Devoir de Philosophie

Cours: LE POUVOIR (2 de 3)

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

II. LA TYRANNIE OU LE POUVOIR MIS A NU

Nous allons continuer en nous intéressant à des formes concrètes de régimes politiques. La tyrannie d’abord, puis la démocratie.

L’intérêt d’étudier la tyrannie, c’est que cela permet de mettre à jour certains mécanismes constitutifs de la vie politique, en particulier, la nature (et le légitimité) du pouvoir politique.

1) les secrets du pouvoir

Tout d’abord, il faut remarquer que le pouvoir n’est pas la force. La force est toujours effective, actuelle, c’est quelque chose de réel, de physique (on parle ainsi de la force d’un vent). Alors que le pouvoir, par exemple le pouvoir du tyran, n’est réellement du pouvoir que lorsqu’il n’a pas besoin de recourir à la force.

C’est d’ailleurs, comme le fait remarquer Rousseau dans le contrat social, le rêve de tout tyran que de faire passer la force en pouvoir. Le tyran ne veut pas être obéi uniquement lorsqu’il recourt à la force, il veut qu’on lui obéisse sur un simple ordre. Son rêve, c’est même que l’on aille au-devant de ses désirs.

D’ailleurs le lien pouvoir/force est encore plus étroit que cela: Hobbes justifie le pouvoir politique en disant qu’il permet de sortir de l’état de nature. Qu’est-ce qui fait la légitimité du Léviathan? C’est que, en imposant ses lois, il fait régner un ordre qui vaut mieux que le désordre, quel que soit cet ordre. Ses lois n’ont pas à être justes, elles ont uniquement à être obéies (elles sont justes parce qu’on leur obéit, d’où la paix civile qui est le but du pouvoir). Ce qui fait la légitimité du pouvoir, quel qu’il soit, c’est qu’il confisque la force, qu’il mette fin à la "guerre de chacun contre tous".

Mais ce pouvoir connaît une limite à sa légitimité: chacun consent à y obéir dans la mesure où il y trouve la garantie de sa sécurité, il s’agit d’un contrat passé entre les particuliers et le Léviathan (on renonce à ses droits naturels pour la sécurité et la paix). Le pouvoir ne peut donc pas ordonner à quelqu’un de se tuer volontairement: il rompt le contrat, je ne serais donc plus tenu de lui obéir.

La mort est la limite de tout pouvoir.

Rappel: nous avions déjà vu dans la dialectique du maître et de l’esclave, que la forme absolue, paroxystique du pouvoir, c’est le pouvoir de vie et de mort (sous-entendu: pouvoir de donner la mort). Hegel disait: "la mort, ce maître absolu". Le maître est maître parce qu’il s’est fait l’intermédiaire ou le représentant de la mort. Mais en même temps, c’est un pouvoir qui ne s’exerce qu’une fois. Une fois mort, l’esclave échappe à tout pouvoir. La mort, c’est à la fois l’origine et la limite du pouvoir. C’est ce que l’analyse hobbesienne semble confirmer.

Il faut remarquer également que le pouvoir du tyran a quelque chose de paradoxal:

Pour le moment, je désirerais seulement qu'on me fît comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d'un Tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a pouvoir de leur nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu'il faut plutôt en gémir que s'en étonner), c'est de voir des millions de millions d'hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient redouter, puisqu'il est seul, ni chérir, puisqu'il est, envers eux tous, inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes! La Boétie: Discours de la servitude volontaire.

Ce que souligne La Boétie dans ce passage, c’est que le pouvoir du tyran n’est pas tellement un pouvoir imposé par le tyran. Le vrai secret du pouvoir, quel qu’il soit, le secret qui en fait tout le mystère, c’est que au fond, il s’agit d’une "servitude volontaire". La tyrannie n’est pas tellement le fait d’un tyran qui impose ses volontés, que celle des sujets qui acceptent cette tyrannie. Le tyran a pour tout pouvoir celui qu’on lui donne: son pouvoir consiste à utiliser la force de ses sujets contre ses sujets!

