«Je crois que j'ai somnolé un peu ... » - L'Etranger de Camus
Publié le 21/11/2012
Extrait du document
Situation du passage
Meursault arrive à l'asile de Marengo où sa mère a
vécu les dernières années de sa vie. Le corps de celle-ci a
été transporté à la morgue. A la surprise du concierge,
Meursault ne demande pas à voir la dépouille. Il s'installe
pour veiller le corps de sa mère et s'endort.
Idée directrice
Sortant de sa somnolence, Meursault aperçoit les amis
de sa mère qui viennent prendre place autour du cercueil
et veiller également la défunte. Meursault et les vieillards
s'observent dans un silence que troublent seulement les
pleurs d'une femme et quelques bruits singuliers.
«
106 1 Etude de L'Etranger
vu personne et pas un détail de leurs visages ou de leurs habits
ne m'échappait.
Pourtant je ne les entendais pas et j'avais
peine à croire à leur réalité.
Presque toutes les femmes por
taient un tablier et le cordon qui les serrait à la taille faisait
encore ressortir leur ventre bombé.
Je n'avais encore jamais
remarqué à quel point les vieilles femmes pouvaient avoir du
ventre.
Les hommes étaient presque tous très maigres et
tenaient des cannes.
Ce qui me frappait dans leurs visages,
c'est que je ne voyais pas leurs yeux, mais seulement une lueur
sans éclat au milieu d'un nid de rides.
Lorsqu'ils se sont
assis, la plupart m'ont regardé et ont hoché la tête avec gêne,
les lèvres toutes mangées par leur bouche sans dents, sans que
je puisse savoir s'ils me saluaient ou s'il s'agissait d'un tic.
je
crois plutôt qu'ils me saluaient.
C'est à ce moment que je me
suis aperçu qu'ils étaient tous assis en face de moi à dodeliner
de la tête, autour du concierge.
j'ai eu un moment l'impres
sion ridicule qu'ils étaient là pour me juger.
Peu après, une des femmes s'est mise à pleurer.
Elle était
au
second rang, cachée par une de ses compagnes, et je la
voyais mal.
Elle pleurait à petits cris, régulièrement: il me
semblait qu'elle ne s'arrêterait jamais.
Les autres avaient
l'air
de ne pas l'entendre.
Ils étaient affaissés, mornes et
silencieux.
Ils regardaient la bière ou leur canne, ou
n'importe quoi, mais ils ne regardaient que cela.
La femme
pleurait toujours.
j'étais très étonné parce que je ne la
connaissais pas.
j'aurais voulu ne plus l'entendre.
Pourtant
je n'osais pas le lui dire.
Le concierge s'est penché vers elle, lui
a
parlé, mais elle a secoué la tête, a bredouillé quelque chose,
et a continué de pleurer avec la même régularité.
Le concierge
est venu alors de mon côté.
Il s'est assis près de moi.
Après un
assez long moment, il m'a renseigné sans me regarder:.
»
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