Devoir de Philosophie

LA CRITIQUE DE L’UTILITARISME DANS LA PENSÉE POLITIQUE CONTEMPORAINE

Publié le 20/03/2011

Extrait du document

   Les sociétés occidentales ont grandement été influencées par la pensée utilitariste. Effectivement, cette théorie qui a été en bonne partie développée par les économistes depuis le 18e siècle a largement contribué à l’érection de nos différents mécanismes de rapports sociaux. Cette conception a pour principal postulat que l’Homme est avant tout un être de sensations. Elle nous démontre en effet que tous recherchent ce qui leur est agréable et évitent ce qui leur apporte un inconfort. Avec cette théorie, tous les êtres humains tentent, à l’aide de leur rationalité, de maximiser leur utilité, comprise ici comme la somme des sensations négatives et positives. L’utilitarisme, appliqué au gouvernement, recherche donc à atteindre le plus grand niveau collectif de bonheur. Cependant, nous avons vu à travers notre cours que cette conception du monde est loin de faire l’unanimité chez les penseurs politiques contemporains. En effet, les quatre auteurs que nous avons étudiés dans le cours soient John Rawls, Jürgen Habermas, James Taylor et Jon Elster, bien que venant d’horizons philosophiques parfois très éloignés, s’entendent tous pour dire que l’utilitarisme, dans sa forme actuelle, ne peut servir de principe de base pour orienter nos sociétés. Dans ce texte, nous allons nous attarder à la critique que chacun de ces auteurs fait de la pensée utilitariste et de son inaptitude à pouvoir arbitrer entre une pluralité de biens concurrents. Nous commencerons notre tour d’horizon par la vision Rawlsienne du problème. Nous allons voir que celle-ci cherche avant tout à mettre les principes de justices de l’avant pour venir mettre un frein au éventuelle abus liées à la recherche de la maximisation du bonheur. Nous passerons par la suite à Taylor qui s’intéresse particulièrement à l’épanouissement personnel des individus. Pour ce faire, Taylor nous propose une manière de penser axée sur la prédominance du bien sur le juste. Nous verrons qu’Habermas se forme une opinion semblable à celle de Rawls sur les failles de l’utilitariste, mais que celui-ci propose des solutions différentes à travers son éthique de la discussion. Finalement, nous allons voir que la critique d’Elster tourne surtout autour de l’irrationalité des gens et de leur incapacité à déterminer ce qui est dans leur meilleur intérêt.    John Rawls    Dans son livre, La justice comme équité, John Rawls dénote que deux façons de concevoir la société ont marqué la pensée démocratique soit : une qui se l’imagine « […] comme un système équitable de coopération entre les citoyens tenus pour libres et égaux «[1], conception auquel il adhère et qu’il associe à la tradition du contrat social, et l’autre « l’idée de la société conçue comme un système social organisé de manière à produire le plus grand bien possible après une addition prenant en compte tous ses membres, ce bien étant un bien complet spécifié par une doctrine englobante «[2] à laquelle il associe notamment l’utilitarisme. Rawls voit ces deux visions comme foncièrement antagonistes, l’une étant l’image inversée de l’autre :    Il y a une opposition fondamentale entre ces deux traditions : l’idée d’une société conçue comme un système équitable de coopération sociale est assez naturellement spécifiée de manière à inclure les idées d’égalité (égalité des droits et libertés de base, possibilités équitables) et de réciprocité (dont le principe de différence est un exemple). À l’inverse, l’idée d’une société conçue de manière à produire le bien le plus important exprime un principe maximisateur et agrégatif de justice politique. Dans l’utilitarisme, il est rendu compte de manière seulement indirecte des idées d’égalité et de réciprocité, comme es éléments qu’on estime normalement nécessaires pour maximiser la somme du bien-être social.