On ne peut donc pas réduire le pouvoir à la seule force: en termes de force, c’est la masse des sujets qui l’emporte sur le tyran! La force du tyran vient de la "faiblesse" de ses sujets, qui s’en laissent conter, qui se laissent impressionner par lui. Le pouvoir du tyran consiste à frapper l’imagination, pour que personne ne songe même à lui contester son autorité.

La Boétie précise plus loin quel est le pouvoir réel du tyran: il "tient six hommes". Six hommes seulement lui sont dévoués, mais ceux-ci à leur tour en tiennent six et ainsi de suite...

Plus généralement, on pourrait dire que le propre du pouvoir, ce qui le distingue radicalement de la force, c’est de fasciner les esprits, plutôt que de contraindre les corps. Il suffit de donner l’impression d’avoir du pouvoir pour en avoir réellement. C’est pourquoi tout pouvoir s’entoure de rituels, pour accroître son prestige, pour sembler encore plus indiscutable. (voir le cérémonial d’une cour, ou celle d’un simple tribunal...)

Le sociologue allemand Simmel, dans un article intitulé le Secret, montre bien quel est le secret du pouvoir: il suffit de sembler détenir un secret pour exercer un pouvoir, un ascendant. Tout pouvoir réel est soutenu par un pouvoir occulte. La forme la plus simple de ce secret: il suffit que quelques-uns m’obéissent pour que les autres se demandent ce qui me rend si sûr de moi, quel est le secret de mon pouvoir... et me craignent à leur tour!

En quelque sorte, le secret du pouvoir, c’est le pouvoir du secret. C’est ce que Umberto Eco a illustré dans son roman le pendule de Foucault: depuis la disparition de l’ordre des Templiers, l’histoire européenne serait sous-tendue par la recherche du fameux secret des Templiers. En fait, il n’y en avait pas: le secret de leur pouvoir est un secret vide. Il suffit qu’on croie qu’ils aient un secret: il s’agit de la simple apparence du secret.

2) Tyrannie et désir

Le propre du tyran, c’est de se servir du pouvoir pour assouvir tous ses désirs. C’est pour cela que Polos, dans le Gorgias de Platon (465a-481b), dit qu’il doit être le plus heureux des hommes.

Pour Socrate, au contraire, il doit être le plus malheureux! Précisons: il est malheureux, mais il n’en sait rien. En fait, il ne sait pas ce qu’est le véritable bonheur.

Certes, il peut satisfaire tous ses désirs, exiler ou faire mettre à mort qui il veut, etc. Mais satisfaire ses désirs ne suffit pas pour être heureux. "Est-ce être heureux que d’avoir la gale et de pouvoir se gratter tout son saoul?"

Pire: satisfaire ses désirs, ce n’est pas assouvir le désir. Au contraire: plus on satisfait ses désirs, plus on a de désir, jusqu’à ne plus pouvoir les satisfaire. Le désir ressemble à quelque chose comme un trou qui se creuse au fur et à mesure qu’on le remplit. L’issue est fatale: à terme, on est malheureux.

On peut donc dire que celui qui se fait tyran pour assouvir ses désirs fait un marché de dupes: il est soumis à un maître plus terrible que celui qu’il peut être pour les autres, il est soumis à son propre désir!

Et même vis-à-vis de ses sujets, son pouvoir semble avoir quelque chose d’illusoire. Pour contenir le peuple, il doit le flatter, chercher à lui plaire. Il est l’esclave de l’opinion quelque part. S’il est trop dur, s’il cherche à se faire craindre, il suscitera dans le peuple le mécontentement, et aura à craindre de tout perdre, se levant la nuit pour vérifier si personne ne se cache sous son lit...

On voit donc que l’apologie du tyran est inséparable d’une fausse conception du bonheur, qui n’arrive pas à dépasser les apparences.

Mais il existe depuis la fin de l’antiquité une autre conception du tyran: ce n’est plus tant quelqu’un qui se fait tyran pour assouvir ses désirs, c’est plutôt quelqu’un qui a compris la nécessité d’un pouvoir fort.

