introspective ne permettradonc jamais au psychologue d'établir entre les faits qu'il observe des rapports précis comme ceux que le physicienexprime dans les lois physiques. II.

- VALEUR DE LA MÉTHODE INTROSPECTIVE Renonçant à obtenir par 'l'introspection une connaissance de nous-mêmes aussi précise que celle à laquelle aboutitle physicien, pouvons-nous, du moins, espérer que la méthode 'Introspective nous donnera des connaissancescertaines ? A.

Tout d'abord, nous fera-t-elle connaître des faits certains ? Le point de départ de tout l'édifice de la sciencepsychologique sera-t-il solide ?On a assez dit à quelles illusions s'expose celui qui se fie à l'introspection.

La principale est sans doute de voir uneactivité naturelle de l'esprit là où il y a une grande part d'artifice.

Nous ne nous comportons pas en présence desautres avec la même liberté que dans l'intimité de notre chambre ; il se passe quelque chose d'analogue dès que,par l'introspection, nous nous mettons en présence de nous-mêmes : nous nous composons inévitablement unpersonnage nouveau, différent de celui que nous sommes quand nous ne nous observons plus.

Puis, à force de nousobserver, de penser à ce qui se passe en nous et d'en parler, la ligne de séparation s'estompe entre ce que nouséprouvons, ce que nous pensons éprouver et ce que nous disons éprouver : il y a une grande différence entre êtrefatigué, se sentir fatigué et dire qu'on se sent fatigué ; or ces différents faits sont facilement confondus dansl'introspection.Toutefois, ces illusions ne sont pas inévitables.

Elles proviennent de ce qu'on pratique l'introspection vulgaire, etnon une introspection scientifique ou méthodique.

La méthode réduira sensiblement les erreurs et aboutira peu à peuà une certitude pratique.

Sachant combien souvent la prétendue connaissance de soi est illusoire, on partira à sapropre découverte avec esprit critique ; on soumettra au doute méthodique tous les jugements qui viendront à lapensée.

La méthode exige aussi qu'on ne confonde pas l'observation d'un fait actuel avec le souvenir d'un fait passéou avec la représentation d'un fait possible.

Le fait actuel lui-même est sujet à caution quand il est resté quelquetemps sous le regard de la conscience : il n'a de valeur qu'au premier instant, avant qu'il ait pu être déformé sousl'action du témoin qui l'observe...Grâce à ces précautions méthodiques, l'introspection peut nous faire connaître nos états et nos actes intérieursavec certitude ; bien plus, avec une certitude qui n'a point son égale parmi celles que nous pouvons avoir dans lemonde de l'expérience, puisqu'il n'y a pas d'autre cas dans lequel l'objet soit aussi directement atteint.

C'estpourquoi la certitude que les philosophes prennent pour point de départ de leur philosophie est fournie parl'introspection : je pense (Descartes), je fais effort (M.

de Biran). B.

Apte à nous faire connaître les faits de notre vie intérieure, la méthode introspective ne pourra-t-elle nousdonner une idée exacte de notre personnalité, de l'ensemble de ce que nous sommes, de la figure que nous faisonsparmi nos semblables ? Il ne semble pas que nous devions compter sur elle pour nous donner cette vue synthétique.Sans doute, nous sommes constamment présents à nous-mêmes et chacun est seul à pouvoir pénétrer dans saconscience.

Mais cette prérogative elle-même devient un obstacle à une juste appréciation de soi, et ils sont bienrares ceux qui portent sur eux-mêmes des jugements plus vrais que ceux portés par les autres.Du fait de notre constante présence à nous-mêmes, nous sommes empêchés, par le sentiment de ce qui se passe àchaque instant en nous, de porter un regard d'ensemble sur toute notre vie : trop près des événements, nousmanquons de recul pour les bien juger.

On remarque, dans mon passé, des colères fréquentes ; on sait que je mesuis brouillé avec la plupart de ceux avec qui j'ai été en relation...

Je le sais un peu moins ; car, de mon passé, je neretiens guère que ce qui m'agrée.

Mais ce que je sais bien, parce que je le sens, c'est que j'ai bon coeur, que jen'aspire qu'à faire plaisir : et ce sentiment, plus fort que le vague souvenir de disputes amères, m'empêche deprendre conscience de mon mauvais caractère.Ensuite, nous manquons, pour nous bien connaître, de terme de comparaison.

Pour caractériser mon voisin Pierre, jepuis le comparer à mon cousin André ou à mon oncle Jean : cette comparaison est légitime, car ce sont des êtresdu même ordre que je compare.

Mais, pour moi, il n'est personne qui soit du même ordre que moi et à qui je puisse. »

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