[3]    Rawls dénote donc que nous devons faire un choix entre deux valeurs fondamentales lorsque vient le temps de décider de l’orientation que nous devons donner à nos institutions soit : le bien (l’utilitarisme) et la justice (sa justice comme équité). Dans le premier cas, la justice est seulement perçue comme un moyen de parvenir à la maximisation du bien-être général de la société. Le problème, pour Rawls, vient du fait que les notions de justices et d’équités restent toujours subordonnées au principe d’utilité maximum. Ce faisant, il peut arriver des situations dans lesquelles ce système de pensée apporte une justification à un éventuel sacrifice de certains éléments d’une société en vertu d’une quête d’utilité maximale. Rawls apporte notamment le cas de l’esclavage dans lequel une partie de la population voit ses droits fondamentaux disparaître pour permettre une augmentation de la production de bonheur totale. Certes, il s’agit d’un exemple extrême et les tenants de la doctrine utilitariste pourraient répondre que cette situation ne permet pas d’optimiser l’utilité puisque les scrupules, les remords ou toutes autres souffrances morales entraînées par cette situation seraient supérieurs à l’augmentation du bien-être. Cependant, cet exemple permet à Rawls de démontrer que, dans l’utilitarisme, les droits et la justice ne peuvent être maintenus qu’à partir de notre « […] sympathie ou, mieux, notre capacité d’identification avec les intérêts et préoccupations des autres «[4]. Ces raisons n’étant pas suffisamment fortes, il importe de trouver une conception de la justice politique pour orienter les différentes institutions de la structure de base qui ne reposerait pas sur la doctrine utilitariste. Sa théorie se fonde donc sur le fait qu’il existe certains principes universalisables dans nos sociétés que les individus peuvent découvrir par intuitions. Il est important de noter que Rawls ne rejette pas complètement l’utilitarisme, il remarque effectivement que nos sociétés sont marquées par le pluralisme des valeurs et des doctrines englobantes et que de telles visions sont inévitables. Il conçoit également que la quête de la plus grande utilité possible est une bonne chose, seulement, celle-ci ne doit pas s’effectuer au détriment des principes de justice. Rawls considère en effet que les inégalités sont nécessaires au bon fonctionnement de la société mais, elles doivent pouvoir profiter à tous, particulièrement aux plus démunis. On peut citer par exemple la nécessité d’associer des salaires plus élevés à certains postes névralgiques, par exemple les médecins, puisque ceux-ci procurent un incitatif pour les gens les plus qualifiés et compétents de se diriger vers ces postes[5]. La logique étant qu’un système de santé ayant de bons médecins est une bonne chose puisqu’il permet à tous de maximiser son utilité.    Concrètement, ce que Rawls nous propose est de remplacer le principe d’utilité maximum comme principe organisationnel de la structure de base par des principes de justice indépendants de toute conception métaphysique ou vision englobante de la réalité. Ce faisant, il court-circuite le problème de la pluralité des conceptions du bien, problème auquel l’utilitarisme a de la difficulté à apporter une réponse définitive. Une autre faiblesse de la théorie utilitariste vient du fait qu’elle engendre souvent une grande disparité dans l’allocation des ressources. Il avance donc une procédure déontologique visant, dans le cas de la justice distributive, non pas à atteindre le maximum d’utilité absolue, comme dans le cas de l’utilitarisme, mais, plutôt, à maximiser l’utilité minimum (maximin) à l’aide du principe de différence. Avec ce principe, nous sacrifions une partie de l’utilité absolue au profit d’une hausse du minimum. Sa théorie se retrouve donc à être à mi-chemin entre l’utilitarisme et l’égalitarisme puisqu’elle reprend le concept d’utilité, mais en le limitant pour qu’il permette une redistribution plus uniforme de l’utilité.    Nous constatons donc que la critique que Rawls fait de l’utilitarisme tourne surtout autour de la difficulté qu’a cette conception à garantir efficacement des principes de justice égaux pour tous. Nous remarquons également qu’il dénote le problème de la pluralité des conceptions du bien et que devant ce problème il propose de mettre les conceptions de justice au-dessus des considérations de maximisation du bonheur collectif.    