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CLAUDE BERNARD: Le théoricien de la méthode en physiologie

Publié le 12/07/2011

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claude bernard

Ce n'est pas sans opposition qu'il parvint à faire admettre que le physiologiste devait recourir, quant à l'essentiel, aux procédés en usage dans les laboratoires de physique et de chimie. N'y avait-il pas chez les êtres vivants une spontanéité, l'intervention d'un principe immatériel, qui troublaient la constance observée dans les réactions de la matière brute et qui empêchaient de pouvoir formuler des lois rigoureuses ? Claude Bernard étendit fermement aux phénomènes vitaux le déterminisme observé dans les corps bruts. Mais, en même temps, il mit en relief la complexité des êtres vivants et par suite les conditions méthodologiques spéciales qu'exige leur étude.

claude bernard

« « Ce qui vit, ce qui existe, c'est l'ensemble.

» Une caractéristique essentielle du vivant, c'est qu'il constitue un tout et qu'il fonctionne comme tout.

Les différents grains d'un caillou broyé par le concasseur présentent les propriétés qu'ils avaient lorsqu'ils étaientagglomérés en un seul bloc.

Il n'en est pas de même chez le vivant, dont les parties cessent de vivre quand elles sont détachées du tout.Un organe ne vit pas par lui-même, on pourrait souvent dire qu'il n'existe pas anatomiquement, car la délimitation qu'on en a faite, à ce point de vue, est quelquefois purement arbitraire.

Ce qui vit, ce qui existe, c'estl'ensemble, et si l'on étudie isolément les unes après les autres toutes les pièces d'un mécanisme quelconque, on n'a pas l'idée de la manière dont il marche.

De même, en procédant anatomiquement, on démontel'organisme.

Mais on n'en saisit pas l'ensemble.

Cet ensemble ne peut se voir que lorsque les organes sont en mouvement.

(Physiol.

expér., II, 15.)C'est pourquoi le physiologiste ne peut pas recourir aux analyses réelles qu'effectue le chimiste.

Même lorsqu'il a réussi une de ces analyses mentales que sont les « analyses physiologiques » dont nous parlerons,l'expérimentateur doit réintégrer mentalement dans le tout la propriété découverte dans un organe : « Quand on veut donner à une propriété physiologique sa valeur et sa véritable signification, il faut toujours la rapporterà l'ensemble et ne tirer de conclusion définitive que relativement à ses effets dans cet ensemble.

» (Introduction, II, II, § 1, p.

140.)Pour que l'expérimentation soit éclairante, il faut disposer d'un ou plusieurs individus témoins rigoureusement semblables à celui ou à ceux sur lesquels on expérimente.

Et si on voulait répéter l'expérience, on devrait seprocurer des animaux identiques à ceux qui ont servi la première fois.

Or, ce sont là des exigences impossibles à satisfaire.Les individus de même espèce présentent toujours des différences notables du point de vue de la constitution, de l'âge, d'e l'exercice actuel de leurs fonctions.

Opérerait-on sur le même individu, il se trouverait dans desconditions, au moins internes, quelque peu différentes et, dans la plupart des cas, la première expérience subie influerait notablement sur les effets de la seconde.C'est ainsi que, voulant autrefois juger de l'influence de certaines substances sur la production de la matière glycogène dans le foie, je n'ai jamais pu trouver deux animaux comparables sous ce rapport, même en lesmettant dans des conditions alimentaires exactement semblables, c'est-à-dire à jeun pendant le même nombre de jours.

Les animaux, suivant leur âge, leur sexe, leur embonpoint, etc., supportent plus ou moinsl'abstinence et détruisent plus ou moins de matière glycogène, de sorte que je n'étais jamais sûr que les différences trouvées fussent le résultat de la différence d'alimentation.

Pour enlever cette cause d'erreur, je fusobligé de faire l'expérience complète sur le même animal, en lui enlevant préalablement un morceau de foie avant l'injection alimentaire et une autre après.

(Introduction, III, II, § 4.)« L'organisme de l'animal à sang chaud (...) garde en quelque sorte ses organes en serre chaude.

» (Sc.

expér., 45.)Ayant en vue l'organisation de la médecine expérimentale, Claude Bernard n'expérimente guère que sur des vertébrés et spécialement sur les mammifères : nous le savons, ce sont surtout des chiens et des lapins qu'ilsacrifiait dans son laboratoire.

Or les espèces supérieures, et surtout les espèces à sang chaud, présentent une barrière qui rend difficile les interventions expérimentales : c'est ce que l'auteur de l'Introduction a dénomméle « milieu organique » ou « milieu intérieur ».Cette importante notion vaut bien que nous lui consacrions une bonne page.Dans tous les cours de physiologie générale, nous avons donc toujours professé qu'il fallait admettre deux ordres de milieux bien distincts pour les êtres vivants :1° Les milieux cosmiques ou extérieurs, entourant l'individu tout entier;2° Les milieux organiques ou intérieurs, en contact immédiat avec les éléments anatomiques qui composent l'être vivant.Cette idée, que nous avons développée le premier, a déjà été adoptée par plusieurs physiologistes, et vous pourrez juger par vous-mêmes combien elle rend plus facile et plus claire l'analyse des phénomènes élémentairesde la vie.Chez les êtres inférieurs, il n'y a, pour ainsi dire, pas de milieu organique distinct : ainsi les infusoires, dans les liquides où ils sont placés, subissent immédiatement les influences du milieu extérieur; ils vivent dans l'eau ets'y nourrissent d'une façon extrêmement simple.