3) la justification d’un "pouvoir fort"

Dans la philosophie politique moderne, ce sont Hobbes (Léviathan) et Machiavel ( Le Prince) qui ont été les plus marquants représentants de cette nouvelle conception du pouvoir personnel.

Quelques principes de politique machiavélienne:

- l’expérience politique fondamentale de Machiavel est celle de l’Italie du XVIème siècle: toutes les principautés sont agitées par des crises politiques à répétition. C’est une époque où les empoisonnements (cf. les Borgia) et les assassinats sont monnaie courante. Concrètement, le pouvoir change de mains de façon quotidienne.

Première caractéristique: le problème politique par excellence n’est pas d’arriver au pouvoir (c’est même trop facile), mais de s’y maintenir. Le problème du Prince, c’est d’utiliser le pouvoir pour rester au pouvoir.

- autre caractéristique: la politique se réduit dorénavant à l’ensemble des recettes pour rester au pouvoir. La politique n’a pas comme but de faire le bonheur de la Cité (Aristote), elle n’a pas de fin propre: elle n’est qu’un ensemble de moyens, une technique qui devient sa propre fin...

- pourquoi cela? Parce que le plus grand service que le Prince puisse rendre à ses sujets, c’est justement de rester au pouvoir. Si on abandonne les hommes à eux-mêmes, ils vont se battre pour le pouvoir. Ce qu’il leur faut, c’est un Prince assez habile pour confisquer tout pouvoir. Tout pouvoir est bon dès lors que c’est réellement un pouvoir.

La meilleure justification de la tyrannie, c’est qu’elle est la mieux à même d’assurer la paix civile. Et toute la politique n’est plus qu’une affaire de temps: il faut durer, rester au pouvoir

- Et c’est ce qui justifie que, en politique tous les moyens sont bons, même les plus immoraux, ce qu’on a assez improprement appelé le "machiavélisme".

Machiavel a ceci en commun avec Hobbes: le but suprême du souverain, ce doit être la paix civile, ce qui justifie tout pouvoir qui est assez fort pour l’imposer.

Exemple: lire le chapitre 18 du Prince. Le Prince doit être à la fois un renard et un lion. A la fois l’animal noble et désintéressé, et l’animal rusé et chapardeur. C’est-à-dire qu’il ne doit pas être en lui-même bon ni méchant. Mais il doit pouvoir se montrer bon quand les intérêts de l’Etat l’exigent, et cruel quand il le faut.

N.B. s’il était par caractère plutôt bon ou plutôt méchant, il ne pourra pas être un bon prince. Il doit pouvoir se montrer sous un jour ou sous l’autre selon les circonstances, et pour cela, il ne doit être ni l’un ni l’autre. Le Prince est un virtuose des apparences, il sait que tout son pouvoir est dans l’image qu’il donne de lui.

- de sorte que la fin (la paix civile) justifiant les moyens, le Prince peut s’autoriser toutes les scélératesses. Il ne les commet pas par méchanceté, mais dans l’intérêt du plus grand nombre. Dans son Discours sur la première décade de Tite-Live,  Machiavel a même cette phrase terrible: "le bon prince préférera le salut de la cité à celui de son âme." Il est prêt à se damner en commettant toute sorte d’atrocités pour le bien commun. On voit donc ici que le Prince est à l’opposé du tyran antique dont parle Platon: il ne subordonne pas la cité à la recherche de son intérêt propre, au contraire, il se sacrifie sur l’autel de la politique, pour le bien de ses sujets.

- dernière caractéristique: ce qui fait l’excellence d’un Prince, son aptitude politique, est une qualité mystérieuse que Machiavel nomme la "virtù". Il s’agit en même temps de virtuosité, de souplesse, de pragmatisme... Disons que le Prince idéal, c’est celui qui connaît le mieux l’instabilité des choses humaines. Il doit savoir que tel procédé qui a donné de bons résultats une fois ne marchera plus dès que les circonstances auront changées. A chaque fois, il lui faut inventer de nouveaux moyens pour arriver à la même fin: la politique est une affaire de circonstances, où tout se joue dans l’instant. Il faut par exemple parfois se renier soi-même, faire le contraire de ce qu’on a promis ou ce qu’on a fait jusque là pour arriver au même résultat, pour que les choses continuent leur train...