Charles Taylor    Dans son texte, La liberté des modernes, Charles Taylor exprime l’essentielle de sa critique envers les doctrines utilitaristes ou celles découlant de la tradition kantienne (telles celles de Rawls ou d’Habermas). Il débute sa réflexion en énonçant le fait que contrairement à ce qu’énoncent ses doctrines, l’unité du bien est problématique. Il démontre cet argument en expliquant que dans la vie morale, il existe une multitude de situations où les individus ont de la difficulté à juger entre deux biens différents. Il conçoit la difficulté suivante : « […] choisir l’action qui aura les meilleures conséquences peut parfois entrer en conflit avec les exigences de mon intégrité; les exigences de la bienveillance à l’égard d’autrui peuvent contredire celles de mon propre épanouissement, ou les exigences de la justice celles de la pitié et de la compassion. «[6] On remarque ici que cette critique ne s’attarde pas uniquement à l’utilitarisme, mais également aux méthodes déontologiques, fondées sur la justice, tel que proposé par Rawls et Habermas. Sa deuxième remarque est qu’il est très difficile de comparer et de choisir entre « […] des exigences émanant des conceptions éthiques de cultures et de civilisations très différentes […] «[7] .    Taylor remarque qu’il existe, dans la vie morale, une tension entre la différence et l’unité. En effet, pour effectuer des choix il faut préalablement arriver à une certaine unité morale, mais celle-ci est difficile à obtenir de par la grande diversité des biens. L’utilitarisme et les démarches kantiennes ont réussi à formuler des systèmes unitaires permettant une certaine forme de décidabilité à partir d’un critère unique (la réalisation du plus grand bonheur chez les utilitaristes), mais ceux-ci se sont réalisés aux dépens de plusieurs considérations qui ont été expulsées du contexte moral.    L’utilitarisme exprime (articulate) notre sens de l’importance de la « bienveillance « pour reprendre le terme du XVIIIe siècle, c’est-à-dire notre inclination à aider nos semblables à vivre et à s’épanouir, à préserver leur vie et à réduire leurs souffrances. Mais il ne semble pas faire de place aux objectifs d’accomplissement personnel, ou aux aspirations à réaliser dans notre vie d’autres biens que la bienveillance : l’intégrité, la sensibilité, l’amour (sauf dans la mesure où ils sont des moyens de la bienveillance).[8]    Quant aux théories proposées par Rawls et Habermas, en plaçant la justice au centre de leur système on obtient un système avec une délimitation très claire entre le juste et l’injuste, mais on place les notions d’accomplissement personnel à l’extérieur du système ou bien encore, elles sont reléguées à un rôle de second plan. La théorie Rawlsienne est un bon exemple de cette critique. En fournissant des critères très précis de sa structure de base, il exclut un très grand nombre de considérations morales. De par la surdétermination de ses doctrines, les questions éthiques se polarisent sur les obligations envers autrui[9] aux dépens des considérations de développements personnelles.    Ainsi, la démarche de Taylor vise à trouver une conception de la morale qui permet de réconcilier «[…] aussi bien son inévitable diversité que son aspiration permanente à l’unité. «[10] . Sa pensée marque donc un retour à la prédominance du bien (comme les utilitaristes) sur les questions de justice (contrairement à Rawls et à Habermas). Pour y arriver, Taylor définit deux types de bien soit les « biens de vie « et les « biens constitutifs «[11]. Il définit le premier type de bien comme suit : « les actions, les modes d’êtres, les vertus qui définissent ce qu’est réellement une vie bonne pour nous. «[12] . Les biens constitutifs sont quant à eux ceux qui déterminent et donnent une justification au bien de vie à travers « […] une définition de notre nature, de notre position ou de notre relation à un pouvoir