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Commentaire "le Pouvoir Des Fables" De La Fontaine

Publié le 18/01/2011

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fontaine

« Placere Docere «. Plaire et instruire, une expression qui pourrait bien définir la fable, du latin « fabula «, ce court récit fictif et souvent versifié. Elle est composé de deux éléments : le récit proprement dit (le « corps «), sous lequel se cache une moralité de portée universelle (« l’âme «). Parmi les plus grands fabulistes, nous pouvons citer Jean de la Fontaine au XIIe siècle, qui mêle divertissement et enseignement en exploitant le genre. Ainsi, dans la seconde partie du « Pouvoir des fables «, en intégrant la fable du personnage dans sa propre fable et en opposant deux stratégies argumentatives , il tente de faire mesurer l’étendu du pouvoir didactique des fables et de révéler leur duplicité. On pourra ainsi étudier, dans un premier temps, l’échec de la tentative violente de l’orateur pour faire réagir l’auditoire, puis dans un deuxième temps, l’argumentation plaisante dont il se sert pour y parvenir. 

 

Au début de la fable, la situation d’énonciation est tout de suite mise en place : les indications de lieu et de temps « Dans Athène autrefois « fixent le cadre spatio-temporel, et les acteurs sont un orateur et le peuple, en confrontation à un moment capital de l’histoire d’Athènes, alors menacée par Philippe de Macédoine. Dans les vers un à quatorze, l’Orateur tente par les moyens les plus percutants de rassembler son peuple, de lui faire part de la gravité de la situation dans le but de pouvoir s’organiser ensemble et d‘y remédier.

D’entrée, l’Orateur cherche à convaincre son peuple en s’exprimant avec violence. La mise en scène présente des circonstances dramatiques, comme on peut le comprendre au vers 2 (« voyant sa patrie en danger «) qui animent l’Orateur d’un sentiment de patriotisme exprimé à travers « voulant forcer les cœurs dans une république « au vers 4. Les nombreux verbes d’actions tels que « courut «, « parla «, « recourut « nous montre l’énergie qu’il met pour se faire entendre. L’emploi du champs lexical de la violence (« tyrannique «, « forcer les cœurs «, « violentes «…), est bien la preuve de l’extrême brusquerie avec laquelle l’Orateur défend son discours. L’antithèse des mots « tyrannique « et « république «, tous deux placés à la rime aux vers 3 et 4, renforce encore cette impression de brutalité et de véhémence dans son discours. Mais au vers 6, « on ne l’écoutait pas «, on comprend que ces efforts sont vains. De plus, par l’antithèse, le lecteur avisé s’aperçoit que le fabuliste a voulu faire remarquer qu’Athènes, étant une république et donc une démocratie, a pour valeurs la liberté et le consentement du peuple. C’est pourquoi l’orateur échoue : il brime ses auditeurs et ne sait pas les atteindre, malgré le fait qu’il ait raison. Cependant, il monte encore d’un cran en violence et en autoritarisme dans son discours, et cela en faisant appel aux procédés de rhétoriques de la Grèce antique comme on peut le voir dans les vers 6 à 11 (« À ces figures violentes «, « Qui savent exciter les âmes les plus lentes «). Dans ces procédés, on reconnaît la prosopopée au vers 9 (« Il fit parler les morts «), cette expression est d’ailleurs une hyperbole: la force et la violence avec laquelle l’orateur défend sa thèse sont ici décrites avec exagération afin d’appuyer cette impression d’agression chez le lecteur.

En plus d‘être violent, le discours de l’orateur semble également très bruyant et fait naitre une impression de cacophonie. Au vers 5, l’emploi de l’expression « Il parla fortement « donne l’impression que l’orateur est autoritaire et qu’il gronde le peuple au lieu de s’en faire un allié. La rime en [ik] des vers 3 et 4 apparaît comme disharmonieuse, suraiguë, et semble contribuer au désintérêt de l’auditoire pour ce qui leur est dit. Ensuite, au vers 9, le recours à un rythme ternaire combiné à une gradation décroissante « Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put « nous fait comprendre que plus il parle fort, plus il s’égosille, et plus il devient inaudible. Ses efforts ont l’effet inverse de ce à quoi il souhaite parvenir, à savoir, unifier son peuple comme cela nous est montré par l’emploi des infini « tous « et « on « ou encore les mots « patrie «, « LES cœurs dans UNE république «, « le commun salut «. L’idée d’union est imposée dans l’esprit de l’orateur mais celui-ci ne parvient pas à la faire entendre, au point que le contenu du message qu’il veut délivrer n’est pas explicitement rendu perceptible par Jean de la Fontaine. Le vers 10 est donc une antithèse aux vers précédent et, par la métaphore « le vent emporta tout «, montre que même le vide parvient à couvrir un discours si fort qu’il en est devenu assourdissant. C’est ainsi que l’orateur se met son auditoire à dos : son discours est perçu comme une agression. L’échec se traduit finalement par la tournure négative « personne ne s’émut « employée au vers 10. 

