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Commentaire de david hume

Publié le 11/03/2011

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hume

Introduction

Dans cet extrait polémique, Hume s’attaque au problème de l’existence du moi : y-a-t-il une unité, une identité derrière la diversité de nos perceptions. Autrement dit, peut-on parler d’un sujet conçu comme un support commun à tous les événements de la vie psychique ? La question est donc celle du rapport entre la multiplicité de nos perceptions et de nos idées et, d’autre part, une possible unité, une éventuelle unification sous un moi frappé du sceau de l’identité.

Descartes posait une telle identité personnelle avec l’existence assurée du cogito (Cf. le « je pense donc je suis » de la quatrième partie du Discours de la méthode). Hume, au contraire, répond par la négative : le moi n’existe pas. L’homme n’est, en dernière analyse, que multiplicité de perceptions, sans aucune unité. Le fondement de ce refus de l’existence du moi n’est autre que sa théorie empiriste de la connaissance. Selon cette dernière, toute idée provient des perceptions : l’idée du moi, pour être certaine, devrait provenir elle aussi d’une impression, d’une perception. Or ce n’est pas le cas. Donc le moi n’existe pas. Nous réduisons donc à une simple collection de perceptions, sans dénominateur commun, sans identité personnelle. Telle est la thèse que va défendre Hume dans cet extrait.

Sa critique de l’identité personnelle se déroule en quatre temps. Après avoir, dans un premier temps, présenté l’antithèse (existence du moi défendue par les philosophes antérieurs), Hume entreprend ensuite sa critique du moi. Dans un troisième temps, il tire la conséquence de cette non existence du moi : toutes nos perceptions sont atomiques et intermittentes. Enfin, Hume, après avoir repris l’énonciation de sa thèse, en offre une illustration au travers du théâtre.

 

I- Les adversaires

D’emblée, Hume pose la thèse qu’il va critiquer : « Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre « moi » ; que nous sentons son existence et sa continuité d’existence ; et que nous sommes certains, plus que par l’évidence d’une démonstration, de son identité et de simplicité parfaites.« . Le verbe « imaginer » instaure immédiatement la prise de distance que va petit à petit prendre Hume vis-à-vis de cette thèse. La thèse présentée est donc celle de l’existence d’une identité et d’une unité du moi au cours du temps, une unité ininterrompue. L’homme pourrait en avoir une intuition, une idée claire et distincte. Bien évidemment, on retrouve ici par exemple le système cartésien et la conception du moi selon le philosophe français. Mais la critique touche aussi Locke ou encore Malebranche.

Dans le système cartésien, il y a une connaissance immédiate, intuitive du sujet : le moi est une idée claire et distincte. Elle a le caractère de l’évidence. Dans les 2ndes Méditations Métaphysiques, Descartes défend que même si un malin-génie, un Dieu trompeur s’évertue à me tromper sans cesse et à se jouer de moi, il est tout du mois certain que je suis. Car comment être trompé si je ne suis pas. Même si je suis trompé de cette manière (« doute hyperbolique »), je dois nécessairement exister pour cela. « Je suis, j’existe » est nécessairement vrai. Il y a donc une saisie du moi et de son existence. Dans la suite de ce texte de Descartes, où il cherche ce qu’il est (après avoir reconnu qu’il est), on arrive à la certitude que l’on est une chose qui pense : le « une » montre bien qu’il y a une conception de l’unité du moi pensant chez Descartes) : « c’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent »). Quant à Malebranche, il défend l’idée d’une connaissance de notre existence et de ses propriétés par sentiment ou conscience (connaissance imparfaite mais vraie). Locke, lui, soutient enfin qu’il existe une conscience d’être soi et qu’on peut accéder par la réflexion sur les opérations de l’esprit à l’idée d’une substance spirituelle (mais que l’on ne connaît pas plus que la substance matérielle => Cf. Essai, II, 23, 5).

