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Confessions - Livre IV, Folio (Gallimard) pp. 186-187 - ROUSSEAU

Publié le 02/10/2010

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Au début du livre IV, Rousseau se souvient d'une journée, fin juin 1730, aux environs d'Annecy. Parti se promener tôt le matin pour voir le lever du soleil, Jean-Jacques rencontre deux jeunes filles qu'il connaît, Mlle Galley et Mlle de Graffenried, et qui l'invitent à Toune, un petit château dans la campagne. La journée se déroule idéalement: nourriture partagée avec gourmandise, bavardages, atmosphère joyeuse, tendre et sensuelle — un moment de grand bonheur.

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« grande liberté»), peu insistants; même le baiser est le résultat d'un élan chaste et spontané («qui m'échappa»).Autant qu'une volupté diffuse, règne dans cette scène une atmosphère chaste; les stratégies deconquête amoureuse n'y ont pas leur place.

La cueillette des cerises, qui donne lieu à un jeu presque enfantin(l'échange des cerises et des noyaux), pourrait devenir un jeu galant (les cerises lancées sur les seins), maisRousseau souligne le caractère ludique de son état d'esprit, plus porté à la gaieté ( « de bon coeur ») qu'à laconvoitise ou l'appétit sexuel.

Rien ne vient donc troubler ce qui jaillit du coeur, et qui s'exprime par un échange degestes, de paroles ou de rires entre les trois jeunes gens. Du trio harmonieux au duo interrompu À l'intérieur d'une peinture qui décrit une idylle à trois (Rousseau évoque un peu plus haut « la tendre union quirégnait entre nous trois »), l'extrait choisi tend à privilégier une des deux jeunes filles, Mlle Galley : Jean-Jacques luiaccorde sa préférence.Le nom de l'élue.

Le récit distingue Mlle Galley, seule à être nommée, une première fois quand le hasard d'un gestefait de son décolleté une corbeille naturelle pour les cerises, une seconde fois quand Jean-Jacques embrasse samain.

Mlle de Graffenried n'est pas nommée ici : soit elle est englobée dans les pronoms désignant indistinctementles deux filles («elles>/ «leur») ou les trois protagonistes ( « nous »); soit elle est désignée de façon vague, et parrapport à Mlle Galley («son amie»).

Noter les deux emplois de «nous» dans le passage : au début du texte (jusqu'àlai.

14), il équivaut à « je » + « elles » (les deux jeunes filles).

Ensuite, le seul «nous » employé (l.

17) équivaut à«je » + « elle » (Mlle Galley).Les détails du récit.

La composition des deux paragraphes suit un mouvement parallèle.

À l'intérieur du récit de lacueillette, Rousseau isole un détail pittoresque et sensuel ( « Une fois...

»): les cerises sur les seins de Mlle Galley.De même, au paragraphe suivant, le récit de l'atmosphère légère et chaste de la journée se concentre sur l'épisodeparticulier du baiser ( « une seule fois», l.

15, en écho à « Une fois »).

Chaque paragraphe se clôt donc sur unélément qui cristallise l'intérêt du narrateur, et enrichit l'impression générale d'un détail savoureux.

Mais s'il y amouvement parallèle, les aboutissements diffèrent.

La première péripétie fait se retrouver les trois personnages dansun rire partagé : son déclenchement immédiat est exprimé par l'infinitif de narration ( «et de rire»).

À l'inverse, lascène du baiser isole les deux amoureux : la narration, très elliptique ( « la circonstance», «Nous étions seuls»), faitdisparaître Mlle Graffenried sans que l'on sache ni comment, ni pourquoi, ni quand.Une arrivée inopportune et bienvenue.

On est à un moment de tension où l'idylle à trois pourrait se rompre, etl'atmosphère chaste du récit basculer vers un libertinage plus poussé.

L'irruption de Mlle de Graffenried interrompt unduo amoureux naissant; Jean-Jacques et Mlle Galley communiquaient dans un échange où l'abandon à l'émotion («lesouffle court», «le regard engageant», etc.) et la retenue s'équilibraient (les «yeux baissés», la main retirée «doucement ») .

L'entrée de l'amie est contrariante ; le regard de rejet de Jean-Jacques est terrible (» et me parutlaide en ce moment») et montre que l'une des deux filles a été un instant choisie.

Mais en même temps, l'amie arriveau bon moment, et tire d'embarras Jean-Jacques qui semblait figé dans une gêne muette («Je ne sais ce que j'auraispu lui dire»).

Que dire en effet, que faire de plus que ce baiser qui comble, qui est comme le point d'aboutissementde la journée? L'apprenti amoureux Le narrateur dit qu'il n'y a pas d'équivoques entre les protagonistes de l'idylle.

En revanche le texte se nourrit dequelques équivoques, comme si Rousseau ne pouvait fixer précisément ses traits d'adolescent.

Jean-Jacques est unêtre indécis, partagé entre audace et maladresse, à la fois spontané et embarrassé.

Cette indécision renvoie en faità celle de ses désirs naissants : «je ne savais pas trop bien ce que je voulais à ces deux charmantes personnes»,écrit un peu plus loin Rousseau. Éloquence et mutisme: l'embarras des paroles.

Un peu plus haut dans le récit, Jean-Jacques fait preuve d'à proposen adressant aux jeunes filles une parole galante : «je leur dis [...] qu'elles n'avaient pas besoin de vin pourm'enivrer».

Dans notre texte, il formule un second propos galant, un souhait: voir ses lèvres, transformées encerises, s'élancer vers les jeunes filles; la tournure exclamative (deux indépendantes introduites par un pronomexclamatif « que», «comme»), la progression du rythme par masses croissantes (11 + 13 syllabes) miment lavivacité du désir naissant, mais le souhait est inexprimé ( «je me disais en moi-même»); le jeune homme n'extérioriseplus ce mouvement spontané d'éloquence.Et surtout, Jean-Jacques adoucit la force érotique de ce qu'il imagine : la première exclamation vient d'un véritableélan de convoitise, car si l'on va jusqu'au bout de l'équivalence (les lèvres devenues cerises), le désir implicite estde poser ses lèvres sur les seins de Mlle Galley.

Mais la seconde exclamation (l.

9) revient à la tonalité générale del'idylle chaste : le pluriel (« comme je les leur») réunit les deux jeunes filles; la reprise en parallèle d'une expression (« je leur en jetais des bouquets», «comme je les leur jetterais de bon coeur ») crée une continuité qui gommel'irruption de l'appétit sensuel: l'élan érotique redevient un élan joyeux ( «de bon coeur »).

Par la suite, le mutismedu jeune homme se confirme : au fur et à mesure que le désir s'oriente de façon plus précise vers le corps de MlleGalley, le récit indique l'embarras de la parole (l.

18, 20), et même du souffle (l.

17). L'adresse des gestes.

A l'inverse, les gestes se font plus précis.

Le texte apprécie l'attitude de l'adolescent de trois. »

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