Dans le cours humain des choses, la stabilité est toujours à refaire. Il n’est pas difficile de changer par exemple l’image que le peuple se fait du Prince, elle change toute seule. La vraie difficulté, c’est d’anticiper le changement et de le prévenir par les moyens adéquats.

On peut dire que Machiavel serait d’accord avec Winston Churchill: la politique est l’art du possible.

Pour approfondir la pensée de Machiavel, on peut lire le très beau chapitre que lui consacre Clément Rosset dans son livre l’anti-nature.

conclusion: on voit donc que le pouvoir personnel d’un seul homme n’est pas forcément l’effet du caprice, qu’il y a une pensée politique cohérente derrière.

Mais Hobbes comme Machiavel font reposer leur justification du despotisme sur un postulat qu’on peut leur contester. Pour eux, si les hommes trouvent leur compte dans un tel régime, c’est parce que les hommes sont fondamentalement mauvais, toujours prêts à abuser de leur liberté pour se battre et se déchirer. En termes hobbesiens, l’Etat est issu d’une convention qui a fait sortir les hommes de l’état de nature. Sa seule justification, c’est d’empêcher qu’on y retombe. L’Etat, par fonction et par nécessité, est de nature despotique. Un Etat démocratique serait inefficace, irait contre sa vocation. C’est une contradiction dans les termes.

4) la politique des Lumières

(lire de Kant: qu’est-ce que les lumières?)

C’est justement ce postulat que Kant a battu en brèche dans ses opuscules qui traitent de l’histoire ou du droit.

J'avoue que je ne puis me faire à ces façons de parler dont se servent même des gens fort sages: " Tel peuple " (en train d'élaborer sa liberté et ses lois) " n'est pas mûr pour la liberté" ; " les serfs de tel grand seigneur ne sont pas encore mûrs pour la liberté"; "les hommes, d'une manière générale, ne sont pas encore libres pour la liberté de croyance" . Mais, dans cette hypothèse, la liberté n'arrivera jamais, car on ne peut mûrir pour la liberté qu'à la condition préalable d'être placé dans cette liberté (il faut être libre afin de pouvoir user comme il convient de ses facultés dans la liberté). Il est certain que les premiers essais seront grossiers et qu'ordinairement même ils se relieront à un état de choses plus pénible et plus dangereux que celui où l'on vit sous les ordres d'autrui, mais aussi sous sa prévoyance; seulement, on ne peut mûrir pour la raison que par des essais personnels.

La religion dans les limites de la simple raison,

Le problème, c’est donc que d’un côté, on ne peut pas abandonner les hommes à eux-mêmes sans qu’ils abusent de leur liberté et s’entre-tuent ; de l’autre côté, on ne peut se résoudre à justifier un Etat despotique où tout le monde serait soumis à la volonté d’un seul homme.

La solution de Kant, c’est de dire que les "erreurs de la liberté" sont les indices d’une liberté naissante, qui se cherche. Il faut faire confiance au temps et aux hommes: ils apprendront eux-mêmes à bien se servir de leur liberté. L’histoire n’est finalement rien d’autre qu’une éducation de l’homme par l’homme. L’éducation , les Lumières mettront fin, à la longue à toute tyrannie.

La paresse et lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère[ ... ] restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d'être mineur! Si j'ai un livre, qui me tient lieu d'entendement, un directeur, qui me tient lieu de conscience, un médecin, qui décide pour moi de mon régime, etc.... je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes y compris le sexe faible tout entier tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction sur l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la moindre permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace si elles essaient de s'aventurer seules au dehors. Or ce danger n'est vraiment pas si grand; car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourner ordinairement d'en refaire l'essai.