Selon ces philosophes, la saisie du moi est renforcée par les sensations et les passions les plus fortes. On s’attendrait ici à ce qu’elles entravent cette intuitions, mais c’est tout le contraire. Hume expose l’argumentation ici en question : puisque les sensations et les passions occasionnent des sentiments de plaisir ou de peine, on voit par  là leur effet sur le moi. Les passions permettent de saisir le moi par la manière dont il est affecté : selon les passions, le moi est affecté différemment. Donc les passions même les plus fortes renforcent notre saisie du moi.

Enfin, l’évidence du moi et de l’ensemble de ses propriétés (existence, durée, identité et simplicité) serait telle qu’elle ne supposerait pas de démonstration. Vouloir appuyer cette vérité par des argumentations reviendrait même à l’affaiblir. Le moi est une vérité intuitive. On ne peut pas prouver l’existence du moi : c’est une vérité première, un fait évident. Cette vérité première servirait d’ailleurs à fonder d’autres vérités. Là encore, Descartes est très clairement visé : le cogito (le moi comme substance pensante) est la première certitude qui permet d’en chercher d’autres. C’est le premier noyau stable que Descartes trouve après l’effet déstabilisant du doute hyperbolique mis en oeuvre dans la première méditation. Si on se représente les connaissances sous forme de strates, la connaissance du moi est une basen un sol, un fondement. C’est un système que l’on nomme académiquement le « fondationnalisme ».

Hume a ainsi exposé la conception notamment cartésienne selon laquelle il y a une évidence de l’idée du moi, évidence appuyée par les passions et les sensations qui n’a pas besoin d’être démontrée et fonde au contraire toute autre connaissance. Hume va alors s’attacher à en faire la critique.

 

II- La critique de l’idée du moi :  la théorie empirique de la connaissance contre l’unité du moi

Hume prend alors un point de vue empiriste. Il se place sur le terrain de l’expérience pour réfuter la thèse précédente. La question qu’il pose est la suivante : de quelle impression, de quelle sensation peut bien découler cette idée du moi ? Si elle provient d’une sensation, alors elle existe bel et bien. Sinon, le moi n’est qu’une invention de l’esprit humain, une unité posée arbitrairement. Tel est l’articulation centrale de cet extrait. Il faut rappeler que dans la théorie empiriste de Hume, toute connaissance provient des sensations. Dans Enquête sur l’entendement humain (Section II, de l’origine des idées), Hume distingue les impressions, perceptions de l’esprit et, d’autres part l’imagination et la mémoire. Si l’esprit semble libre de tout inventer (former des monstres, unir des apparences discordantes, etc.), son pouvoir créateur est en fait limité à la composition, la transposition, l’accroissement ou la diminution des matériaux qu’apportent les sens et l’expérience. Autrement dit, toutes les idées sont des copies des perceptions les plus vives, des impressions. Il s’agit donc ici d’examiner l’origine de l’idée du moi. Comme Hume le dit dans la section II de l’Enquête sur l’entendement humain, la proposition selon laquelle toute idée provient des sens, c’est-à-dire la théorie empiriste de la connaissance, permet de rendre toute discussion intelligible et « de bannir le jargon métaphysique qui ne renvoie pas à la réalité et qui ne correspond pas à des impressions ». Hume déplace donc le problème de l’existence du moi et de l’identité sur le plan de leur origine. D’où proviennent ces idées : proviennent-elles des sens ou sont-elles des chimères ? Le moi ne serait-il pas une illusion métaphysique aveuglant les philosophes qui l’ont précédé ? Pour Hume, nulle impression n’est à l’origine de cette idée. Hume donne pour synonyme du « moi » la « personne ». On retrouve l’individu (idée d’unité), mais c’est aussi une référence au théâtre, de par son étymologie : personne est un mot d’origine étrusque signifiant le masque de théâtre. On retrouvera d’ailleurs ce thème à la fin de cet extrait comme illustration de sa thèse de la non existence du moi.  Le moi est, selon Hume, non pas issu d’une impression, mais ce à quoi toutes nos impressions, toutes nos idées sont censées se rapporter : « censées » indique bien la prise de distance de Hume face à cette thèse.

