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Commenter et discuter, s'il y a lieu, cette pensée de Heidegger : « La science oublie et fait oublier l'être. » ?

Publié le 17/06/2009

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heidegger

INTRODUCTION. — Pour certains savants, les spéculations philosophiques se situent dans les nuages sinon dans le domaine des mots, tandis que leurs propres recherches s'attaquent au réel. Aussi seraient-ils sans doute bien étonnés par cette réflexion de HEIDEGGER : « La science oublie et fait oublier l'être. « I. — EXPLICATION A. — Les notions de « science « et d' « être «. a) La science. — Ce mot, qui doit être pris dans son acception usuelle, ne présente pas de difficulté d'interprétation. « Science « n'est pas ici synonyme de « savoir « ou de « connaissance « : nous savons ou connaissons bien des choses qui restent étrangères au domaine de la science. Mais il ne s'agit pas non plus des diverses sciences particulières comme les mathématiques ou la chimie : en parlant de « la science «, nous faisons abstraction des matières propres aux diverses disciplines scientifiques, pour ne considérer que leur caractère commun d'être des sciences. Or, comme l'avait déjà dit Aristote, il n'y a pas de science du singulier, il n'y a de science que de l'universel; bien plus, la science achevée ne porte pas sur la réalité contingente, mais sur les types et les lois nécessaires. C'est la science ainsi comprise, la véritable science, qui oublie et fait oublier l'être. b) L'être. — Ce mot est beaucoup plus ambigu. « Être « est en effet mi infinitif qui tantôt joue le rôle de copule, comme dans la proposition « le cheval est un mammifère «, et tantôt affirme l'existence ou la réalité d'un fait comme lorsque je dis : « Il vaut mieux être que ne pas être. Mais, ainsi que l'indique l'article, cet infinitif est ici employé substantivement. Or, le substantif « être « désigne normalement ce qui est, l'existant ou « étant «, comme dit HEIDEGGER : d'abord, l'Être ou l'Étant suprême, Dieu; ensuite, les êtres qui participent en lui, les créatures.

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« A.

— La science est-elle oubli de l'être ? Le savant, comme les autres, perçoit des existants concrets : les membres de sa famille, son chien, etc.

Il portecomme tout le monde des jugements d'existence : il dit, par exemple, que cet hiver le froid a tué un grand nombrede végétaux, que l'air est frais, etc.

Il n'est pas étranger aux sentiments existentiels de la vie qui s'écoule.

En effet,il reste homme.

Mais il n'en est pas de même si nous le considérons en tant que savant, car, comme nous l'avonsrappelé, il n'y a de science que du général ou des essences.Mais s'ensuit-il que la science oublie et fasse oublier l'être au sens que nous avons défini. B.

— Elle ne l'oublie pas mais en fait abstraction. On ne peut pas dire que les mathématiciens oublient la biologie ou que l'histoire contemporaine oublie les époquesantérieures : elle ne s'en occupe pas parce qu'en dehors de son objet.

Il en est de même de la science au sensusuel du mot : la métaphysique et l'ontologie étant hors de son domaine, elle n'a pas à les oublier.

D'ailleurs, dansson contexte, ce verbe ne peut être pris que dans un sens analogique : étant elle-même une abstraction, la sciencen'a pas de mémoire, et on ne peut pas lui reprocher d'oubli.

« La science oublie l'être » ne peut signifier que : « lascience ne s'occupe pas de l'être ».On peut dire cependant qu'elle peut le faire oublier.

A force de faire abstraction du problème de l'être et desproblèmes métaphysiques en général, il arrive que le savant n'y songe plus et même les juge dénués de sens.Toutefois, cet oubli n'est pas nécessaire, et il résulterait plutôt d'une conception trop étroite de la science : nousvoyons en effet bien des savants amenés aux problèmes philosophiques par l'approfondissement de leurs problèmespropres.

C'est pour cela qu'au lieu d'admettre avec HEIDEGGER que « la science fait oublier l'être », nous disonsseulement qu'elle peut le faire oublier. C.

— L'ontologie heideggérienne atteint-elle l'être ? L'ontologie classique se définit « la science de l'être en tant qu'être », c'est-à-dire qui ne conserve des êtres réelsque les caractères communs à tous.

Le mot « être », dans ce cas, trahit en même temps ens ou entia (les étants)et esse (l'exister, l'être dont parle HEIDEGGER).

Même si, pour des raisons systématiques, elle affirme une distinctionréelle entre l'étant et l'acte d'être ou entre l'essence et l'existence, cette distinction n'est pas physique maismétaphysique : essence et existence ne constituent pas deux êtres, mais deux principes d'un être unique seul réel.Par suite, on ne saurait atteindre l'existence ou l'esse en lui-même; on ne connaît que l'esse d'un eus, quel'existence de quelque chose qui existe.Au contraire, l'ontologie de HEIDEGGER se centre sur l'existence ou plutôt sur l'exister.

Sans doute, cet exister estl'exister d'un « étant », mais il faudrait l'atteindre en quelque sorte à l'état pur.

Comme nous l'avons dit, l'exister del'homme, qui est essentiellement souci par suite de sa structure temporelle, ne constitue pour notre auteur qu'unesorte de préontologie, prélude nécessaire de l'ontologie proprement dite qui a pour objet l'exister absolu.

Or, à moinsque l'essence à laquelle elle donne l'existence ne soit elle-même absolue, c'est-à-dire illimitée, et se confonde avecl'existence, l'exister est relatif à l'essence qu'il fait exister.La matière brute n'existe pas à la manière de l'être pensant.

Il n'y a entre ces deux manières d'exister qu'uneanalogie.

Il n'est donc pas étonnant que l'ontologie de HEIDEGGER se soit arrêtée à ce qui n'en constituait à sesyeux que le prélude : à l'étude du Dasein, de l'homme en situation dans le monde.

Dans Sein und Zeit il affirme bienque, étant donné la structure temporelle du Dasein, le temps est l'horizon à partir duquel doit se poser le problèmede l'être, mais il ne peut pas conclure que l'être de l'homme est celui des autres étants.Il aboutirait plutôt à la conclusion que de l'être nous ne pouvons rien savoir.

L'être se révèle par son absence plutôtque par sa présence.

HEIDEGGER voit dans l'angoisse une des expériences les plus révélatrices.

Or, l'angoisse résulted'une impression de néant et non d'une impression d'être.

« Dans l'angoisse, l'existant dans son ensemble devientbranlant (hinfallig) (...) Dans la nuit claire du Néant de l'angoisse se montre enfin la manifestation originelle del'existant nomme tel : à savoir qu'il y ait de l'existant — et non pas Rien.

(...) C'est uniquement en raison de lamanifestation originelle du Néant que la réalité-humaine de l'homme peut aller vers l'existant et pénétrer en lui.

Maispour autant que chaque réalité-humaine, de par son essence, est en rapport avec l'existant (...), elle procède duNéant révélé.

» (Qu'est-ce que la Métaphysique ? p.

33, 34.

Gallimard, 1938.)En somme, ainsi que le dit M.

Jean WAHL, pour HEIDEGGER, la philosophie est bien plutôt « interrogation sur l'êtreque possibilité d'une réponse à son sujet; et on peut même ajouter qu'il est dans l'ordre, puisque l'être se dissimule,que nous ne puissions pas en faire une théorie ».

(Métaphysique, p.

123.) CONCLUSION. - Nous pourrions donc retourner à HEIDEGGER le reproche qu'il adresse à la science : l'ontologie qu'il préconise oublie et fait oublier l'être.

Sans doute il ne songe qu'à l'être, mais il ne l'atteint jamais.

Et ce reproche estbien plus grave, car tandis que l'être se situe en dehors du domaine de la science, il constitue l'objet propre del'ontologie, qui, si elle n'atteint pas l'être, n'est plus une ontologie.

Sans doute, nous l'avons répété, l'ontologieheideggérienne est exclusivement axée sur l'être au sens le plus strict du mot.

Mais cet être est si totalementpurifié qu'il ne présente plus rien, de pensable.

S'interroger sur la nature de l'être ainsi conçu ou plutôt dont ons'efforce vainement d'élaborer le concept, c'est poursuivre une chimère.. »

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