supérieur […] «[13]. Il reproche aux théories utilitaristes et kantiennes de volontairement éviter de tenir compte de ce dernier niveau. L’utilitarisme utilise le scepticisme vis-à-vis des religions et des définitions de l’homme pour dire que les seuls principes que l’on peut considérer universels sont ceux du bonheur et de la souffrance humaine. Rawls concevant l’infinité des doctrines englobantes cherche à les éviter en se contentant de « partir de nos intuitions, et trouve ensuite une formule qui peut prétendre les engendrer, éventuellement en les affinant au cours du processus, jusqu’à ce que nous atteignions un équilibre réfléchi «[14]. Habermas, quant à lui, soutient qu’en étant contraints par les « critères d’une éthique du discours «, nous sommes déjà engagés à les respecter.    En résumé, Taylor et Rawls s’entendent tous deux sur l’inévitable pluralité des conceptions englobantes dans nos sociétés modernes. Tous deux nous proposent une théorie politique qui permettrait de combler les lacunes de l’utilitarisme face à ce problème. Cependant, leurs champs d’études sont fort différents, Taylor s’attardant surtout aux problématiques reliées à l’épanouissement de soi non seulement dans l’utilitarisme, mais également dans les théories de Rawls et d’Habermas. Avec lui, on retrouve, contrairement à Rawls, un recentrement de la priorité du bien sur le juste. Cette façon de concevoir le politique marque le retour d’une pensée inspirée d’Aristote et qui est opposée à celle de Kant.    Jügern Habermas    Habermas, comme chez les autres auteurs que nous avons vus lors de notre cours, convient pour dire qu’il existe une pluralité de définitions du bien et de visions englobantes dans nos sociétés. Il conçoit les doctrines qui puisent leurs fondements dans la théorie utilitariste, le choix rationnel par exemple, comme étant une manière de pouvoir arbitrer entre ces différentes sortes de biens à partir d’une forme de rationalité expérimentale[15]. Cependant, ces manières de procéder sont imparfaites puisqu’elles ne comprennent pas les contraintes reliées à la rationalité communicationnelle. En d’autres mots, le défaut relié à l’utilitarisme serait de ne pas comprendre le lien interne qui se fait entre les normes et leurs justifications[16]. Fidèle à la tradition kantienne, il conçoit donc l’importance de fonder notre système politique sur des normes qu’il est possible d’universaliser. Pour que ces normes soient valables, elles doivent se conformer à deux principes de base soit : le principe U et le principe D. D'abord, le principe U rejoint la nécessité d’universalisation présente chez Rawls : « Seul est impartial le point de vue à partir duquel sont universalisables les normes mêmes qui, parce qu’elles incarnent manifestement un intérêt commun à toutes les personnes concernées, peuvent escompter une adhésion générale et gagner, dans cette mesure, une reconnaissance intersubjective. «[17]. Le principe D quant à lui se définit comme suit : « Une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme. «[18].    C’est à l’étape du principe D que la démarche habermasienne se démarque considérablement de celle proposée par Rawls. On peut résumer la position de Habermas en affirmant qu’il déplore le fait que la procédure d’universalisation des principes proposée par Rawls soit incomplète puisqu’elle n’inclut pas « … un point de vue d’appréciation impartiale et un usage public – au sens strict – de la raison, qui ne serait pas simplement rendue possible par le consensus par recoupement, mais dès le départ, pratiqué en commun «[19]. Rawls nous a proposé une méthode d’universalisation des principes dans laquelle chacun, à l’aide du voile d’ignorance, est capable de déterminer par lui-même ce qui pourrait et ce qui ne pourrait pas être accepté par tout individu raisonnable. C’est ce côté monologique des théories Rawlsiennes qui est en cause dans la critique d’Habermas, théories auxquelles il oppose son éthique de la discussion. En effet, il fait remarquer que lorsqu’un individu réalise un jugement moral, il lui est impossible de se détacher