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Corneille peint les hommes comme ils devraient être, Racine les peint tels qu'ils sont. La Bruyère

Publié le 22/02/2012

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Cette phrase est tirée des Caractères (Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle), qui paraissent en 1688. L'auteur, Jean de la Bruyère (1645-1696) obtient un immense succès, au point que les rééditions se succèdent en s'enrichissant de nouveaux «caractères». La neuvième édition paraît en 1696. Cette oeuvre suscite de nombreux imitateurs jusqu'à la fin du règne de Louis XIV (1715). Ces «caractères » se composent d'observations, de réflexions mais aussi de portraits nettement définis et structurés, véritables types, construits à partir de l'actualité vécue.
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« manière de penser et de sentir, touche la sensibilité, excite fortement les passions en vertu de son «naturel»; Corneille se propose comme un modèle spirituel et moral, dans la mesure où, plus éloigné de la réalité commune, ilfait naître l'admiration, élève l'âme vers le Beau, le Noble, la Raisonnable : modèle de vertu, il mérite d'être imité, et« instruit» (édifie) par le déploiement de sa rhétorique (maximes, règles, préceptes) : « Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres; celui-làpeint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu'ils sont.

Il y a plus dans lepremier de ce que l'on admire, et de ce que l'on doit même imiter; il y a plus dans le second de ce quel'on reconnaît dans les autres, ou de ce que l'on éprouve dans soi-même.

L'un élève, étonne,maîtrise, instruit : l'autre plaît, remue, touche, pénètre.

Ce qu'il y a de plus beau, de plus noble et deplus impérieux dans la raison, est manié par le premier; et par l'autre, ce qu'il y a de plus flatteur etde plus délicat dans la passion.

Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes; etdans celui-ci, du goût et des sentiments.

L'on est plus occupé aux pièces de Corneille; l'on est plusébranlé et plus attendri à celles de Racine.

Corneille est plus moral, Racine plus naturel. Il semble que l'un imite Sophocle, et que l'autre doit plus à Euripide.

» Dans leurs tragédies, Corneille et Racine nous présentent une réalité soigneusement choisie et organisée en fonctionde leur génie propre mais c'est aussi la réalité de leur temps, telle qu'ils la vivent dans l'actualité.

C'est dire,d'emblée, que la vision tragique de l'homme, qui prend corps sur la scène, rend compte des tendances profondes deleur époque. Ainsi Corneille (1606-1684) expose-t-il, d'une pièce à l'autre, les aspirations contradictoires de l'existencearistocratique, en un moment historique où l'aristocratie connaît une grave crise face au pouvoir monarchique qui,bientôt, lui imposera l'ordre et la volonté qui le caractérisent. Face à l'affirmation orgueilleuse de ses proches, Auguste, dans Cinna (1642), doute de la légitimité de son pouvoir mais, héros devenu monarque, il s'attache à unir en sa personne tout à la fois la volonté de puissance et l'idéal degloire que Rodrigue et Horace (respectivement dans Le Cid et Horace) s'étaient évertués à porter virtuellement jusqu'à l'absolu.

Monarque en passe d'être divinisé, Auguste a beau accorder la clémence aux conjurés, l'équilibreauquel il est parvenu demeure précaire et, pour tout dire, impossible à préserver. Polyeucte (dans Polyeucte, 1643), et toute la production ultérieure, jusqu'à Suréna (1674) rendent manifeste l'échec du héros.

Loin de pouvoir réaliser dans l'Histoire sa volonté d'échapper à la condition humaine et de devenirune sorte d'Homme-Dieu, le héros cornélien subit, de pièce en pièce, un échec chaque fois renouvelé mais jamaisconsenti. En faisant apparaître les lignes de force à l'oeuvre dans l'histoire de son époque, Corneille anime avec force etlucidité le devenir de son temps et, du même coup, le dépasse.

Corneille, comme le voudrait La Bruyère, proposeraitdes modèles à imiter en peignant les hommes «comme ils devraient être» mais il y a tout lieu d'admettre que le critique a négligé cet aspect significatif — la tragédie d'Histoire — pour se restreindre à l'examen de l'héroïsmeindividuel.

Ce faisant, il passe sous silence la vérité humaine de l'héroïsme en proie aux vicissitudes de l'Histoire.

Cesouci de vérité, d'adéquation au réel ou, comme le soutient La Bruyère, de « naturel», Corneille en prône la nécessité dans les commentaires qu'il livre sur son oeuvre, en 1660, notamment.

Dans l'Avis au lecteur d'une des six comédies écrites et représentées avant les tragédies, à savoir La Veuve, il affirme : « La comédie n'est qu'un portrait de nos actions et de nos discours, et la perfection des portraitsconsiste en la ressemblance.

» Or, selon Corneille, comédie et tragédie ne diffèrent que par « la dignité des personnages et des actions» (Discours du Poème dramatique).

En effet, dans les comédies, c'est d'abord la société aristocratique qu'il représente, l'épreuve amoureuse y étant cependant étroitement tributaire de la puissance de l'argent. Ce thème majeur disparaîtra dans les tragédies, dans lesquelles le sentiment amoureux sera soumis aux exigences dela gloire, moyennant un conflit qui implique la violence des rapports de forces et un combat intérieur dont il estpermis de croire qu'il suscite, au dire de La Bruyère, un sentiment d'admiration. Certes, l'aspiration du héros cornélien à la pleine possession de soi, son désir d'absolu, que cautionne le sacrifice dela vie, le cas échéant, sont des motifs dignes de notre admiration. Mais il est manifeste que, une fois atteint ce sommet dans le sacrifice de soi que constitue le pardon d'Augustedans Cinna, le caractère suicidaire du sacrifice héroïque, ne serait-ce que chez Polyeucte, par exemple, apparaît comme une dégradation de l'héroïsme.

La contrepartie du triomphe d'Auguste («Je suis maître de moi comme de l'univers», v.1697) n'est-elle pas la tentation du néant (« Et monté jusqu'au faîte, il aspire à descendre », v.

370) ? On ne saurait méconnaître que la vengeance, thème commun à Corneille et à Racine, représente aux yeux deCorneille la passion noble par excellence.

La dignité de la tragédie, précise-t-il dans le Discours de l'utilité des parties du poème dramatique, en 1660, « demande quelque grand intérêt d'Etat, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, tellesque sont l'ambition ou la vengeance...

». »

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