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Claude BERNARD et la métaphysique

Publié le 12/07/2011

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claude bernard

« En physiologie, il faut renoncer à une définition de la vie. «

Dans sa première leçon du Muséum sur Les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, ayant voulu commencer par définir la vie, Claude Bernard avait abouti à cette conclusion : « Nous avons montré qu'en physiologie il faut renoncer à une définition de la vie. Nous ne pouvons qu'en caractériser les phénomènes. « (I, 63.) Les phénomènes vitaux sont une donnée expérimentale; par suite, il appartient au physiologiste de déterminer leurs conditions. Mais la vie elle- même est une notion métaphysique, conçue par le philosophe pour l'explication des données de l'expérience, mais non donnée; il n'appartient donc pas au physiologiste d'en discuter. Claude Bernard en discutera souvent, mais pour combattre les savants qui adoptent sur ce point une attitude dogmatique, soit qu'ils opposent radicalement la matière vivante à la matière brute, soit que, au contraire, ils réduisent la première à la seconde. Autrefois, les défenseurs de la spécificité des phénomènes vitaux concevaient la vie comme une réalité distincte de la matière qu'elle domine et organise : c'est la théorie que Claude Bernard attribue indûment à Aristote et aux scolastiques sous le nom d'animisme. Mais il combat surtout le vitalisme du grand physiologiste de la génération qui l'avait précédé, Bichat (1771-1802), pour qui les propriétés des tissus vivants sont radicalement distinctes des propriétés de la matière inorganique et même absolument opposées à elles; d'où cette célèbre définition : « La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort. « Contre cette forme de vitalisme, Claude Bernard répétera constamment : il n'y a pas deux physiques et deux chimies; les lois physico-chimiques qui régissent la matière brute s'appliquent avec tout autant de rigueur aux êtres vivants.

claude bernard

« « La vie est création.

» Bien qu'il se défende de définir la vie, Claude Bernard tourne toujours autour de cette question et il a même consacré un de ses articles à la Définition de la vie.

Dans cet article il la définit comme « la force évolutive del'être ».

Mais il dit plus souvent : « la vie c'est la création » (Se.

expér., 52); « La vie, c'est une création » (Cahier rouge, 68).

Mais que faut-il entendre par là ?D'abord que la vie est créatrice, la mort consistant dans l'arrêt de ce pouvoir créateur qui restaurait l'équilibre sans cesse compromis par le jeu des puissances de dissolution.

Cette vue, qui s'apparente à la théorie deBichat, se trouve chez Claude Bernard, par exemple à propos de la fonction glycogénique du foie.Les études du mécanisme de la formation du sucre dans le foie permet de distinguer clairement les deux espèces de phénomènes dont je viens de parler, savoir : 1° le phénomène vital, qui est la sécrétion, c'est-à-dire lacréation de la manière amylacée dans la cellule glycogénique hépatique; 2° le phénomène chimique, qui est la destruction du principe immédiat, formé par ses transformations successives en dextrine, glycose, acidelactique, acide carbonique, etc.

Pendant la vie, les deux phénomènes se produisent, parce que les conditions vitales de la sécrétion du glycogène existent en même temps que les propriétés physico-chimiques du sangfavorisent éminemment sa destruction, c'est-à-dire la formation de tous ses dérivés.

Quand la vie vient à cesser, la formation vitale du glycogène s'arrête, mais sa décomposition en produits secondaires continue, si lesconditions physico-chimiques restent stables.

(Rapport, p.

81.)Mais la formule « la vie, c'est une création » situe plus souvent l'action créatrice à un stade supérieur, au stade de la constitution de l'être vivant.

Celui-ci fonctionne comme une machine; mais cette machine, il a fallu laconstruire; c'est dans cette construction qu'intervient une force qui n'est pas mécanique la vie ou la cause première qui produit la vie.S'il fallait définir la vie d'un seul mot, qui, en exprimant bien ma pensée mît en relief le seul caractère qui, suivant moi, distingue nettement la science biologique, je dirais : la vie, c'est la création.

En effet, l'organisme crééest une machine qui fonctionne nécessairement en vertu des propriétés physico-chimiques de ses éléments constituants.

Nous distinguons aujourd'hui trois ordres de propriétés manifestées dans les phénomènes des êtresvivants : propriétés physiques, propriétés chimiques et propriétés vitales.

Cette dernière dénomination de propriétés vitales n'est, elle-même, que provisoire; car nous appelons vitales les propriétés organiques que nousn'avons pas encore pu réduire à des considérations physico-chimiques; mais il n'est pas douteux qu'on y arrivera un jour.

De sorte que ce qui caractérise la machine vivante, ce n'est pas la nature de ses propriétésphysico-chimiques, mais bien la création de cette machine qui se développe sous nos yeux dans les conditions qui lui sont propres et d'après une idée définie qui exprime la nature de l'être vivant et l'essence même de lavie.Quand un poulet se développe dans un œuf, ce n'est point la formation du corps animal, en tant que groupement d'éléments chimiques, qui caractérise essentiellement la force vitale.

Ce groupement ne se fait que parsuite des lois qui régissent les propriétés physico-chimiques de la matière; mais ce qui est essentiellement du domaine de la vie et ce qui n'appartient ni à la chimie, ni à la physique, ni à rien autre chose, c'est l'idéedirectrice de cette évolution vitale.

Dans tout germe vivant, il y a une idée créatrice qui se développe et se manifeste dans l'organisation.

Pendant toute sa durée, l'être vivant reste sous l'influence de cette même formevitale créatrice, et la mort arrive lorsqu'elle ne peut plus se réaliser.

(Introd.

II, § 1, p.

147-148.)Quel est donc le rôle respectif de l'idée directrice ou force créatrice et des agents physico-chimiques ? La première dirige, répète Claude Bernard; les autres exécutent.

« De même dans un monument, la force législativeest l'intelligence de l'architecte, mais le pouvoir exécutif n'est autre chose que la pierre qui fonctionne mécaniquement en vertu des propriétés purement physiques et chimiques.

» (Principes, p.

243.)En résumé, il y a dans un phénomène vital, comme dans tout autre phénomène naturel, deux ordres de cause : d'abord une cause première, créatrice, législative et directrice de la vie, et inaccessible à notre connaissance,— ensuite une cause prochaine ou exécutive du phénomène vital, qui est toujours de nature physico-chimique, et tombe dans le domaine de l'expérimentation.

La cause première de la vie donne l'évolution ou la créationde la machine organisée; mais la machine une fois créée fonctionne en vertu des propriétés de ses éléments constituants et sous l'influence des conditions physico-chimiques qui agissent sur eux.

Pour le physiologiste et lemédecin expérimentateur, l'organisme vivant n'est qu'une machine admirable douée des propriétés les plus merveilleuses mise en action à l'aide des mécanismes les plus complexes et les plus délicats.

(Sc.

expér., p.

53-54.)Pour donner l'explication dernière des phénomènes .

vitaux, il est indispensable de recourir à une puissance ou à une force distincte des agents physico-chimiques : Claude Bernard le reconnaît incontestablement et par làse rallie à un certain vitalisme qu'il lui arrivera d'appeler un « vitalisme physique » (Phén.

de la vie, II, 524).Mais quand on veut situer exactement l'intervention de la vie, on se trouve devant des affirmations d'une concordance imparfaite.

Le langage de Claude Bernard, quand il se mêle de philosopher, manque de rigueur.« La vie est création », répète-t-il.

Mais la création est un acte qui suppose un agent, un créateur dont l'existence précède la création.

Quel est cet agent ?D'ordinaire, semble-t-il, il considère la vie comme la force qui crée la machine vivante et sans cesse pourvoit aux réparations exigées par les phénomènes de désassimilation.