Suit l’examen de la nature de l’impression d’où devrait provenir l’idée du moi. Pour que le moi existe, c’est-à-dire pour que le moi découle d’une impression, il faudrait que cette impression soit toujours la même, pendant toute la durée de notre existence. Car au moi est traditionnellement associée l’idée d’identité, d’unité (Cf. Descartes). Le problème devient donc le suivant : existe-t-il une telle impression stable. Si oui, le moi peut exister, sinon, ce n’est pas possible.

Pour Hume, aucune impression n’est stable, constante. Autrement dit, il y a une sorte de flux perpétuel, une succession incessante d’impression (douleurs, plaisirs, passions, sensations). Il ne peut y avoir juxtaposition, addition simultanée de toutes les impressions. L’idée du moi ne peut provenir de ces impressions puisqu’elles ne peuvent exister en même temps, donc ne peuvent exister tout le temps de notre vie. L’idée du moi n’existe donc pas : c’est une simple illusion. En s’appuyant sur sa théorie empiriste de la connaissance, Hume est parvenu à démontrer que le moi n’existe pas.

 

III- De la vacuité de l’idée du moi à la multiplicité des impressions atomiques

Puisque le moi n’existe pas, toutes les perceptions particulières sont atomiques, atomisées : « elles sont toutes différentes, discernables et séparables les unes des autres ; on peut les considérer séparément et elles peuvent exister séparément : elles n’ont besoin de rien pour soutenir leur existence.« . La diversité de nos perceptions n’a pas besoin d’une réduction à l’unité sous la forme d’une identité personnelle. La question qu’il pose est celle du rapport entre cette multiplicité de perception et l’unité d’une personne, d’un sujet : « de quelles manières appartiennent-elles donc au moi et comment sont-elles en connexion avec lui ?« .

L’introspection, selon Hume, ne fait nullement aboutir à une unité du sujet, mais à une perception particulière : chaud / froid, lumière / ombre, etc. Il n’y a pas de saisie, d’intuition du sujet : il n’y a de saisie possible que d’impressions, de perceptions atomisées. Il n’y a donc pas, chez Hume, de réduction de la multiplicité à une unité (le moi), mais au contraire une dissolution de l’unité fictive dans la multiplicité perceptive.

D’ailleurs le « moi » (mais faut-il continuer à utiliser se concept ?) est tellement lié aux impressions particulières, l’unité est tellement « noyée », effacée par les impressions particulières et diverses que quand il n’y a pas de perception, on peut aller jusqu’à dire que je n’existe pas. HUme reprend ici l’attribut d’existence que liaient les philosophes comme Descartes au moi et à l’unité personnelle. Mai contrairement à Descartes, il défend que l’existence du sujet ne dure pas, n’est pas continue. Dans quels cas rencontre-t-on ces interruption de l’existence du moi ? HUme évoque deux cas : la mort, bien sûr, mais aussi le sommeil. Quand je dors, je n’ai pas de perception (mais l’on peut critiquer cette  idée => Cf. théorie du rêve selon Bergson). Puisque le moi se réduit à la diversité et la particularité irréductibles des perceptions, le moi est éclipsé : quand les impressions cessent, le moi se retire. Avec la mort, les impressions cessent définitivement : le moi est alors détruit. L’âme ne serait donc pas immortelle : encore une opposition, sous forme d’hypothèse formulée au conditionnel, à Descartes…

Hume conclut ce troisième temps pas l’idée d’un discours impossible avec les métaphysiciens. Ils défendent qu’ils ont une intuition du moi. Hume ne trouve pas en lui ce genre d’intuition. Pour reprendre la deuxième section de l’Enquête sur l’entendement humain, il ne peut y avoir de discussion rationnelle. Le métaphysicien pourrait très bien être dans le vrai : mais Hume, quant à lui, ne perçoit pas l’idée du moi. Même si on peut ici voir assez clairement que Hume conçoit ce genre de thèse métaphysique comme fausse et illusoire, il affirme en tous cas explicitement que la saisie intuitive du moi n’est pas universelle (puisque lui-même ne le saisit pas).