Enfin le discours qu’il emploie dans un premier temps est extrêmement pesant, accablant. L’emploi de l’alexandrin, le vers classique le plus long durant quasiment tout le texte montre une certaine solennité des vers et traduit le fait que l’Orateur semble plus s’écouter lui-même que véritablement réussir à toucher son auditoire. A force de longue phrase, il prend le risque d’être monotone et ennuyeux. L’opposition entre le pluriel « Etant fait à CES traits « au vers 11 et le singulier « un trait de Fable « au vers 32 montre que le peuple est habitué et lassé de la première forme de discours qu’il emploie et que la fable les éveille et attire leur attention. En effet le pluriel renvoie à l’accumulation de mots et de tournures que l’orateur utilise et qui compliquent ses paroles dans les premiers vers. Le discours s’échoue dans le vide, personne n’y est attentif comme on peut le voir dans les vers 11 à 14. Il est présenté comme un « harangueur «, et caricaturé. Il est aussi vu comme  fade, et surtout incapable d’originalité, ce qui explique que son public reste de marbre.

L’image classique de l’orateur s’exprimant avec violence, bruyamment et pesamment est ici disqualifiée, et tournée en dérision.

 

L’orateur Démade a beau, tel un démagogue classique, recourir au discours purement didactique, la violence et l’éloquence ne parviennent plus à captiver son auditoire. Ainsi, c’est l’utilisation d’une fable dans la fable qui va renverser la situation, et permettre à Démade de captiver la foule, de faire passer son message et, parallèlement, celui de Jean de la Fontaine.

 

Tout d’abord, au vers 15, il est dit très clairement que l’orateur va changer de ton (« Il prit un autre tour «) : Contre ce qui est un art de convaincre, il propose un art de persuader par un discours amusant. Il séduit l’assemblée avec le discours direct, en racontant une fable. En effet, puisqu’il a vu l’auditoire s’interesser à des futilités plus qu’à son premier discours,  c’est en racontant le début de l’histoire de Cérès, et en se positionnant en sorte de conteur pour enfants qu’il va attirer l’attention. C’est la légèreté de la fable, le fait qu’elle soit fictive, que ses personnages soient des animaux, et sa simplicité qui vont captiver et séduire la foule.  De plus, l’hétérométrie des vers 21 à 31 où l‘on trouve, par exemple, des octosyllabes (vers 31) montre qu’il ne respecte plus les règles du classicisme et se montre surprenant. Au vers 20 et 21, les mots « l’assemblée « et « cria tout d’une voix « imposent un sentiment d’unité. L’orateur Démade est donc parvenu à rassembler son peuple comme il le souhaitait dans les premiers vers(« le commun salut «). Au vers 21 également, la phrase interrogative « Et Cérès, que fit-elle ? « est la preuve que le suspens présent dans la fable de Démade a opéré sur le public, désormais bien curieux de connaitre la fin de l’histoire. C’est donc la mise en abîme qui vient sauver son intervention auprès du public. L’orateur a prouvé son intelligence, a su s’adapter à son auditoire, et cela en faisant appel à la part d’enfant que chaque adulte garde en lui. On arrive enfin à une adhésion de l’histoire racontée.

