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La conscience de devoir mourir peut-elle susciter chez l'homme d'autres sentiments que la peur ?

Publié le 03/01/2004

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conscience

« Épicure le dit sans ambiguïté : la mort n'est rien.

Pour souffrir (aussi bien quepour jouir) il faut d'abord sentir.

Lorsque je suis dans l'incapacité d'éprouverquelque sensation que ce soit, je ne suis menacé par aucune souffrance,puisqu'il ne peut y avoir (c'est évident) de souffrance que ressentie.

Or lamort est précisément une telle incapacité.

La Lettre à Ménécée propose d'enfinir avec une illusion ; illusion qui nous fait attribuer à la mort des souffrancesqu'elle ne comporte point.

Certes.

l'agonie peut être insupportablementdouloureuse, mais l'agonie n'est pas la mort et la douleur peut se rencontrersouvent hors de toute imminence de la mort.

La mort, lorsqu'elle surviendra,ne pourra causer aucune douleur à un être qui — c'est la définition de la mort— ne sera plus.

Épicure a une formule tout à fait claire : la mort ne concerneni les vivants (cela se comprend tout seul) ni les morts, parce qu'ils ne sontconcernés par rien, n'étant rien. Il n'y a donc.

à proprement parler, rien à redouter dans la mort.

Mais laconclusion épicurienne est plus riche qu'on ne le remarque à première vue ;certes, la peur de la mort était la cible principale des raisonnements de laLettre à Ménécée, mais s'il n'y a aucun mal à redouter dans la mort, il n'y apas non plus de bien à en espérer.

Pourquoi mettre l'accent sur cetteconséquence secondaire de la réflexion épicurienne ? Parce qu'en certainessituations désespérées, l'homme peut éprouver en face de la mort un toutautre sentiment que la peur : il peut espérer trouver dans la mort un repos, un apaisement.

La conscience de devoir mourir se change alors en tentation de vouloir mourir.Mais l'espoir de trouver dans la mort un soulagement n'est pas moins vain que la crainte qu'elle inspire en tempsnormal.

La mort n'est pas un repos, car le repos n'a de sens qu'en tant qu'il régénère l'être; elle n'est pas unsoulagement, car le soulagement exige, pour qu'on en jouisse, la conscience rétrospective (le souvenir) des mauxpassés.

Épicure y insiste : que le sage ne craigne pas la mort ne signifie pas qu'il la désire.

La mort n'est rien ; ellene peut donc susciter aucun sentiment, de crainte ou d'espérance.

A l'égard de la mort, crainte et espoir sont bien,à la lettre, des sentiments sans objet.Après Épicure, Lucrèce remarquera qu'il existe un « miroir » où nous pouvons contempler le néant qui suit la mort :c'est le néant qui précède la naissance.

Reprenant cette idée, dans les « suppléments » au Monde, Schopenhauerfera remarquer à son tour que nous ne gardons aucun souvenir pénible du néant infini de notre vie prénatale.Vladimir Jankélévitch définit la vie : « une promenade entre deux néants ».Pourtant, il semble abusif de placer sur le même plan ces deux néants ; entre eux, une différence capitale : l'hommea vécu.

Le « ne plus » n'est pas du tout identique au ne pas encore ».

La symétrie des deux néants était uneillusion, parce que la vie humaine est tout entière orientée dans le temps, justement vers le futur.

Vivre, c'estréaliser peu à peu des projets, actualiser des possibles, c'est construire ; la vie se trouve donc constamment «tendue » vers l'avenir, promesse de toute richesse, possibilité de perfectionnement.

Mais voilà qu'à l'horizon de cetavenir se profile la mort inéluctable, le mur, l'obstacle imbécile qui anéantira tout ce que la vie a construit.

La vieest donc par essence mouvement, mais quel étrange mouvement ! un mouvement qui ne va nulle part, une créationprogressive condamnée à la destruction.

Plus je vis, plus je suis (à la naissance.

le nouveau-né n'est encore rienqu'un ensemble de possibilités.

de potentialités) ; mais plus je vis, plus je me rapproche du non-être !Davantage que la peur, la mort doit donc éveiller dans l'être conscient de ce destin absurde un authentiquedésespoir, encore accentué par le sentiment d'impuissance.Reste, pour éviter de sombrer dans le désespoir, l'issue de l'oubli.

Et c'est bien là ce qui se produit naturellement: lamort n'est supportable à l'être conscient que parce qu'il n'y pense point.

Félicitons-nous de l'incertitude qui pèse surla date de notre mort ; en l'évacuant des cadres du temps, cette indétermination contribue à ôter à la mort un peude sa réalité, à la désamorcer en quelque sorte.

Victor Hugo a bien montré que la connaissance de la date de samort imposait au condamné une souffrance proprement surhumaine.L'oubli : tel est donc le sentiment (mais l'oubli mérite à peine ce nom) que doit susciter en nous la conscience dedevoir mourir.

Il appartient donc à cette conscience de sombrer dans une inconscience salutaire, condition de sa vielimitée.Devons-nous pourtant vivre comme si nous ne devions jamais mourir ? L'oubli de la mort n'est-il pas aussi unecoupable négligence ? Il ne s'agit pas, selon une expression parfois utilisée, d'être prêt; on ne se prépare pas aunéant.

Pascal disait à ce propos : "Mort soudaine, seule à craindre".Il paraît difficile de demander à l'homme de surmonter totalement la crainte de la mort.

de lui substituer d'autressentiments.

Cette crainte n'est autre que le refus par l'être conscient de la perspective de son anéantissement.

Ellepeut même déboucher sur le désespoir lorsqu'on a pris conscience de ce que Jankélévitch appelle le « scandale de lamort, son absurdité.Toutes ces réactions, faute de pouvoir s'abolir complètement, doivent être dépassées par un mouvement de laraison.

On a parlé d'oubli de la mort ; précisons que cet oubli n'est pas une simple perte de mémoire.

ni même unrefoulement inconscient; c'est un acte volontaire et raisonné, tel que le recommande Spinoza : « La philosophie estune méditation de la vie, non de la mort.

». »

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