Cette thèse implique le vitalisme si vivementcombattu.La vie n'engendre rien, elle ne crée ni force ni matière première, elle ne fait que déterminer l'arrangement organique qui caractérise la substance organisée et donne la forme ou la morphologie spéciale des phénomènesvitaux.

(Rapport, p.

136.)Les phénomènes de la vie sont donnés par les propriétés physiques et chimiques des tissus.

Ces propriétés sont à leur tour données par la structure.

Mais la structure est donnée par la vie ou par le développement, et cedernier est entretenu par la nutrition.

(Cahier rouge, p.

126.)Mais dans d'autres cas, c'est à ¡a « cause première » ou « métaphysique » — et qui dépasse par conséquent la compétence du physiologiste — qu'est attribuée la structure d'où résultent les propriétés vitales.

Le terme de« vie » n'est plus alors que la dénomination générique de l'ensemble des phénomènes vitaux, effets de la constitution organique.On peut regarder la cause de la vie comme résidant véritablement dans la puissance d'organisation qui crée la machine vivante et répare ses pertes incessantes (Rapport, 133.)La vie est l'expression de l'organisme; elle ne pourra pas agir sur lui; l'électricité n'agit pas sur la pile.

(Pensées, p.

63.)Nous nous sommes expliqué ailleurs sur la nature de la force vitale et on ne saurait lui reconnaître aucune spontanéité pas plus qu'aux autres forces naturelles.

(Principes, p.

224.)La vie est-elle, pour Claude Bernard, la cause ou bien l'effet de l'organisation qui caractérise les êtres vivants ? Ses réponses à cette question manquent de netteté et surtout de concordance, à moins qu'il se retranchedans une double négation comme dans le texte suivant : « La vie n'est ni un principe ni une résultante.

» (Phén.

de la vie, II, 344-345.).

Mais alors qu'est-elle ? Il eût sans doute été préférable que le grand physiologistene s'embarquât pas dans ces problèmes. « L'organisme constitue un tout dans lequel il existe une harmonie préétablie.

» C'est peut-être par l'affirmation de la finalité de l'être vivant que Claude Bernard s'oppose le plus aux matérialistes mécanicistes : il y a en lui une « idée directrice », répète-t-il.

Mais dans cette question comme dans laplupart des questions philosophiques auxquelles il touche, le manque d'un vocabulaire fixe et l'ignorance des distinctions classiques l'amène à nier ce qu'il a admis ailleurs et qu'il affirme de nouveau plus tard.Nous l'avons dit à propos de la méthode d'étude des êtres vivants, ceux-ci, pour Claude Bernard, constituent un tout dont les parties sont solidaires et agissent comme tout.

Il y a là une coordination qui décèle un plan etdans le second des textes qu'on va lire il semble que Claude Bernard admette la recherche des causes finales en biologie.Il y a comme un dessin préétabli de chaque être et de chaque organe, en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène de l'économie est tributaire des forces générales de la nature, pris dans ses rapports avec lesautres, il révèle un lien spécial, il semble dirigé par quelque guide invisible dans la route qu'il suit et amené dans la place qu'il occupe.La plus simple méditation nous fait apercevoir un caractère de premier ordre, un quid proprium de l'être vivant dans cette ordonnance vitale préétablie (Phénom.

de la vie, I, p.

51.)Quand un physicien ou un chimiste étudie les phénomènes des corps bruts, il n'a pas besoin de se poser la recherche (sic) des causes finales, c'est-à-dire la raison harmonique ou intelligente des phénomènes dont ilrecherche les lois en rapport avec un but déterminé.

En biologie, il en est tout autrement.

L'organisme constitue un tout dans lequel existe une harmonie préétablie.Chaque propriété, chaque acte, chaque fonction paraissent être produits sous l'influence d'une force intelligente, d'apparence inconsciente dans beaucoup de vivants, mais évidemment consciente et libre chez un grand. »

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