Et c’est ainsi, en s’étant servi du « Placere « qu’il eut l’occasion de faire entendre son message d’urgence. Il ne prendra même pas la peine de terminer son récit, et cela importe peu puisqu’il a enfin réussi à capter l’attention. Après la question posée par l’assemblée et à travers la double-énonciation, l’orateur en profite immédiatement pour reprocher au peuple sa futilité et son manque d’intérêt pour les questions graves concernant leur civilisation dans les vers 22 à 27. Le reproche est exprimé par la ponctuation, très présente. Avec les phrases exclamatives et interrogatives, qui donne plus de vivacité au discours, il tente de faire réagir le peuple. Il critique ici le manque de maturité des athéniens comme on peut le voir au vers 24 où l’on trouve le mot « enfants «. Avec la question rhétorique du vers 27, il apostrophe le peuple et lui demande de se protéger du danger qui planent sur eux. Il parvient enfin à faire entendre raison aux athéniens, comme on peut le voir des vers 28 à 31, notamment avec l’expression hyperbolique «Se donne entière à l’Orateur «.  Ces vers sont des octosyllabes, ils donnent l’impression d’une communication simplifiée et plus dynamique. À partir du moment où Démade parvient à faire entendre son message, il se montre plus indulgent envers la frivolité du peuple athénien. 

Enfin, grâce à la mise en abyme et à un jeu de miroirs (fable dans les fables), La Fontaine renvoie à son propre travail de fabuliste et révèle le double intérêt de la fable, à savoir l’art du récit plaisant délivrant une morale. Dans les vers 1 à 14, l’orateur classique est caricaturé, il emploie beaucoup d’énergie et de figures de rhétorique pour un résultat nul. De plus, par l’antithèse des mots tyrannique et république, le lecteur avisé s’aperçoit que le fabuliste a voulu faire remarquer qu’Athènes, étant une république et donc une démocratie, a pour valeurs la liberté et le consentement du peuple. C’est pourquoi l’orateur échoue : il brime ses auditeurs et ne sait pas les atteindre, malgré le fait qu’il ait raison. L’ironie nait de cette caricature du discours classique et, par opposition met en valeur les qualités de l’apologue, ce récit divertissant. En effet dans les vers 28 à 31, avec les termes mélioratifs et l’expression hyperbolique « se donne entière à l’Orateur «, il fait l’éloge de la fable et il explique qu‘il faut savoir lire entre les lignes.

A partir du vers 32, la subjectivité du fabuliste devient très claire, il s’inclut même dans le groupe du public en employant pour la première fois le pronom personnel « Nous « et l’adjectif «tous «. À la fin de la fable, les expressions « et moi-même «, « m’étais «, ou encore les pronoms personnels « j’ « et « je « montrent que La Fontaine s’implique en tant qu’auditeur de contes et de fables et nous fait part d’un certain épicurisme.

 

 Il explique que lui aussi, il aurait été plus attentif à une histoire plaisante délivrant une morale qu’à un simple sermon. Cela est traduit par les vers 34 et 35 avec la référence littéraire au récit de Peau d’Âne. C’est un clin d’œil aux contes et autres formes de l’apologue. Il prend  parti pour la captatio benevolentiae, une notion qui remonte à la rhétorique classique, bien connue des rhéteurs grecs. Elle consiste en une formule d’introduction attirant l’intérêt et la bienveillance du destinataire. Autrement dit, l’intérêt nait du plaisir.  La morale explicite du pouvoir des fable aux deux derniers vers semble être une justification à son art, la fable pouvant convenir aux enfants comme aux adultes. De plus, les phrases assertives de la morale donnent aux fables un caractère intemporel, adaptable à toute situation. La Fontaine montre que l’enjeu de la fable est de troquer contre la rhétorique dominante imposée un art beaucoup plus souple, plus léger qui est plus un art de persuader qu’un art de convaincre.

 

 

 

« Le pouvoir des fables « est une fable permettant à Jean de la Fontaine de se justifier, de valoriser son art, et enfin de prouver que les enfants ne sont pas les seuls à pouvoir y trouver leur compte. Ainsi, en mettant en scène un orateur qui commence par échouer dans son discours trop violent, mordant, et qui finit par avoir l’habilité de construire un apologue, le fabuliste démontre clairement et concrètement qu’il faut instruire les hommes, certes, mais par un énoncé séduisant et plaisant avant tout comme le dit la devise du classicisme. Il prouve en plus que la fable peut être rattachée à une situation réelle. Les fables sont effectivement restées dans les mémoires , tout comme les contes de Charles Perrault par exemple. Dans la préface de ces contes, on peut lire : « Ces fameux contes, c’est le seul livre que chaque petit français a lu avant de savoir lire, le seul qu’il ânonne sans ennui, un des très rare livre qu’on puisse relire ou raconter à l’infini  car chaque fois on découvre dans l’arrière texte ou entre les lignes une foule de détails passionnants qu’on y avait même pas soupçonné. « . La proximité de ces deux formes de l’apologue n’est-elle pas frappante ?

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