complètement de ses présuppositions et de sa conception du monde. Le processus d’universalisation s’en trouve biaisé du moment où les principes retenus ne sont plus ceux qui seront acceptés par toute personne raisonnable, mais plutôt ceux qui, conformément à mon point de vue, sont susceptibles d’être acceptés. Habermas considère donc que « … la participation effective de chaque personne concernée est seule à pouvoir prévenir les déformations de perspective qu’introduit l’interprétation d’intérêts chaque fois personnels. «[20]. En effet, ce n’est qu’à travers la discussion que l’on peut s’approcher d’un résultat impartial puisque cette manière nous devons obligatoirement tenir compte d’une multitude de points de vue et d’intérêts. Habermas poursuit en affirmant que :    « … il y a de bonnes raisons de douter du fait que les citoyens « raisonnables«, au sens qui vient d’être précisé, ne peuvent jamais parvenir à un consensus par recoupement, s’ils ne peuvent se convaincre de la validité d’une conception de la justice que dans le contexte de leurs visions du monde chaque fois propres «[21].    Habermas fait remarquer ici qu’en excluant le dialogue des premières étapes du processus d’universalisation, il est impossible de tenir compte des différentes objections résultantes du fait que notre réflexion s’est réalisée à partir d’une certaine vision du monde ce qui rend le consensus beaucoup plus difficile. Habermas dénonce également le fait que Rawls ne parvient pas à s’extirper de la métaphysique. En effet, la méthode rawlsienne dépend beaucoup de la conception du bien que nous nous faisons en tant qu’individu, conception qui nous permet d’articuler une vision du monde et de la justice. Le consensus devient donc possible uniquement si les différentes conceptions du bien ont certaines finalités communes.    Jon Elster    Elster est l’auteur étudié dans ce cours qui est le plus relié à l’utilitarisme à travers son attachement à la théorie du choix rationnel. Il conçoit effectivement que l’être humain doit maximiser son utilité. Néanmoins, il nous fait remarquer que la prémisse fondamentale du choix rationnel qui est que les êtres humains sont capables de raisonner de façon complexe afin de déterminer ce qui est dans leur meilleur intérêt est loin d’être vraie. Par exemple, dans le cas de l’économie, Elster remarque que « plutôt que de recourir à des raisonnements complexes, les acteurs utilisent souvent des heuristiques simples, leur permettant d’arriver rapidement à une décision approximative. «[22]. La théorie d’Elster n’est pas une théorie normative comme c’est le cas avec nos trois autres auteurs. Son œuvre ne cherche pas à remplacer l’utilitarisme, mais, plutôt, à montrer ses failles et comment combler celles-ci.    Dans ses travaux, il essaie en effet de démontrer comment nos émotions et nos croyances nous poussent à agir contre notre meilleur intérêt. Il remarque que les émotions sont susceptibles de créer une tension entre le moi futur et le moi présent[23]. En effet, il arrive que les émotions puissent amener un renversement temporaire de nos préférences en ce sens où nous pouvons, sous le coup de nos passions, agir différemment que nous avions prévu ou aurions aimé faire si nous n’avions utilisé que notre rationalité. Dans « Ulysse Unbound «, Elster distingue quatre mécanismes par lesquels nos émotions modifient notre comportement[24]. Premièrement, nos passions peuvent engendrer une distorsion cognitive (« distorting cognition «) qui a pour effet de nous donner de fausses croyances par rapport aux conséquences de nos actes. Elles nous amènent à recourir à la « pensée magique «, soit à mal estimer la probabilité des conséquences de nos actions ou des événements qui sont en dehors de notre contrôle. Deuxièmement, elles peuvent brouiller notre jugement (« clouding cognition «) qui nous amène à agir sans tenir compte des éventuelles conséquences de nos actes. Troisièmement, elles peuvent mener à une faiblesse de la volonté diachronique (« weakness of will «). Ceci arrive lorsque la satisfaction immédiate liée au renversement