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Cours: LA LIBERTE (1 de 2)

Publié le 22/02/2012

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liberte

I. Introduction

I-1. Introduction générale : 5 points

I-2. La question de la liberté, entre expérience commune (Descartes) et conception logique (Leibniz - Spinoza). Sentiment de liberté et connaissance du déterminisme. Cavaillès : Sur la logique et la théorie de la science, Vrin, 1987, pp. 55-78. Opposition des philosophes du concept et de ceux de la conscience.

II. Valorisation de l’expérience de la liberté

II-1. La liberté comme liberté d’indifférence.

II-2. Une version plus élaborée : le Libre arbitre

II-3. La critique du Libre arbitre

III. Le probable

III-1. L’antinomie déterminisme - liberté en théologie

III-2. L’antinomie déterminisme - liberté en littérature

III-3. La solution de l’antinomie : Kant

IV. La liberté en actes : les libertés (politique, juridique, d’opinion...)

IV-1. Hiérarchiser les libertés

IV-2. Le monde, le temps et moi

V. Conclusion

La vraie liberté, c’est pouvoir toute chose sur soi.

Montaigne, Essais, III, 12

Il y a trois domaines à couvrir pour traiter de la liberté : le domaine métaphysique, en posant la question des rapports de l’esprit humain à la liberté de la volonté , le domaine de la philosophie morale, et celui de la philosophie politique. Un bon sujet regroupant les trois : " peux t-il y avoir des degrés dans la liberté ? " (Pour répondre, cf. Descartes, IVe Méditation.).

I. Introduction

I-1. Introduction générale : 5 points

[1] " Le terme de liberté est fort ambigu " (Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, II-21, §8)

Fait remarquable en philosophie, le terme de liberté est facilement définissable en première approche : être libre, c’est pouvoir faire ce que l’on veut. Cette définition, conforme au sens commun, est acceptée par tous les auteurs :

  • Aristote, Politique, 1310 a 33 : " La liberté, d’autre part, et l’égalité, c’est le droit pour chacun d’agir comme il l’entend. " (Trad. Aubonnet modifiée)

  • Descartes, A Mersenne (27/05/41) : " Avant que notre volonté se soit déterminée, elle est toujours libre, ou a la puissance de choisir l’un ou l’autre de deux contraires... "

  • Leibniz, ibid. : " La liberté de fait consiste ou dans la puissance de faire ce qu’on veut, ou dans la puissance de vouloir comme il faut. "

  • Montesquieu, De l’esprit des lois, XI,3 : " Dans les démocraties, le peuple paraît faire ce qu’il veut [...] Dans un Etat [...}, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir. "

  • Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, II, 21, §12 : " lorsque l’esprit reprend la puissance d’arrêter ou de continuer, de commencer ou d’éloigner quelqu’un des mouvements du corps ou quelqu’une de ses propres pensées, selon qu’il juge à propos de préférer l’un à l’autre, dès lors, nous le considérons comme un agent libre. "

L’accord entre la conscience commune et la conscience philosophique sur le définition de la liberté tranche avec la diversité des sens consacrés par l’usage, sens multiples et divergents : chute libre (pas d’intervention extérieure), place libre, école libre, " Etes-vous libre ce soir ? ".

On parle de liberté dans la vie courante face à une situation de contrainte qu’on veut dépasser, même s’il n’est de liberté qu’en situation. La liberté s’expérimente d’abord sur le mode de la privation, et non de la capacité, ce qui peut expliquer des inflations sémantiques (être libre dans les fers...).

[2] La liberté et les libertés

Définition de la liberté : vouloir (opération de l’esprit) et faire (actes tangibles). Les deux sont distincts (cf. insomnie : plus on veut et moins on peut. Cf. meurtre : on peut et on ne veut pas). Il s’agit de distinguer la liberté intérieure et la liberté extérieure, la liberté comme faculté, et l’exercice de cette faculté, avoir la liberté comme faculté et être effectivement libre, la liberté morale - politique et métaphysique. 

On peut donc distinguer, sans nécessairement les opposer, la liberté et les libertés en acte. La question est celle-ci : que devient ma liberté dans le monde où j’évolue (thème de la " libération " chez les marxistes). Il faut toujours traiter les deux pôles conjointement : " l’homme est-il libre ? " est une question mal posée. Il faut plutôt se demander " Comment l’homme peut-il être libre ? "

Historiquement, la liberté a d’abord fonctionné dans le champ politique, par l’opposition entre l’homme libre et l’esclave. La liberté intérieure vient plus tard (stoïciens). Cf. H. Arendt, La crise de la culture, " qu’est-ce que la liberté ? "

[3] Liberté valeur et aliénation.

