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Chateaubriand juge de Chateaubriand

Publié le 17/02/2012

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chateaubriand

 

« Maintenant, dans la supposition que mon nom laisse quelque trace, je le devrai au Génie du Christianisme. Sans illusion sur la valeur intrinsèque de l'ouvrage, je lui reconnais une valeur accidentelle; il est venu juste et à son moment. « (Mémoires d'Outre-Tombe.)

Expliquez et appréciez ce jugement.

Chateaubriand reste le plus grand nom qui ait marqué le début du xixe siècle. Il reste aussi, après cent trente-quatre ans, l'auteur du « Génie du Christianisme «. Cet ouvrage n'est peut-être pas son meilleur, mais il a consacré sa célébrité. L'auteur a donc été bon prophète. La seconde partie de son jugement — valeur intrinsèque; valeur accidentelle — ne se présente pas à nous avec la même évidence; elle appelle des explications, peut-être certaines rectifications. Essayons de formuler celles-ci et de fournir celles-là.

chateaubriand

« Philosophe, it ne fournit pas des arguments suffisants de l'existence de Dieu.

Sa demonstration n'apparait qu'au cinquieme livre, de la premiere partie, apres des considerations qui la postulaient.

Trop tardive, elle est aussi vraiment trop faible.

Elle s'appuie uniquement sur les « merveilles de la nature ».

C'est l'argument des « causes finales », jadis exploits par Bernardin de Saint-Pierre.

L'univers est beau, it est ordonne, tout y revele une attention intelligente et bonne, une telle merveille ne petit etre que l'ceuvre d'un Dieu.

- Philosophiquement parlant, ce n'est IA qu'une hypo- these facile, spontanee, populaire, mais aussi quelque peu arbitraire, n'of- frant pas un caractere de necessite.

Cette preuve souleve toute une serie d'objections auxquelles ne repond point Chateaubriand : tout n'est pas beau, tout n'est pas bon, tout n'est pas ordre dans l'univers.

Et ce mecanisme colossal, magnifique ne supprime-t-il pas la liberte individuelle?...

Qu'im- porte au poke, it decrit, it affirme Il est un Dieu : les herbes de la vallee et les cedres de la montagne le benissent, l'insecte bourdonne ses louanges, l'elephant le salue au lever du jour, etc...

2.

Veut-il prouver l'exis- tence du demon, la preuve est bientot trouvee : « ...Le serpent a souvent ete l'objet de nos observations et, si nous osons le dire, nous avons cru recon- naitre en lui cet esprit pernicieux et cette subtilite que lui attribue l'Ecri- ture.

» Il raconte l'histoire d'un Canadien, charmeur de serpents et conclut gravement : « c'est IA une sorte d'induction, tiree des mcrurs du serpent, en faveur des verites de l'Ecriture (1).x, Pour prouver les raisons de senti- ment et les raisons poetiques devraient s'unir aux raisons de la raison. Chateaubriand neglige celles-ci; it renvoie a Platon, a Ciceron, a Clarke eta Leibniz, ce qui n'est pas extremement probant.

Sa philosophie, super- ficielle et incomplete, oublie le but, relegue dans l'ombre le fait capital, a savoir que la religion chretienne est, avant tout, vraie. L'exegete doit s'attacher a demontrer la valeur du temoignage qu'ap- portent les Ecritures en faveur du Dieu chretien.

Quiconque a etudie les Pensees de Pascal sait l'importance qu'attachait le futur apologiste a la preuve scripturaire; les documents accumules sur cette question primor- diale forment une section considerable des fragments rassembles.

Cette preoccupation ne hante pas Chateaubriand.

Il procede par affirmations tranchantes, oppose des noms a d'autres noms, une autorite A une autre autorite.

II jette dans les jambes des savants modernes Origene, Eusebe, Bossuet, Pascal, Fenelon, Bacon, Newton, argument dont on a abuse de- puis, et l'un des plus faibles que puisse invoquer le chretien pour defendre sa foi. Reste done le poste : itest merveilleux.

II apprend a aimer le culte interieur et exterieur que l'homme doit a Dieu.

Bien plus qu'une apologie rationnelle, le Genie est une apologie esthetique, un poeme compose par un ecrivain puissant, un a enchanteur », pour nous induire a donner tout notre cur au suave, au magnifique, au triomphant Christianisme.

Et nous savons que de tels arguments suffisent a certaines Ames pour qui la foi est « Dieu sensible au cceur et non a la raison » pour qui Beaute equivaut N'est-ce pas le cas d'un Jcergensen, d'un Huysmans? En cela Chateaubriand s'est consul* lui-meme; it a fait sur son Arne l'essai des arguments qui nous semblent faibles aujourd'hui.

Ce tie sont ni la philosophie ni l'exegese qui l'ont ramene A la religion chrkienne, mais une emotion intime : «Je n'ai point cede, j'en conviens, A de grandes lu- mieres surnaturelles; ma conviction est sortie du cceur : j'ai pleure et j'ai cru.

» Au reste n'a-t-il pas lu ce vers de Fontanes : Dieu doit moins se prouver qu'il ne doit se sentir? C'est son aventure; ce sont ses decouvertes de neo-croyant qu'il raconte.

La profondeur du sentiment, la chaleur de l'eloquence, la beaute des tableaux detaches, la magic du style - « sa prose, disait Joubert, est de la musique et des vers » - : voila ce qui constitue la valeur intrinseque du «Genie». La Valeur accidentelle a ete definie exactement dans le texte que nous etudions.

