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Commentaire du texte "Les apologistes du travail", de Nietzsche (extrait de Aurore)

Publié le 11/04/2010

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"Dans la glorification du « travail «, dans les infatigables discours sur la « bénédiction « du travail, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd'hui, à la vue du travail - on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu'un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l'on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême"

Au début du texte, Nietzsche nous fait part d'un constat : il y a, dans la société de son époque, des gens qui font l'apologie du travail : ces « apologistes du travail « se livre à une « glorification «, à une « bénédiction du travail «. Il déclare voir dans ces éloges du travail une « arrière pensée «, ce qui veut dire qu'il considère que l'éloge du travail qui est faite n'est pas sincère, qu'elle dissimule une autre pensée, une autre intention et peut-être même a-t-il des raisons de penser que cet éloge du travail n'a pas lieu d'être.  On peut raisonnablement se demander ce qui peut faire douter Nietzsche, dans la mesure ou le travail est de nos jours, comme il l'était à son époque, une activité socialement valorisée, on parle positivement du « goût de l'effort «, de « goût du travail «, on nous encourage même à « travailler plus «, etc.  Pourtant, deux points peuvent dors et déjà nous permettre, comme Nietzsche, de douter de la sincérité de l'apologie du travail. Premièrement, Nietzsche nous indique que les apologistes se livrent à une « glorification « du travail, à une « bénédiction « du travail, à des « louanges «.

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« inlassablement la même tâche.

D'autre part, ils ne conçoivent plus ce qu'il produisent, comme le ferait l'artisan, etleur rôle est réduit à celui d'une machine, qui produit mécaniquement.On remarque donc que le travail est devenu une activité exclusivement manuelle, mécanique, et que le travailleurn'utilise plus que ses bras et ses outils comme le ferait une machine, et jamais ses facultés intellectuelles, sa raison,sa logique, son esprit.

De ce fait, le travail devient bien impersonnel puisque absolument n'importe qui peut effectuerla même tâche, quel qu'il soit.

Le savant aussi bien que l'artiste ou que l'analphabète seront apte à visser de façonrépétitive deux écrous sur une planche d'acier, et tout ce qui les constitue en tant qu'individu sera absent de leurtravail.On voit ici apparaître un des avantages du dirigeant, une des raisons pour laquelle l'employeur fait l'éloge du travailimpersonnel : le travail pouvant être effectué par n'importe qui, l'ouvrier n'est pas en sécurité car il peut êtreremplacé à tout moment sans conséquences pour le résultat final.

De ce fait, il est obligé de se soumettre auxconditions de travail imposé par son patron, et n'a aucun moyen de protester. Mais Nietzsche va plus loin dans sa critique du travail.

Pour lui, non seulement le travail prive l'homme de sonindividualité quand il travaille, comme nous venons de l'expliquer, mais en plus, il empêche l'homme de développer etd'exprimer son individualité quand il ne travaille pas.

Pour lui, la raison est simple : le travail épuise tellementl'homme, qu'il ne peut plus s'adonner à aucune activité, si ce n'est le repos, une fois son « dur labeur » accompli.

Ilécrit ainsi que le travail « consume une extraordinaire quantité de force et la soustrait à la réflexion, à la méditation,à la rêverie, aux soucis, à l'amour et a la haine », et qu'il « s'entend à entraver puissamment le développement de laraison, des désirs, du goût de l'indépendance ».

Autrement dit, le travail prive l'homme de raison, de sentiment et dedésir.

Or, il est évident que ce sont précisément la particularité de nos idées, de nos convictions, de nossentiments, de nos attraits et de nos craintes qui font nôtre individualité.

Deux êtres humains dépourvus d'idées, desentiments et de désir seraient (sauf peut être physiquement) en tout point semblable, et donc ne serait pas desindividus particuliers.On pourrait même aller jusqu'à dire que Nietzsche considère que le travail déshumanise l'homme, dans la mesure oùle travail le prive des facultés qui lui sont propres et qui le caractérisent en tant qu'homme.