La liberté en philosophie n’est pas un concept neutre. Il y a une dimension affective de la liberté, qui devient l’objet d’un jugement de valeur. Il constitue ainsi un concept " chaud " (par rapport à un concept " froid " comme la causalité). Le concept de liberté véhicule un fort halos axiologique. Ainsi Valéry dans ses Regards sur le monde actuel dénonce t-il le discours incantatoire sur la liberté et les jugements de valeur positifs que l’on porte sur elle : " Liberté : un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens. " Ainsi Marx estime t-il que la liberté n’est vécue que sur le mode du discours, dans une existence seulement juridique comme droits ou par des proclamations, sans accorder d’intérêt à sa réalisation concrète. La théorie capitaliste de la liberté se contente d’un discours incantatoire sur la liberté ou la justice.

Cette opposition liberté réelle / liberté formelle - liberté de fait / liberté de droit est déjà présente chez Leibniz (Texte : Nouveaux essais,. II-21, § 8). La définition juridique de la liberté n’a de sens réel que lorsqu’elle détermine la privation de liberté (esclavage, statut légal du mineur..), mais reste formelle lorsqu’elle affirme une liberté de droit, abstraction faite de ses conditions réelles d’application. On a là un droit d’agir, sans savoir si ce droit correspond à un pouvoir effectif. A ce titre, " le pauvre est aussi libre qu’un riche. " La liberté de fait, comme puissance de faire ce que l’on veut, s’appuie sur une prise en compte des moyens nécessaires à la réalisation de la volonté. La liberté n’est effective qu’en acte, et une liberté purement formelle (cf. Stoïciens) n’est qu’une chimère, en ce qu’elle n’est encore qu’une absence d’entraves.

Texte 1

" Le terme de liberté est fort ambigu. Il y a liberté de droit, et liberté de fait. Suivant celle de droit, un esclave n’est point libre, un sujet n’est pas entièrement libre, mais un pauvre est aussi libre qu’un riche. La liberté de fait consiste ou dans la puissance de faire ce qu’on veut, ou dans la puissance de vouloir comme il faut. [...] Généralement celui qui a plus de moyens est plus libre de faire ce qu’il veut : mais on entend la liberté particulièrement de l’usage des choses qui ont coutume d’être en notre pouvoir et surtout de l’usage libre de notre corps. Ainsi la prison et la maladie, qui nous empêchent de donner à notre corps et à nos membres le mouvement que nous voulons et que nous pouvons leur donner ordinairement, dérogent à notre liberté : c’est ainsi qu’un prisonnier n’est point libre, et qu’un paralytique n’a pas l’usage libre de ses membres. "

Leibniz, op. cit.

Sous la revendication de la liberté, il semble qu’il y ait un goût pour l’asservissement. La liberté qui est revendiquée semble devenir moins intéressante dès lors qu’on la possède : ainsi pour la liberté politique, puisque n’ayant pas le droit de vote, on est prêt à mourir pour l’acquérir, et que l’ayant obtenu, on arrête d’aller voter. Une fois qu’une liberté est acquise, rien ne semble plus pressé pour nous que de nous en débarrasser, de la céder ou de l’aliéner. Je m’aliène plus que je suis aliéné. C’est la question que pose La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire (Texte). Pourquoi se donner à un maître, et s’en donner un autre dès que l’on en perd un ? Cet argument politique, vaut aussi sur le plan personnel, où l’on ne rejette sa famille que pour mieux en fonder une autre.

Texte 2

" Pour le moment, je désirerai seulement qu’on me fit comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir, puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. "

La Boétie, Le discours de la servitude volontaire, Payot, 1993, pp.174-175

[4] Il faut se méfier des paradoxes sur la liberté : être libre de refuser sa liberté, être libre en prison...

[5] Quelques figures curieuses de la liberté

Texte 3

B. Constant, Adolphe, Chap. 10. Amour et liberté.

(Le héros du roman, Adolphe, vient d’apprendre la mort de sa maîtresse, Elléonore. Il désirait depuis longtemps la quitter pour " retrouver sa liberté ", mais n’avait jamais osé le faire) :

" ...[à présent], combien elle me pesait, cette liberté que j’avais tant regrettée ! Combien elle manquait à mon cœur cette dépendance qui m’avait révoltée souvent ! Naguère toutes mes actions avaient un but ; j’étais sûr, par chacune d’elles, d’épargner une peine ou de causer un plaisir : je m’en plaignais alors ; j’étais impatienté qu’un œil ami observât mes démarches, que le bonheur d’un autre y fût attaché. Personne maintenant ne les observait ; elles n’intéressaient personne ; nul ne me disputait mon temps ni mes heures ; aucune voix ne me rappelait quand je sortais. J’étais libre, en effet, je n’étais plus aimé. "

B. Constant, Adolphe, ch. 10.

Texte4

Descartes, Méditation première : la reconnaissance de la servitude est douloureuse, et on préfère se contenter d’une liberté imaginaire (Question politique et morale).