de préférence est supérieure aux coûts psychologiques (« psychic turbulence «) liés à son changement. Finalement, nos émotions peuvent créer une « myopie « en ce sens où une personne peut avoir une vision de ses intérêts à plus court terme sous le coup des émotions que si elle n’avait utilisé que sa raison. Cette dernière idée est reprise dans « Agir contre soi « lorsque Elster affirme que l’effet des émotions est de raccourcir l’horizon temporel et donc de rendre moins importantes les conséquences futures[25]. Dans le même texte, Elster fait également remarquer que plusieurs émotions sont accompagnées d’une tendance à l’action spécifique qui induit un sentiment d’urgence qui pousse l’individu à préférer l’action immédiate à l’action différée[26]. Elster remarque aussi que « les émotions sont capables de causer des croyances biaisées. […] la peur exagère facilement le danger, et la colère, la gravité de l’affront. «[27]. Elster donne également l’exemple de l’escompte hyperbolique du futur qui fait en sorte que nous préférions des gains immédiats même si nous savons que nous obtiendrons davantage dans le futur. La théorie des émotions permet également d’apporter des explications à certains phénomènes que la théorie du choix rationnel avait de la difficulté à expliquer. En effet, en associant un coût émotionnel à certaines décisions, on arrive à expliquer certains choix qui peuvent paraître à première vue irrationnels. Ceci permet également d’apporter une réponse au problème de l’épanouissement personnel soulevé par Taylor. Par exemple, un individu qui agit contre son intégrité devra faire face à un grand coût émotionnel qui pourra le dissuader d’agir de la sorte.    Conclusion    Nous avons vu à travers ce travail que, dans la pensée politique contemporaine, il existe un certain consensus lorsque viens le temps de dénoncer l’utilitarisme comme système structurant de la société. Nous pouvons séparer ces critiques en deux catégories soit : une associée à la tradition kantienne qui voudrait mettre des normes universalisables à la base qui viendraient contrôler les abus liés à la maximisation de l’utilité et celle qui, comme Taylor et Elster, conçoit que les individus se doivent de maximiser leur bonheur indépendamment de toute norme supérieure. Néanmoins, tous ses auteurs reconnaissent la pluralité des biens et de la difficulté pour les individus à arbitrer entre ceux-ci à partir de la doctrine utilitariste. Pour résoudre les dilemmes moraux, Rawls propose d’avoir recours aux principes de justice, Taylor avance l’importance de tenir compte du désir d’épanouissement des individus, Habermas met de l’avant l’éthique de la discussion et Elster nous rappelle les différents biais émotifs que nous pouvons avoir lorsque nous prenons des décisions.  BIBLIOGRAPHIE    Elster, Jon. 2007. Agir contre soi. Odile Jacob.  Elster, Jon. 2000. Ulysses Unbound. Cambridge University Press.  Habermas Jürgen, Débat sur la justice politique.  Habermas Jürgen, Morale et communication .  Rawls, John. 2008. La justice comme équité. Paris : Édition la découverte.  Taylor, Charles. 1999. La liberté des modernes. QUF.    -----------------------  [1] John Rawls, La justice comme équité (Paris : Édition la découverte, 2008) 137.  [2] Ibid., 137  [3] ibid., 137  [4] ibid., 177  [5] Notes de cours sur Rawls : Acétates 61  [6] Charles Taylor, La liberté des modernes (QUF, 1999) 285.  [7] Ibid., 285  [8] ibid., 287  [9] ibid., 288  [10] ibid., 287  [11] ibid., 289-290  [12] ibid.,289  [13] ibid., 290  [14] ibid., 291  [15] notes de cours sur Habermas, acétate 24  [16] Ibid., acétate 36.  [17] Jürgen Habermas, Morale et communication 86  [18] ibid., 87  [19] Jürgen Habermas, Débat sur la justice politique 169-170  [20] Jürgen Habermas, Morale et communication p.89  [21] Jürgen Habermas, Débat sur la justice politique p.170  [22] Notes de cours sur Elster, acétate 17.  [23] Notes de cours, p.54  [24] Jon Elster, Ulysses Unbound, (Cambridge University Press, 2000), 8-11.  [25] Jon Elster, Agir contre soi, (Odile Jacob, 2007) 109.  [26] Ibid., 115.  [27] Ibid., 115.