Ce livre est venu juste, et ii est venu a son moment. (1) M.

Maurice Souriau (Flistoire du Romantisme en France) cite un autre exemple amusant : Une bande de quatre ou cinq mille calmPns est chargee de la police des embouchures.

Sans cela les poissons qui remontent les fleuves finiraient par les obstruer Ces especes de monstres ont quelquefois revolts l'athee; its sont pourtant necessaires dans le plan general! Philosophe, il ne fournit pas des arguments suffisants de l'existence de Dieu. Sa démonstration n'apparaît qu'au cinquième livre, de la première partie, après des considérations qui la postulaient.

Trop tardive, elle est aussi vraiment trop faible.

Elle s'appuie uniquement sur les «merveilles de la nature».

C'est l'argument des «causes finales», jadis exploité par Bernardin de Saint-Pierre.

L'univers est beau, il est ordonné, tout y révèle une attention intelligente et bonne, une telle merveille ne peut être que l'œuvre d'un Dieu. — Philosophiquement parlant, ce n'est là qu'une hypo­ thèse facile, spontanée, populaire, mais aussi quelque ueu arbitraire, n'of­ frant pas un caractère de nécessité. Cette preuve soulève toute une série d'objections auxquelles ne répond point Chateaubriand : tout n'est oas beau, tout n'est pas bon, tout n'est pas ordre dans l'univers. Et ce mécanisme colossal, magnifique ne supprime-t-il pas la liberté individuelle?...

Qu'im­ porte au poète, il décrit, il affirme : « Il est un Dieu : les herbes de la vallée et les cèdres de la montagne le bénissent, l'insecte bourdonne ses louanges, Y éléphant le salue au lever du jour, etc..

» Veut-il prouver l'exis­ tence du démon, la preuve est bientôt trouvée : « ...Le serpent a souvent été l'objet de nos observations et, si nous osons le dire, nous avons cru recon­ naître en lui cet esprit pernicieux et cette subtilité que lui attribue l'Ecri­ ture. » Il raconte l'histoire d'un Canadien, charmeur de serpents et conclut gravement : « c'est là une sorte d'induction, tirée des mœurs du serpent, en faveur des vérités de l'Ecriture (1).

» Pour prouver les raisons de senti­ ment et les raisons poétiques devraient s'unir aux raisons de la raison.

Chateaubriand néglige celles-ci; il renvoie à Platon, à Cicéron, à Clarke et à Leibniz, ce qui n'est pas extrêmement probant. Sa philosophie, super­ ficielle et incomplète, oublie le but, relègue dans l'ombre le fait capital, à savoir que la religion chrétienne est, avant tout, vraie.

Uexégète doit s'attacher à démontrer la valeur du témoignage qu'ap­ portent les Ecritures en faveur du Dieu chrétien. Quiconque a étudié les Pensées de Pascal sait l'importance qu'attachait le futur apologiste à la preuve scripturaire; les documents accumulés sur cette question primor­ diale forment une section considérable des fragments rassemblés. Cette préoccupation ne hante pas Chateaubriand. Il procède par affirmations tranchantes, oppose des noms à d'autres noms, une autorité à une autre autorité.

Il jette dans les jambes des savants modernes Origène, Eusèbe, Bossuet, Pascal, Fénelon, Bacon, Newton, argument dont on a abusé de­ puis, et l'un des plus faibles que puisse invoquer le chrétien pour défendre sa foi.

Reste donc le poète : il est merveilleux. Il apprend à aimer le culte intérieur et extérieur que l'homme doit à Dieu.

Bien plus qu'une apologie rationnelle, le Génie est une apologie esthétique, un poème composé par un écrivain puissant, un « enchanteur », pour nous induire à donner tout notre cœur au suave, au magnifique, au triomphant Christianisme. Et nous savons que de tels arguments suffisent à certaines âmes pour qui la foi est « Dieu sensible au cœur et non à la raison » pour qui Beauté équivaut à Vérité.

N'est-ce pas le cas d'un Jœrgensen, d'un Huysmans? En cela Chateaubriand s'est consulté lui-même; il a fait sur son âme l'essai des arguments qui nous semblent faibles aujourd'hui. Ce ne sont ni la philosophie ni l'exégèse qui l'ont ramené à la religion chrétienne, mais une émotion intime : « Je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lu­ mières surnaturelles; ma conviction est sortie du cœur : j'ai pleuré et j'ai cru. » Au reste n'a-t-il pas lu ce vers de Fontanes : Dieu doit moins se prouver qu'il ne doit se sentir? C'est son aventure; ce sont ses découvertes de néo-croyant qu'il raconte.

La profondeur du sentiment, la chaleur de l'éloquence, la beauté des tableaux détachés, la magie du style — « sa prose, disait Joubert, est de la musique et des vers » — : voilà ce qui constitue la valeur intrinsèque du « Génie ».

La Valeur accidentelle a été définie exactement dans le texte que nous étudions.

Ce livre est venu juste, et il est venu à son moment.

(1) M. Maurice Souriau (Histoire du Romantisme en France) cite un autre exemple amusant: Une bande de quatre ou cinq mille caïmans est chargée de la police des embouchures.

Sans cela les poissons qui remontent les fleuves finiraient par les obstruer : « Ces espèces de monstres ont quelquefois révolté l'athée; ils sont pourtant nécessaires dans le plan général! ». »

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