Qu’est-ce que les lumières?

Bien plus, Kant montre, dans l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, que au fil de l’histoire, la tyrannie ne peut se maintenir que de plus en plus difficilement.

Par exemple, le despote a à se défendre contre les autres nations qui l’entourent. Mais les guerres deviennent de plus en plus coûteuses, il faut trouver un moyen plus économique de faire la guerre. Ce sera par exemple, la rivalité économique. Et pour maintenir son pays dans la compétition, le despote sera amené à encourager la libre-entreprise et l’instruction du peuple. Par une sorte de ruse de l’histoire, c’est le despote lui-même qui, pour arriver à ses fins de despote, favorisera les Lumières, la liberté d’expression et celle de pensée, préparant ainsi le passage à une constitution démocratique.

Tout le problème politique, selon les Lumières, sera de passer d’un sens du mot "maître" à un autre.

"Maître" est en effet un mot ambigu. Il peut désigner aussi bien le chef politique, le despote, que l’éducateur, l’enseignant! Mais leurs fins respectives ne sont pas les mêmes.

Le but du maître politique, c’est de rester au pouvoir: il a besoin qu’on ait besoin de lui. Son but, c’est le pouvoir, et le moyen d’y arriver, c’est encore le pouvoir. Sa seule excuse, c’est qu’il prétend faire le bien de ses sujets, leur bonheur, même si c’est malgré eux. Le maître en ce sens est alors assez proche de la figure du père:

Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants, c'est-à-dire un gouvernement paternel, où par conséquent les sujets, tels des enfants mineurs incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont obligés de se comporter de manière uniquement passive, afin d'attendre uniquement du jugement du chef de l'Etat la façon dont ils doivent être heureux, et uniquement de sa bonté qu'il le veuille également, un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l'on puisse concevoir. (KANT: Doctrine du droit)

Mais il a besoin de maintenir ses sujets dans un état de "minorité intellectuelle".

Au contraire, le maître, au sens d’éducateur, vise un but tout à fait opposé: il veut qu’un jour on puisse se passer de lui. Il ne transmet des connaissances que pour qu’on puisse un jour "penser par soi-même" (et c’est là la devise des Lumières d’après Kant: "sapere aude"). Bien sûr l’enseignant est aussi en un sens un chef qui doit forcer l’obéissance. Mais il n’oblige d’obéir que pour que le jour où son élève sera autonome, il sera capable de s’obéir à lui-même. La liberté politique, comme on le verra avec Rousseau, ne consiste pas tellement à ne pas avoir de maître et pouvoir faire ce qu’on veut (ce serait suivre ses seuls désirs ce qui mènerait à l’état de nature) qu’à pouvoir s’obéir à soi-même: c’est une autonomie et non une indépendance. Dans ses propos de pédagogie, Kant souligne ce caractère paradoxal de l’obéissance due au maître-éducateur: il exerce un pouvoir par intérim, en attendant que je sois capable de l’exercer moi-même, en nom propre.

RETENIR: donc, d’après Kant, dire qu’un tyran, un pouvoir fort en général est nécessaire à cause de la méchanceté des hommes n’est qu’un argument de mauvaise foi! C’est l’argument des seuls tyrans et de ceux qui désespèrent de l’homme, des misanthropes. Au contraire, le despotisme est une étape de l’histoire de l’humanité qui se détruira d’elle-même, ce n’est qu’une question de temps. Ce en quoi l’histoire lui a donné raison. Si l’on se demande comment le despotisme a pu s’imposer si longtemps, il faut en chercher la raison dans la paresse et la lâcheté des hommes...

CONCLUSION: nous avons vu qu’il y a des types de tyrans, ceux dont parle Platon qui ne cherchent qu’un profit personnel, et ceux de la tradition politique moderne (Hobbes et Machiavel) qui justifient leur pouvoir par des prétextes fallacieux. Reste à voir le type de régime alternatif à celui de la tyrannie: la démocratie.

Liens utiles