Ainsi, puisque le moi n’existe pas, on a vu que Hume en a tiré une théorie du moi comme divers, comme collection non unifiée de perceptions diverses et atomisée. Qui plus est le moi ne perdure pas : il n’existe que tant que les impressions existent. Le moi se réduit ainsi aux impressions diverses.

 

IV – L’illustration théâtrale du moi

Hume termine la démonstration de sa thèse par une illustration. Avant de proposer celle-ci, Hume reformule sa thèse. Les hommes ne sont que des faisceaux, des collections de perceptions différentes. Nous ne sommes que des amas, des accumulations de perceptions successives. Nous ne sommes qu’un flux perpétuel de perceptions, d’impressions qui se présentent à l’esprit, nous nous réduisons à nos multiples perceptions. L’opposition à Descartes, on l’a vu, est franche est multiple. Le moi n’existe pas : il n’y a pas d’unité ni d’identité. La chose figée fait place au mouvement.

Un simple mouvement corporel, comme le mouvement des yeux, fait varier nos perceptions, donc produit de la multiplicité (perception visuelle). Nos pensées varient encore plus car non seulement la vue modifient nos idées, mais les autre sens également. Toutes les idées provenant des sens, elles sont fortement changeantes puisque les impressions se succèdent et changent sans cesse. La mémoire et l’imagination participent également au mouvement incessant du « moi ». Finalement, le moi devient synonyme de flux, de mouvements de perceptions.

Hume compare alors le moi à un théâtre (« une sorte de théâtre »). On a relevé auparavant le lien étymologique entre la personne et le théâtre. L’analogie prend donc ici tout son sens. Le moi est un théâtre où se succèdent les perceptions (ex : chaud / froid), où elles repassent plusieurs fois. Les perceptions changent sans cesse : elles entrent et sortent comme des personnages sur une scène de théâtre. Cette image utilisée par Hume sert à appuyer l’idée qu’il n’y a pas d’unité, que rien ne reste le même : l’esprit, tout comme ce qui se passe sur scène, n’est jamais le même. Que ce soit à un moment précis ou continûment, il n’y a pas d’unité. Tout se passe donc comme dans théâtre où les acteurs bougent, changent de place, sont plusieurs, plus ou moins nombreux, etc. Mais le problème de cette image réside dans la notion de « lieu ». L’esprit serait un lieu comme le théâtre est situé physiquement ? Y a-t-il une notion d’esprit comme substance ?

Hume précise alors les limites de l’image utilisée : « La comparaison du théâtre ne doit pas nous égarer« . L’esprit n’est, encore une fois, que ses perceptions, c’est-à-dire multiplicité, mouvement et diversité. On ne doit pas le considérer comme un lieu, une chose unifiant.  Il n’y a pas de connaissance possible ni d’idée du lieu où s’enchaînent les perceptions (« ces scènes »), ni de la façon dont est constitué l’esprit (si c’est une substance). L’image du théâtre peut donc être trompeuse, et c’est pour cette raison que Hume avance immédiatement ces précisions. En outre,Hume ne le dit pas ici, mais on peut penser au problème du spectateur qui voit cet enchaînement de scène et en fait la synthèse (ex : intrigue commune)… Bref, l’illustration est imparfaite.

Dans ce dernier temps, Hume a donc comparé l’esprit à une sorte de scène de théâtre où entrent et sortent en permanence les acteurs (impressions), tout en en pointant les limites. L’esprit n’est pas le lieu, l’unité du divers des perceptions : l’esprit reste flux, mouvement de perceptions sans unité ni identité.

 

Conclusion

Hume a donc rejeté l’idée du moi et de l’identité personnelle dans le rang des idées métaphysiques, c’est-dire dénuées de sens grâce à sa théorie empiriste de la connaissance. L’esprit n’est que diversité de perception et non unité substancielle. En ce sens, le moi disparaît : il est évincé. C’est un non lieu, un nulle part, un rien où se déroulent pourtant toutes les scènes de notre vie, comme dans un théâtre virtuel.

Hume s’attache, à la suite de cet extrait, à montrer les raisons qui font pourtant que l’on a propension naturelle à poser une identité personnelle (on réduit les ressemblances à l’unité en délaissant les différences).

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