Ce sont, en quelque sorte, des éléments organiques libres, vivant en contact immédiat avec les milieux extérieurs; ils seraient donc en quelque sorte dépourvus de milieuxintérieurs, bien qu'ils aient cependant une organisation assez complexe, et que nous n'allons pas jusqu'à les considérer comme des cellules simples.Pour tous les végétaux en général, on peut encore se contenter de la considération du milieu extérieur.Mais à mesure qu'on s'élève dans l'échelle des êtres vivants, l'organisation se complique; les éléments histologiques deviennent plus délicats et ne peuvent plus vivre directement dans le milieu extérieur.

Alors de deuxchoses l'une : ou ces animaux se créent un milieu intérieur, ou ils prennent d'autres êtres pour milieu, et deviennent parasites : tels sont les infusoires hématozoaires, les helminthes, les vers intestinaux en général, etc.

—Ces organismes parasitaires empruntent donc en quelque sorte à d'autres vivants les milieux qu'ils ne peuvent se créer eux-mêmes.

Cette nécessité de milieux spéciaux entraîne chez eux les migrations les plus singulières,migrations analogues à celles des animaux élevés qui changent de climats.

Citons l'œstre du cheval, l'anguillule du froment, la trichine, etc.Mais ce que nous voulons surtout faire ressortir, c'est la formation de milieux organiques propres.

Dans les êtres plus élevés, les éléments histologiques ne pouvant plus s'accommoder des influences physico-chimiquesextérieures, le milieu intérieur prend une importance toute nouvelle et se constitue sous la forme d'un liquide circulant qui met les organes en rapport les uns avec les autres et avec l'extérieur : ce liquide, c'est le sang ouliquide nourricier.Le sang n'est pas autre chose qu'un milieu intérieur dans lequel vivent les éléments anatomiques, comme les poissons vivent dans l'eau, c'est-à-dire sans être le moins du monde imbibés dans leur substance (...).A mesure que le milieu intérieur s'élève, il tend à s'isoler plus complètement des milieux extérieurs et présente les conditions organiques modifiées d'une manière spéciale pour le développement des éléments anatomiques,qui sont ainsi de plus en plus protégés contre les influences du dehors.

Le sang conserve alors une température propre, donne des matières nutritives spéciales, etc.

— Nous comprenons ici, sous le nom de milieuxintérieurs.

le sang et tous les liquides plasmatiques ou blastématiques qui en dérivent.

(Cl.

Bernard, Leçons sur les propriétés des tissus vivants, p.

55-56.

Baillière, 1866.)« Elle marche (,..) d'abord analytiquement...

»Les processus expérimentaux de la physique et surtout de la chimie peuvent se ramener à des analyses et a des synthèses se contrôlant les unes les autres.

En est-il de même dans l'étude des êtres vivants ? La réponsenégative était courante à l'époque de Claude Bernard.

Lui, au contraire, répond affirmativement et avec force : « Proscrire l'analyse dans les organismes, écrit-il (Introd., p.

142), c'est arrêter la science.

»Descartes avait formulé la règle de l'analyse en ces termes :« Diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

» Le titre d'un des paragraphes de l'Introduction rappelle cette formule : « Pourarriver au déterminisme des phénomènes dans les sciences biologiques comme dans les sciences physico-chimiques, il faut ramener les phénomènes à des conditions expérimentales définies et aussi simples que possible.» (II, I, § 6.)Procédant à une sorte de décentralisation du principe vital, Bichat avait localisé les phénomènes vitaux dans les tissus (Anatomie générale, 1801).

Claude Bernard suit la même voie, en écartant, de plus, l'hypothèse deforces vitales s'opposant aux forces physico-chimiques : « La vie réside partout dans le corps humain; son siège véritable est placé dans les éléments histologiques qui constituent les tissus, et elle n'est en définitive que larésultante de l'action de toutes les parties élémentaires.

» (Pathol.

exp., p.

432.)...

Constatons ce fait, maintenant bien établi, à savoir que toutes les manifestations de la vie sont exclusivement attachées aux parties élémentaires des corps vivants : ce sont les éléments anatomiques ou organiques,cellules ou organismes élémentaires, comme on voudra.

En effet, chaque organe a sa vie propre, son autonomie; il peut se développer et se reproduire indépendamment des tissus voisins.

Sans doute, ces tissusentretiennent, pendant la vie, des relations nombreuses qui les font concourir à l'harmonie de l'ensemble; mais on pourrait, jusqu'à un certain point, comparer chaque individu à un polypier résultant de la juxtapositiond'une foule d'organismes vivants.

(Cl.

Bernard, Tissus vivants, p.

22.

Baillière, 1866.)On le voit, la phobie du vitalisme suscite en Claude Bernard la tentation d'une sorte d''atomisme physiologique qui contredit sa conception fondamentale du vivant comme tout.

Mais il voit bien la difficulté; aussi atténue-t-ilson affirmation par un sage « jusqu'à un certain point ». « ...

puis elle construit une synthèsequ'elle soumet encore à l'expérience.

» (Principes, p.

291.). »

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