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Colette, « L'enfant malade » (nouvelle extraite du recueil Gigi)

Publié le 21/02/2011

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L'enfant malade reçut sur tout son corps mi-couché le réconfort d'un regard capiteux et brun, vaste, désaltérant : « Que c'est bon, cette bière brune des yeux de Mandore ! Comme elle est gentille, elle aussi, pour moi !... Comme tout le monde est gentil pour moi !... S'ils pouvaient se retenir un peu... « Épuisé sous le faix de la gentillesse universelle, il ferma les yeux, et les rouvrit au tintement des cuillers. Cuillers à potions, cuillers à potage, cuillers à entremets... Jean n'aimait pas les cuillers, exception faite d'une bizarre cuiller d'argent à longue tige torse, qui d'un bout s'achevait en petite rondelle guillochée. « C'est un écrase-sucre, disait Madame Maman. — Et l'autre bout de la cuiller, Madame Maman ? — Je ne sais pas bien. Je crois que c'était une cuiller à absinthe... « Et son regard glissait presque toujours à ce moment-là vers un portrait photographique du père de Jean, le mari qu'elle avait perdu si jeune, « ton cher papa, mon Jean «, et que Jean désignait froidement par les mots — des mots pour le silence, pour le secret, — « ce monsieur accroché dans le salon «. A part la cuiller à absinthe, — absinthe, absinthe, abside, sainte abside — Jean ne se plaisait qu'aux fourchettes, démons quatre fois cornus, sur lesquels s'empalaient la noisette de mouton, un petit poisson convulsé dans sa friture, un cadran de pomme et ses deux yeux de pépins, un croissant d'abricot en son premier quartier, givré de sucre... — Jean chéri, tends ton bec... Il obéit en fermant les yeux, but un remède à peu près insipide, sauf une passagère mais inavouable fadeur qui masquait le pire... Dans le secret de son vocabulaire, Jean appelait cette potion « le ravin aux cadavres «. Mais rien n'aurait pu arracher de lui, jeter pantelantes aux pieds de Madame Maman des syllabes aussi affreuses. La soupe phosphatée suivit, inévitable, grenier mal balayé, calfaté de vieille farine dans les coins. Mais on lui pardonnait tout, à celle-là, en faveur de ce qui flottait d'irréel sur sa bouillie claire : un souffle floral, le poudreux parfum des bleuets que Mandore achetait par bottillons dans la rue, en juillet, pour Jean... Un petit cube d'agneau grillé passa vite. « Courez, agneau, courez, je vous fais bonne figure, mais descendez en boule dans mon estomac, je ne vous mâcherais pour rien au monde, votre chair bêle encore, et je ne veux pas savoir que vous êtes rose à l'intérieur ! « — Il me semble que tu manges bien vite, ce soir, Jean ?

Colette, « L'enfant malade « (nouvelle extraite du recueil Gigi, 1944)

Vous ferez de ce texte un commentaire composé de façon à mettre en lumière l'intérêt qu'il vous inspire. Vous pourrez, par exemple, étudier comment ce repas de l'enfant malade est transfiguré par la richesse des sensations, les nuances des relations affectives et par le pouvoir de l'imagination. Vous vous abstiendrez seulement de présenter un commentaire linéaire et de faire une division artificielle entre le fond et la forme.

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