« que les inégalités sont nécessaires au bon fonctionnement de la société mais, elles doivent pouvoir profiter à tous, particulièrementaux plus démunis.

On peut citer par exemple la nécessité d'associer des salaires plus élevés à certains postes névralgiques, parexemple les médecins, puisque ceux-ci procurent un incitatif pour les gens les plus qualifiés et compétents de se diriger vers cespostes[5].

La logique étant qu'un système de santé ayant de bons médecins est une bonne chose puisqu'il permet à tous demaximiser son utilité. Concrètement, ce que Rawls nous propose est de remplacer le principe d'utilité maximum comme principe organisationnel de lastructure de base par des principes de justice indépendants de toute conception métaphysique ou vision englobante de la réalité.Ce faisant, il court-circuite le problème de la pluralité des conceptions du bien, problème auquel l'utilitarisme a de la difficulté àapporter une réponse définitive.

Une autre faiblesse de la théorie utilitariste vient du fait qu'elle engendre souvent une grandedisparité dans l'allocation des ressources.

Il avance donc une procédure déontologique visant, dans le cas de la justicedistributive, non pas à atteindre le maximum d'utilité absolue, comme dans le cas de l'utilitarisme, mais, plutôt, à maximiser l'utilitéminimum (maximin) à l'aide du principe de différence.

Avec ce principe, nous sacrifions une partie de l'utilité absolue au profitd'une hausse du minimum.

Sa théorie se retrouve donc à être à mi-chemin entre l'utilitarisme et l'égalitarisme puisqu'elle reprend leconcept d'utilité, mais en le limitant pour qu'il permette une redistribution plus uniforme de l'utilité. Nous constatons donc que la critique que Rawls fait de l'utilitarisme tourne surtout autour de la difficulté qu'a cette conception àgarantir efficacement des principes de justice égaux pour tous.

Nous remarquons également qu'il dénote le problème de lapluralité des conceptions du bien et que devant ce problème il propose de mettre les conceptions de justice au-dessus desconsidérations de maximisation du bonheur collectif. Charles Taylor Dans son texte, La liberté des modernes, Charles Taylor exprime l'essentielle de sa critique envers les doctrines utilitaristes oucelles découlant de la tradition kantienne (telles celles de Rawls ou d'Habermas).

Il débute sa réflexion en énonçant le fait quecontrairement à ce qu'énoncent ses doctrines, l'unité du bien est problématique.

Il démontre cet argument en expliquant que dansla vie morale, il existe une multitude de situations où les individus ont de la difficulté à juger entre deux biens différents.

Il conçoitla difficulté suivante : « […] choisir l'action qui aura les meilleures conséquences peut parfois entrer en conflit avec les exigencesde mon intégrité; les exigences de la bienveillance à l'égard d'autrui peuvent contredire celles de mon propre épanouissement, oules exigences de la justice celles de la pitié et de la compassion.

»[6] On remarque ici que cette critique ne s'attarde pasuniquement à l'utilitarisme, mais également aux méthodes déontologiques, fondées sur la justice, tel que proposé par Rawls etHabermas.

Sa deuxième remarque est qu'il est très difficile de comparer et de choisir entre « […] des exigences émanant desconceptions éthiques de cultures et de civilisations très différentes […] »[7] . Taylor remarque qu'il existe, dans la vie morale, une tension entre la différence et l'unité.

En effet, pour effectuer des choix il fautpréalablement arriver à une certaine unité morale, mais celle-ci est difficile à obtenir de par la grande diversité des biens.L'utilitarisme et les démarches kantiennes ont réussi à formuler des systèmes unitaires permettant une certaine forme dedécidabilité à partir d'un critère unique (la réalisation du plus grand bonheur chez les utilitaristes), mais ceux-ci se sont réalisés auxdépens de plusieurs considérations qui ont été expulsées du contexte moral. L'utilitarisme exprime (articulate) notre sens de l'importance de la « bienveillance » pour reprendre le terme du XVIIIe siècle,c'est-à-dire notre inclination à aider nos semblables à vivre et à s'épanouir, à préserver leur vie et à réduire leurs souffrances.Mais il ne semble pas faire de place aux objectifs d'accomplissement personnel, ou aux aspirations à réaliser dans notre vied'autres biens que la bienveillance : l'intégrité, la sensibilité, l'amour (sauf dans la mesure où ils sont des moyens de labienveillance).[8] Quant aux théories proposées par Rawls et Habermas, en plaçant la justice au centre de leur système on obtient un système avecune délimitation très claire entre le juste et l'injuste, mais on place les notions d'accomplissement personnel à l'extérieur dusystème ou bien encore, elles sont reléguées à un rôle de second plan.

La théorie Rawlsienne est un bon exemple de cettecritique.

En fournissant des critères très précis de sa structure de base, il exclut un très grand nombre de considérations morales.De par la surdétermination de ses doctrines, les questions éthiques se polarisent sur les obligations envers autrui[9] aux dépensdes considérations de développements personnelles. Ainsi, la démarche de Taylor vise à trouver une conception de la morale qui permet de réconcilier «[…] aussi bien son inévitablediversité que son aspiration permanente à l'unité.

»[10] .

Sa pensée marque donc un retour à la prédominance du bien (comme. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles