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Un critique contemporain définit l'esprit du XVIIIe siècle en ces termes : «Il fallait édifier une politique sans droit divin, une religion sans mystère, une morale sans dogme.» Dans quelle mesure et avec quelles nuances ce jugement se trouve-t-il vérifié par les oeuvres du XVIIIe siècle que vous connaissez ?

Publié le 08/02/2011

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« 1 En politique - pour commencer par l'aspect le plus percutant des idées nouvelles -, on s'applique moins à proposertel ou tel système qu'à substituer à un fondement surnaturel et mystique un fondement rationnel.

C'est un lieucommun de remarquer que presque aucun philosophe du XVIIIe siècle n'est vraiment républicain : la forme degouvernement qu'on peut adopter est pour lui chose assez indifférente, à condition que les fondements en soientrationnellement explicables.

Un monarque, un conseil, une assemblée ne peuvent justifier leur autorité que par uncontrat social : toute autorité vient des hommes et il est indispensable qu'à un moment donné les citoyens aientdélégué tout ou partie de leur souveraineté à ce monarque, à ce conseil, à cette assemblée.

Déjà chez Montesquieutoutes les formes de gouvernement sont à la rigueur possibles, même et surtout la monarchie, pourvu qu'on seréfère à des «lois fondamentales» qui les légitiment et qu'il y ait une certaine correspondance entre la constitutionpolitique et la situation géographique, politique, etc., du pays concerné. 2 Si la politique est tout entière à niveau d'homme, la morale va être, elle aussi, humanisée, ce qui est encore plushardi.

On se plaît à constater que l'on peut très bien être vertueux sans religion.

A Pascal qui écrivait que «de tousles corps et esprits, on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité», Voltaire oppose constamment dans sesContes des figures de sages légèrement sceptiques à l'égard de toutes les formes particulières de la religion,honorant celles-ci dans la mesure où elles sont les garanties sociales du bon ordre, mais les flétrissant quand ellesconduisent à l'intolérance, au fanatisme, au meurtre.

Sans doute attache-t-on encore de l'importance à laconscience morale, sans doute Rousseau fait-il l'éloge de cet «instinct divin») qu'Émile devra accepter pour guide.Mais prenons bien garde qu'en obéissant à sa conscience, Émile obéira surtout à sa nature ; pour lui, comme pourles personnages de roman du XVIIIe siècle qui s'écrient sans cesse : «O vertu, ô nature !», être moral, c'est avanttout réaliser les virtualités de sa nature d'homme, et non obéir aux dogmes d'une «surnature».

N'oublions pas quec'est au XVIIIe siècle que Kant, loin de faire dépendre la morale de la métaphysique, fondera sur les impératifs de laconscience la nécessité de l'existence d'un Dieu et d'une âme. 3 Pas plus qu'ils ne voulaient supprimer la royauté, mais la rationalisaient, les philosophes ne voulaient supprimer lareligion : ils concevaient une religion sans mystère, une religion humaine ; nous dirions aujourd'hui une religion«laïque», ils disaient, eux, une religion «naturelle».

Les sages des Contes de Voltaire sont généralement religieux.Zadig tâche de comprendre les décisions de la Providence et aimerait voir régner chez tous les hommes une sorte dedéisme tolérant : dans la scène fameuse Zadig, ch.

XII, Le Souper) où des marchands se querellent pour desquestions religieuses, il réussit à les calmer en leur montrant que les divers mystères des religions sont desenveloppes à peu près équivalentes pour un certain nombre de grandes vérités universellement admises.

Ainsi, dansune sorte de déisme très souple, est assurée la fraternité des hommes, adorant dans un Dieu créateur l'ensembledes vertus qu'il leur faut pratiquer.

Ce Dieu assure non seulement l'ordre moral, mais encore une explicationsuffisamment rationnelle de tout ce qui nous échappe : c'est le «Dieu horloger» de Voltaire.

Sans doute, dira-t-on,Rousseau cherchera dans La Profession de foi du vicaire savoyard à restituer un caractère plus affectif à ce Dieu unpeu froid, mais il ne lui donne jamais les dimensions surnaturelles indispensables en stricte doctrine chrétienne.

SonDieu est un «Etre suprême», «un grand Être», chargé de fournir un objet à toutes les puissances sentimentales quisont en notre nature ; il est en somme une sorte de préposé à l'accomplissement total de notre nature, mais il n'estpas le Rédempteur, il n'est pas la Source des grâces, - grâces dont notre nature ne saurait, du reste, avoir besoin,puisqu'elle n'est pas considérée comme corrompue.

Donc pour le philosophe du XVIIIe siècle tout, même Dieu, est àmesure humaine.

Jamais la «cité des hommes» n'a besoin d'autres dimensions qu'humaines.

Politique, morale, religion,tout s'explique par l'homme et les exigences de sa nature. III Nuances et réserves L'unité que nous obtenons ainsi est évidemment très séduisante : l'esprit du XVIIIe siècle, visant des fins touthumaines avec des moyens tout humains, serait une sorte de précurseur de l'esprit positiviste qui régnera au XIXesiècle, rendant un culte à l'Humanité en marche vers le progrès.

Toutefois la doctrine du grand penseur positivisteA.

Comte refusera le nom d'âge positif à l'âge des philosophes et, dans la «loi des trois états», le XVIIIe siècle seraun exemple d'«état métaphysique» succédant à l'«état théologique».

Le jugement de notre critique n'accorderait-ilpas à l'œuvre de ce siècle une unité qu'elle n'a pas eue ? 1 Sa formule est assez incomplète ; elle ne tient compte ni de l'art ni de la littérature ; or si le XVIIIe siècle a bienéliminé le dogme en morale, il reste trop souvent soumis aux dogmes littéraires du XVIIe siècle.

Voltaire considèreque nos classiques ont atteint un apogée qu'on ne peut guère dépasser ni même égaler («Le Génie, déclare-t-il, n'aqu'un siècle, après quoi il faut qu'il dégénère»).

Il imite les procédés de Racine dans sa tragédie et cherche à fairede La Henriade une épopée suivant les préceptes de Boileau.

André Chénier lui-même, si révolutionnaire en politique,reste un lyrique néoclassique, moins froid que les autres certes, mais d'accord pour l'essentiel avec les règles deMalherbe.

Enfin, sous la Révolution se prolongea une littérature souvent fort peu révolutionnaire par ses formes. 2 A nous en tenir seulement à la formule de notre critique, est-il si évident que le XVIIIe siècle n'a pas eu, plus qu'ilne semble, le goût des entités vagues et arbitraires, voire des dogmes ? Décréter la corruption originelle de lanature humaine est un dogme chrétien, mais déclarer celle-ci bonne et attribuer sa corruption à la société, n'est-cepas là un vrai dogme de Rousseau ? Parler sans cesse de nature et identifier celle-ci à la vertu, n'en est-ce pas unautre, voisin du précédent ? Les philosophes ont alors volontiers le goût des mots vagues et généraux, Progrès,Vertu, Nature, Liberté, Sensibilité, autant de concepts qui, sans doute, ne dépassent pas la nature humaine, maistout au moins la définissent d'une façon bien métaphysique.

Le reproche des positivistes traitant le XVIIIe siècled'âge métaphysique est loin d'être sans justification.. »

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