" Mais ce dessein pénible et laborieux, et une certaine paresse m’entraînent insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu’un esclave qui jouissait dans le sommeil d’une liberté imaginaire, lorsqu’il commence à soupçonner que sa liberté n’est qu’un songe, craint d’être réveillé, et conspire avec ces illusions agréables pour en être plus longuement abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même dans mes anciennes opinions, et j’appréhende de me réveiller de cet assoupissement, de peur que les veilles laborieuses qui succéderaient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m’apporter quelque jour et quelque lumière dans la connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir toutes les ténèbres des difficultés qui viennent d’être agitées. "

Descartes, Méditation Première.

Texte 5

Jarry, Ubu enchaîné : Si pour être libre il convient de faire le contraire de ce qui est ordonné, on n’en n’est pas moins déterminé qu’auparavant.

Scène II. Le champ de mars. Les trois hommes libres, le caporal.

LES TROIS HOMMES LIBRES

" Nous sommes les hommes libres, et voici notre caporal. - Vive la liberté, la liberté, la liberté ! Nous sommes libres - N’oublions pas que notre devoir, c’est d’être libres. Allons moins vite, nous arriverions à l’heure. La liberté, c’est de n’arriver jamais à l’heure - Jamais ! Jamais ! Pour nos exercices de liberté ; Désobéissons avec ensemble... Non ! Pas ensemble : une, deux, trois ! Le premier à un, le deuxième à deux, le troisième à trois. Voilà toute la différence. Inventons chacun un temps différent, quoique ce soit bien fatiguant. Désobéissons individuellement - au caporal des hommes libres !

LE CAPORAL

Rassemblement !

Ils se dispersent.

Vous l’homme libre numéro trois, vous me ferez deux jours de salle de police pour vous être mis, avec le numéro deux, en rang. La théorie dit : Soyez libres ! - Exercices individuels de désobéissance... L’indiscipline aveugle et de tous les instants fait la force principale des hommes libres - Portez... arme !

LES TROIS HOMMES LIBRES

Parlons sur les rangs - Désobéissons. - Le premier à un, le deuxième à deux, le troisième à trois. - Une, deux, trois !

LE CAPORAL

Au temps ! Numéro un, vous deviez poser l’arme à terre ; numéro deux, la lever, la crosse en l’air ; numéro trois, la jeter à six pas derrière et tâcher de prendre ensuite une attitude libertaire. Rompez vos rangs ! Une, deux ! Une, deux !

Ils se rassemblent, et sortent en évitant de marcher au pas. "

A Jarry, Ubu enchaîné, I,2.

I-2. La question de la liberté, entre expérience commune (Descartes) et conception logique (Leibniz - Spinoza). Sentiment de liberté et connaissance du déterminisme. Cavaillès : Sur la logique et la théorie de la science, Vrin, 1987, pp. 55-78. Opposition des philosophes du concept et de ceux de la conscience.

 

Deux attitudes s’offrent à qui réfléchit sur la liberté : privilégier l’expérience commune, et les expériences où la liberté se découvre, c’est-à-dire les doutes, les délibérations (Aristote fait une théorie de la délibération dans l’Ethique à Nicomaque III,5) comme hésitation initiale et choix final, actes volontaires (dans certains cas, la volonté peut se donner sans délibération : habitudes, passions, coups de foudre...) On est là dans l’expérience commune du sentiment de la liberté intérieure, dans la conscience de sa liberté, qui n’est pas connaissance (cf. le cours sur la conscience). Descartes, Principes, I,39.

Texte 6

" Au reste il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne le pas donner quand bon lui semble, que cela peut-être compté pour une de nos plus communes notions. Nous en avons eu ci-devant une preuve bien claire ; car, au même temps que nous doutions de tout, et que nous supposions et que nous supposions même que celui qui nous a crées employait son pouvoir à nous tromper en toutes façons, nous apercevions en nous une liberté si grande, que nous pouvions nous empêcher de croire ce que nous ne connaissions pas encore parfaitement bien. Or, ce que nous apercevions distinctement, et dont nous ne pouvions douter pendant une suspension si générale, est aussi certain qu’aucune autre chose que nous puissions jamais connaître. "

Descartes, Les principes de la philosophie, I, 39.

Soit privilégier la connaissance du déterminisme naturel, et ainsi affirmer que le sentiment de liberté constitue une illusion. Il s’agira alors de se demander comment un tel sentiment peut se constituer. C’est l’attitude de Leibniz et de Spinoza contre Descartes.

L’antinomie est donc la suivante : on a connaissance du déterminisme1 naturel, et conscience de sa liberté. Comment choisir ? On est en fait là devant un indécidable.

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