Il perd sa raison(Aristote par exemple dit que l'homme est un « animal raisonnable »), ses désirs (« l'essence de l'homme » pourSpinoza), ses sentiments (par exemple, « rire est le propre de l'homme » selon Rabelais).

Il est aliéné par le travail,perd son humanité, devient étranger à lui même. Si le raisonnement de Nietzsche est juste, on peut alors se demander quelles raisons pourraient motiver les classesdirigeantes à contraindre leurs semblables à accomplir un travail pénible, qui les vide de toute force, leur ôte leurindividualité voire leur humanité.

Nous avons déjà évoqué la raison économique, la plus évidente, mais il y a uneautre raison fondamentale que Nietzsche expose dans ce texte, c'est celle de la sécurité.Nietzsche constate que « l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême ».

Par ce vocabulaire religieux,il nous signifie bien l'importance qu'a la sécurité aux yeux de la société.

Mais qu'entend-t-il par sécurité? Et est-cebien l'ensemble de la société qui s'en préoccupe.?Le premier sens que l'on pourrait attribuer à la sécurité, c'est le sens premier, le sens commun, la sécurité desindividus, que la police d'un Etat serait chargé d'assurer : la protection contre le vol, la violence, etc.

On peuteffectivement penser que le travail, puisqu'il vide l'homme de sentiment, modère voir annule les passions qui pourraitconduire à un tel acte (plus de jalousie, de « haine », etc.).

De plus, ce travail prive l'homme de force, et il ne peutdonc accomplir ce projet.

Cependant, il semblerait étonnant que Nietzsche critique ainsi un moyen d'assurer latranquillité de tous.

Il faut donc trouver un autre sens au terme de sécurité.Le deuxième sens qu'on pourrait lui trouver, c'est le sens de « stabilité », la sécurité serait une certitude quepersonne ne viendra bouleverser le cours des choses.

Ce sens semble plus en conformité avec le propos deNietzsche, puisque nous avons vu depuis le début qu'il dénonce les dirigeants qui font l'apologie du travail dans leurpropre intérêt.

En effet, dans ce XIX e siècle de modernisation, le siècle du triomphe de la bourgeoisie et de sesvaleurs mais aussi le siècle qui voit la naissance d'idéologie nouvelle comme le communisme, il est évident que cesclasses dirigeantes se sentent menacées par d'éventuels révolutionnaire, et cherchent à se prémunir d'unbouleversement de l'ordre établi qui leur ferait perdre tout leurs avantages.

Les classes dirigeantes vont donc faireen sorte de supprimer les deux armes de leurs éventuels ennemis, la raison et la force.Le « développement de la raison », le « goût de l'indépendance », « la réflexion », « la méditation »sonteffectivement des dangers pour eux car c'est grâce à eux que le travailleur pourra se rendre compte de sacondition, aura la volonté de s'en défaire, aura la capacité de convaincre et rallier d'autres travailleurs par desdiscours ou des écrits.

(L'idéologie communiste, par exemple, doit beaucoup à des penseurs et à leurs écrits, commeKarl Marx ou Engels).De plus, les dirigeants ont l'intelligence de valoriser suffisamment le travail accompli pour que le travailleur restesatisfait de sa besogne.

Le travail est valorisé par le salaire, qui n'est donc pour Nietzsche qu'une des «satisfactions faciles et régulières » que procure le travail et qui dissuade le travailleur d'y renoncer.

Il est égalementvalorisé par la valeur morale qui lui est attribué, ainsi, le travail est qualifié par ses apologistes d' »utile à tous »La « haine » et la « force » sont quand à elles des dangers car c'est par elles que le désir d'indépendance et dejustice des travailleurs pourrait se transformer en action visant à renverser l'ordre actuel, comme ce fut le cas dansplusieurs pays d'Europe au milieu du XIX e siècle (Commune de Paris par exemple).Ainsi, par le travail, les dirigeants se prémunissent à la fois de la prise de conscience de leurs conditions par lestravailleurs, et de l'action qui pourrait en résulter.

Comme le dit Nietzsche, le travail « constitue la meilleur despolices » et « tient chacun en bride ».

Il martèle encore une fois sa thèse à la fin du texte : « une société où l'on. »

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