Devoir de Philosophie

Chaque homme doit inventer son chemin. Jean-Paul Sartre

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

sartre
Cette phrase figure dans la scène 2 de l'acte III de la pièce de Jean-Paul Sartre (1905-1980), intitulée Les Mouches, que Charles Dullin a créée au Théâtre de la Cité, le 3 juin 1943. Première oeuvre dramatique de Sartre à être représentée, Les Mouches ont pour sujet la légende des Atrides, famille maudite issue d'Atrée, qu'une haine inexpiable oppose à son frère Thyeste. La fatalité frappe encore la famille d'Atrée en la personne d'Agamemnon, fils d'Atrée qui, de retour de la guerre de Troie, est assassiné par sa femme Clytemnestre. Cette dernière n'a pas pardonné à son époux d'avoir accepté le sacrifice de leur fille Iphigénie (autre malheur fatal); de surcroît, elle s'est laissé séduire, en l'absence de son époux royal, par Egisthe, installé au pouvoir depuis quinze ans au début des Mouches. Electre et Oreste, fille et fils d'Agamemnon, n'auront de cesse qu'ils ne vengent leur père. Soutenu par sa soeur, au moins jusqu'à l'exécution de sa vengeance, Oreste tue Egisthe puis sa mère Clytemnestre.
sartre

« «Il y a des hommes qui naissent engagés : ils n'ont pas le choix, on les a jetés sur un chemin, au bout du chemin il ya un acte qui les attend, leur acte; ils vont, et leurs pieds nus pressent fortement la terre et s'écorchent auxcailloux.

Ça te paraît vulgaire, à toi, la joie d'aller quelque part ? » (acte I, scène 2) Une fois le meurtre d'Egisthe accompli ainsi que la vengeance consommée par le matricide (Oreste tue sa mèreClytemnestre), Oreste sait qu'il a inventé son chemin, qui n'est pas celui, tout tracé, que lui assignait Jupiter : « JUPITER.

- Le mal n'est pas si profond : il date d'hier.

Reviens parmi nous.

Reviens : vois comme tu es seul, tasœur même t'abandonne.

Tu es pâle, et l'angoisse dilate tes yeux.

Espères-tu vivre? Te voilà rongé par un malinhumain, étranger à ma nature, étranger à toi-même.

Reviens : je suis l'oubli, je suis le repos.ORESTE.

- Etranger à moi-même, je sais.

Hors nature, contre nature, sans excuse, sans autre recours qu'en moi.Mais je ne reviendrai pas sous ta loi : je suis condamné à n'avoir d'autre loi que la mienne.

Je ne reviendrai pas à tanature : mille chemins y sont tracés qui conduisent vers toi, mais je ne peux suivre que mon chemin.

Car je suis unhomme, Jupiter, et chaque homme doit inventer son chemin.

La nature a horreur de l'homme, et toi, toi, souveraindes Dieux, toi aussi tu as les hommes en horreur.JUPITER.

- Tu ne mens pas: quand ils te ressemblent, je les hais.

» (acte III, scène 2) De fait, Oreste entrevoit qu'il n'y a qu'un seul moyen de s'intégrer à la communauté humaine, que représente Argos,à ses yeux, c'est d'agir.

Or Argos repousse Oreste car cette ville expie le meurtre d'Agamemnon, telle étant lavolonté du tyran Egisthe et de son allié et garant divin, Jupiter.

Dans ces conditions, agir, ce n'est pas seulementrenoncer à cette liberté factice du détachement et du non-engagement, c'est aussi faire violence à l'apathie de laville et, bien entendu, tuer les meurtriers d'Agamemnon : « Ah, s'il était un acte, vois-tu, un acte qui me donnât droit de cité parmi eux; si je pouvais m'emparer, fût-ce parun crime, de leurs mémoires, de leur terreur et leurs espérances pour combler le vide de mon cœur, dussé-je tuerma propre mère...

»(acte I, scène 2) Electre, qui a toujours vécu à Argos, sait qu'on ne peut vaincre le mal que par la violence mais Oreste est encoretrop dépendant, «le bon jeune homme», des traditions pour ne pas demander un réconfort à Zeus (Jupiter), lemaître des dieux, sur la conduite à tenir : il hésite encore et voudrait être éclairé.

Zeus se manifeste aussitôt (enilluminant la pierre sacrée) et Oreste comprend que faire le bien comme il l'a appris, ce n'est pas trouver son chemin(« Il y a un autre chemin»); il faut sortir des sentiers battus et refuser l'obéissance aux ordres divins.

Telle est savérité, qu'il fait connaître à sa soeur : «Je te dis qu'il y a un autre chemin...

mon chemin.

Tu ne le crois pas? II part d'ici et il descend vers la ville.

Il fautdescendre, comprends-tu, descendre jusqu'à vous, vous êtres au fond d'un trou, tout au fond...

(Il s'avance versElectre.) Tu es ma soeur, Electre, et cette ville est ma ville.

Ma soeur! »(acte II, scène 4, 1er tableau)Ce chemin nouvellement découvert mène au crime; et puisqu'il est le seul accès à une liberté enfin conquérante, lecrime est exempt de tout sentiment de culpabilité.

Jupiter ne s'y trompe pas et s'empresse d'exhorter Egisthe àmettre hors la loi Oreste : il lui explique que le crime commis quinze ans plus tôt avait été un crime qui paie :l'assassinat d'Agamemnon avait rapporté vingt mille pénitents, dont le repentir était la caution du pouvoir d'Egistheet des dieux.

Mais maintenant que la liberté d'Oreste est en marche, sur le «chemin» d'un crime contre lequel lesdieux ne peuvent rien, c'est au pouvoir d'Egisthe qu'il faut s'en remettre.

Le secret des Dieux, c'est que leur pouvoirs'arrête là où commence la liberté des hommes : « EGISTHE.

- Je n'ai pas de secret.JUPITER.

- Si.

Le même que moi.

Le secret douloureux des Dieux et des rois : c'est que les hommes sont libres.

Ilssont libres, Egisthe.

Tu le sais, et ils ne le savent pas.

EGISTHE.

- Parbleu, s'ils le savaient, ils mettraient le feu auxquatre coins de mon palais.

Voilà quinze ans que je joue la comédie pour leur masquer leur pouvoir.

» (acte II, scène5, 2' tableau)Et Jupiter de poursuivre en expliquant qu'Oreste sait qu'il possède le secret devant lequel les dieux sont désarmés :« Quand une fois la liberté a explosé dans une âme d'homme, les Dieux ne peuvent plus rien contre cette homme-là.Car c'est une affaire d'homme et c'est aux autres hommes — à eux seuls — qu'il appartient de le laisser courir ou del'étrangler.

»(acte II, scène 5, 2e tableau) Egisthe se laissera tuer sans se défendre : Oreste tuera sa mère au grand soulagement d'Electre (acte II, scène 8,2e tableau).

Oreste triomphe sachant que son acte est juste et qu'il lui appartient.

Et c'est la métaphore duvoyage, du passeur d'eau plus exactement, qui lui vient aux lèvres : tout en étant son chemin, le chemin qu'il ainventé est aussi celui que les autres peuvent emprunter :. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles