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La confrontation entre le maître et le valet dans la comédie du XVIIIe siècle

Publié le 15/09/2006

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 Pourquoi la comédie du XVIII° siècle se prête-t-elle particulièrement à la confrontation de ces deux classes sociales du XVIII° siècle : maîtres et valets ? 

 On peut noter tout d’abord que la comédie est un des seuls genres littéraires qui peut mettre en scène un maître et son valet, ce qui d’ailleurs l’oppose à la tragédie qui n’utilise que des personnages illustres. Cette capacité de la comédie à faire figurer deux classes sociales opposées dans le même espace provient des origines du théâtre, en l’occurrence des comédies grecques et latines : ainsi les auteurs latins Plaute ou Térence avaient déjà l’habitude de mettre en scène des personnages stéréotypés et notamment des esclaves (_servus currens_) qui servaient les intérêts de leur maître. La commedia dell’Arte usait elle aussi de ce procédé et créa de nombreux personnages de valets, le plus célèbre étant Arlequin, qui ont pris une importance de plus en plus marquée face aux maîtres. Molière enfin utilisa le duo maître valet dans de nombreuses pièces telles que les Fourberies de Scapin, Dom Juan, l’Avare. Le mariage de Figaro ou le Barbier de Séville au XVIII° siècle représentent donc l’aboutissement de cette longue évolution. En outre le public de la comédie, attiré par l’aspect divertissant de ce genre, est particulièrement réceptif à la mise en scène du maître et du valet : en effet il s’agit d’un public populaire et non aristocratique. Beaumarchais déclare lui-même que le but d’une comédie est d’« amuser nos Français « (préface du Mariage). Le peuple ainsi désigné s’identifie aux personnages et surtout aux valets, qui sont généralement représentatifs de leur temps : dans cette même préface, Beaumarchais décrit Figaro, le valet, comme « l’homme le plus dégourdi de sa nation «. La comédie, par sa tradition et son public, est donc le genre de prédilection pour mettre en scène maîtres et valets. 

 La comédie ne se contente pas de faire figurer maître et valet sur une même scène de théâtre : elle les met sur un pied d’égalité. Elle y parvient en valorisant le rôle du valet. En effet, celui-ci joue toujours un rôle clé dans l’intrigue. Figaro est un personnage essentiel du Mariage, le titre même de la pièce en est la preuve. Il est un acteur essentiel qui, par son action, va influer sur le cours des événements : Figaro marque sa volonté d’agir et d’intervenir à la scène 2 de l’acte I du Mariage où il énonce un programme chargé qui va remplir cette « folle journée «. Cette omniprésence dans la pièce le valorise fortement. Le maître, lui, est bien souvent dévalorisé par son caractère et sa manière d’être. Le comte Almaviva, qui n’a de cesse de courtiser Suzanne, apparaît non seulement comme un mari indigne mais aussi comme un être perverti et obsédé par les femmes. Son manque d’intelligence apparaît à la scène 12 de l’acte II où il se fait berner par une coalition féminine (la comtesse et Suzanne) qui le ridiculise aux yeux du public. Les deux classes sociales, maîtres et valets, sont finalement placées au même niveau par leur morale et leur importance dans la pièce. 

 Enfin remarquons que la comédie noue des liens étroits entre maître et valet. Le valet est bien souvent complice des desseins de son maître, parfois même le collaborateur. Dans le Barbier de Séville, Figaro aide son maître à séduire Rosine, tandis que dans le Mariage, Suzanne assiste sa maîtresse dans les instants délicats –au moment où elle prend la place de Chérubin dans le cabinet par exemple- et joue le rôle de confidente de la comtesse (Acte II scène 1). Le contact entre maître et valet est privilégié dans ces pièces grâce aux nombreux dialogues qui les mettent face à face. On peut noter aussi dans quelques scènes des échanges en aparté entre le maître et le valet, à l’instar de la scène 21 de l’acte II (« La comtesse, bas à Suzanne… « à deux reprises). La proximité entre maître et valet atteint son paroxysme lorsque interviennent des changements d’identité entre les deux, comme à l’acte V du Mariage où la Comtesse et Suzanne échangent leurs vêtements pour mieux tromper le comte. 

 La comédie réunit donc maître et valet sur un même espace, et les place sur un pied d’égalité, voire les rend parfois complices ou tout du moins très liés. Elle rassemble donc tous les éléments qui rendent aisée l’opposition du maître et du valet. 

 Si la comédie met en scène les maîtres et leurs valets, et si elle tend à rapprocher ces deux classes sociales en valorisant le valet, elle n’en reste pas moins un tableau réaliste des inégalités de statut qui opposent l’un à l’autre. Le pouvoir du maître reste fort et le valet y est encore très soumis. Ainsi, dans le Mariage, Figaro ne traite pas d’égal à égal avec le Comte qu’il respecte même en son absence, comme le témoigne les vouvoiements et les appellations déférentes (« Monsieur le Comte «, « ministre «) qu’il prononce dans son monologue de la scène 2 de l’acte I. Le comte, lui, semble disposer de la vie de ses domestiques (« Il épousera la duègne «, acte III scène 8, « Tu n’épouseras pas Figaro «, acte I scène 10). Il a à sa disposition un personnel nombreux et détient une puissance armée et physique (les gens d’armes) qu’il n’hésite pas à utiliser, même dans les appartements de sa femme : « Holà ! Quelqu’un ! « (scène 14, acte III). Quant au valet, il est également très marqué par sa condition qui apparaît comme précaire et instable : elle est décrite longuement par Figaro dans le monologue Acte V scène 3. 

 La comédie introduit également la rivalité entre maître et valet. Il s’agit d’une rivalité bilatérale, c’est à dire qui oppose le valet au maître mais aussi le maître au valet. Dans le Mariage apparaît ainsi dès la première scène une rivalité amoureuse entre le comte et Figaro qui perdurera tout au long de la pièce. Figaro est irrité par l’attitude du comte qui veut lui dérober sa femme : « représenter à la fois le Roi et moi dans une cour étrangère, c’est trop de moitié «, déclare ainsi Figaro. Le comte est pour sa part jaloux de ce rival amoureux et tente à maintes reprises d’empêcher son union avec Suzanne (« Pour que la cérémonie eût plus d’éclat, je voudrais seulement qu’on la remit à tantôt «, acte I scène 10). 

 Cette rivalité peut devenir un affrontement direct entre les deux personnes. Cet affrontement se limite bien sûr à la parole mais il n’en est pas moins virulent. La scène 5 de l’acte III en est un exemple frappant : le comte et Figaro échangent une série de piques verbales, créant un véritable combat entre les deux hommes. Le ton correct et les expressions d’usage (« Monseigneur «) ne trompent pas sur la véritable nature de ce dialogue : les nombreux apartés livrent au public les vrais ressentiments des protagonistes : « Je l’enfile et le paie en sa monnaie «. Par ailleurs, A la scène 20 de l’acte II, lorsque le comte se demande « qui surveillera la comtesse au château « ? Figaro répond insolemment : « La veiller ! Elle n’est pas malade ! «. Ce type de joutes oratoires se retrouve dans plusieurs autres comédies de l’époque : ainsi dans le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, Arlequin est traité de « maraud « par son maître Dorante, auquel il répond promptement : « Maraud, soit, mais ce n’est point contraire à faire bonne fortune « (acte III scène 1). 

 La comédie parvient donc à opposer maîtres et valets par plusieurs moyens. La comédie dispose cependant d’une caractéristique supplémentaire facilitant cette confrontation. 

 On constate en premier lieu que la comédie dispose d’une multiplicité d’outils comiques. Il peut s’agir de jeux de scène et de situation. Dans Le Mariage de Figaro, les scènes 13, 14 et 15 de l’acte II créent le rire en faisant perdre la face au Comte qui avait pourtant raison de s’interroger sur l’identité de la personne enfermée dans le cabinet de sa femme ; par un jeu habile de passe-passe, Chérubin et Suzanne parviennent à renverser la situation en faveur de la comtesse. Un manège si complexe suscite le rire et représente bien ce qu’on pourrait appeler un comique d’action. Le comique peut aussi être un comique d’expression et de grimaces. Dans les pièces de Marivaux, Arlequin, directement issu de la Commedia dell’Arte, est le maître des cabrioles et des pirouettes. Tantôt il « saute de joie « (didascalie de la Double inconstance, scène 5, acte II), tantôt il fait rire le public en appliquant ses fantaisies à son maître : « Allons, saute Marquis ! «. Il peut enfin s’agir d’un comique de langage ; dans le Mariage (acte III scène 5), Figaro fait rire avec ses « Goddam ! «, ainsi que le juge Brid’oison avec son bégayement intempestif. 

 Les effets comiques sont donc très présents dans la comédie. Et ils servent la confrontation des maîtres et des valets dans le sens où ils sont souvent liés à la critique. Figaro utilise sa répartie, qui n’est pas dépourvue d’ironie, pour critiquer son maître : quand le comte déclare, à la scène 5 de l’acte III, que « les domestiques ici sont plus longs à s’habiller que les maîtres «, Figaro rétorque qu’ « ils n’ont point de valet pour les y aider «. D’une manière générale la comédie du XVIII° siècle applique bien la devise de Plaute : « castigat ridendo mores « (_corriger les mœurs par le rire_). C’est même un des principaux objectifs de Beaumarchais qui déclare dans la préface du Mariage que « montrer (les vices)à découvert, telle est la noble tâche de l’homme qui se voue au théâtre « et qu’« on obtient […] ni bon ni vrai comique au théâtre sans des situations fortes, et qui naissent toujours d’une disconvenance sociale «. 

 Enfin, le rire est un atout incomparable pour dissimuler les critiques et donc pour les rendre acceptables aux yeux des maîtres. En particulier, Les termes ambigus permettent au valet de dire ce qu’il pense à son maître sans déchaîner les foudres de celui-ci. Beaumarchais emploie largement ce procédé : par exemple à la scène 8 de l’acte III, Figaro déclare au Comte que « au tribunal, le magistrat s’oublie et ne voit plus que l’ordonnance «, allégation qui pourrait être prise au premier degré, si Beaumarchais n’avait ajouté la didascalie « raillant «, qui apporte tout son humour et sa part de critique à cette courte phrase. Il faut remarquer aussi que les déclarations équivoques n’ont pas qu’un usage purement théâtral : la censure, très employée sous l’Ancien Régime, était un écueil de taille pour les auteurs qui montraient un peu trop d’hostilité face au fonctionnement de la société. Le rire et notamment l’utilisation de termes à double sens permettait de contourner cet obstacle.

 

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