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Croyez-vous qu'il y ait quelque utilité à écrire un journal intime ?

Publié le 18/06/2009

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INTRODUCTION. - A la grande époque classique, beaucoup de français d'une certaine culture consignaient de temps à autre ou même tous les soirs les événements de quelque importance survenus sur leurs terres ou à l'extérieur : achats et ventes, travaux, visites, voyages, nouvelles apprises, etc. Ceux qui avaient joué un rôle important ou entretenu des relations avec les grands personnages de leur époque entreprenaient, au soir de leur vie, d'écrire des mémoires dans lesquels ils reconstituaient par la pensée les scènes dont ils avaient été les témoins, faisaient revivre les personnages qu'ils avaient connus. De leur vie intime, c'est-à-dire de la tonalité affective de leur âme, de leurs crises sentimentales ou intellectuelles, les uns et les autres parlaient peu. Ils s'observaient sans doute, ainsi qu'en témoigne leur connaissance de l'homme; mais ils ne s'attardaient pas complaisamment à cette observation. Aussi le « livre de raison « de nos ancêtres, aurait-il été écrit au jour le jour de manière à constituer un vrai journal, ne contient-il pas grand-chose d'intime. Quant à leurs « mémoires « — qui, par suite de leur rédaction tardive, ne peuvent pas être classés dans le genre « journal «, — même quand ils révèlent des secrets sur ce qu'on appelle la « vie intime «, ils ne soulèvent guère la barrière de la conscience et manquent de cette intimité qui caractérise le véritable journal intime. Celui-ci a sans doute dû son apparition à l'individualisme moderne et à la vague de sensibilité romantique qui, il y a près de deux siècles, submergea le inonde occidental. Le premier journal intime qui eut les honneurs de l'impression fut celui que MAINE DE BIRAN écrivit de 1792 à 1824 et dans lequel, « mêlant curieusement... la météorologie avec l'introspection «, il notait à la fois le temps qu'il faisait au dehors et celui qu'il faisait en lui-même. Mais c'est le Journal intime d'Amiel qui constitue le type du genre. I. — CE QU'EST UN JOURNAL. INTIME D'après ce qui précède, on voit les caractéristiques de ce nouveau genre  littéraire, mais il ne sera pas inutile de les préciser. 1. Un journal. — Sa dénomination même l'indique : un journal intime est d'abord un journal.

« communautaire ou même avec la vie en société.a) Le seul fait d'avoir de ces carnets clandestins auxquels on prétend réserver la révélation de son vrai visage et desa pensée profonde implique un certain refus de communication sincère avec autrui.

Tout autre confident que lepapier devient inutile, et de soi-même on ne livre aux autres !n'une image conventionnelle et trompeuse.b) Ensuite et surtout le souci d'être soi et de découvrir son moi authentique amène l'auteur de journal intime às'opposer pour mieux se poser.

Visant à la personnalité, il deviendra facilement « personnel », au sens que pareuphémisme, on donne souvent à ce mot, dans le langage parlé : l'égoïsme et l'égotisme sont le principal ressort desa vie.

Dédaigneux des autres et concentré sur soi, il en viendra peut-être à cultiver amoureusement jusqu'auxperversités qui le distinguent du commun. B.

— La rêverie paresseuse. L'expérience — et tout particulièrement celle d'Amiel — le montre : accordant le primat à la vie intérieure etexigeant un constant retour sur soi, le journal intime détourne de l'action.

On utilise parfois, pour consigner sesnotes quotidiennes, un de ces carnets ou de ces registres intitulés Agenda que leur titre semble destinés à recevoirla liste des occupations des journées à venir; mais combien alors ce titre contraste avec leur contenu! C'est vers lepassé beaucoup plus que vers le futur qu'est ordinairement tourné le rédacteur d'un journal intime, et le lendemainquand il en fait mention, il le rêve au lieu de le préparer activement.

Voici comment un des créateurs du genre jugelui-même son oeuvre : 26 juillet 1876.

— Relu le cahier 141, avant de coudre son successeur.

Le journal est un oreiller de paresse; ildispense de faire le tour des sujets, il s'arrange de toutes les redites, il accompagne tous les caprices et méandresde la vie intérieure et ne se propose aucun Dut.

Ce journal-ci représente la matière de quarante-six volumes àtrois cents pages.

Quel prodigieux gaspillage de temps, de pensée et de force ! Il ne sera utile à personne, etmême pour moi il m'aura plutôt servi à esquiver la vie qu'à la pratiquer.

Le journal tient lieu de confident, c'est-à-dire d'ami et d'épouse; il tient lieu de production, il tient lieu de patrie et de public.

C'est un trompe-douleur, undérivatif, une échappatoire.

(H.-F.

AMIEL, Fragments d'un journal intime.) C.

— L'insincérité. Mais le danger le plus grave et le plus difficile à écarter semble bien are le manque de sincérité, sans laquellecependant le journal dit intime n'est que jeu utilitaire. a) N'écrirait-on que pour soi-même, le souci d'accomplir son pensum quotidien conduit presque inévitablement àaccentuer ses impressions ou même à en faire naître qui ne sont pas spontanées.

Il faut s'observer, et ce constantrepliement sur soi-même altère le cours naturel e la pensée et du sentiment.

Il faut trouver quelque chose à dire etqui vaille la peine d'être dit; ne le trouve-t-on pas immédiatement, un coup de pouce inconscient le fait apparaîtreou donne à ce qui s'est réellement passé la nuance qui le rend intéressant.

« Le journal devenu un devoir quotidien(...) institue ainsi une mauvaise conscience de soi à soi ». b) D'autre part, le projet de tenir un journal intime et plus encore la fidélité à cette entreprise doit nous fairesoupçonner une idée avantageuse de soi-même ou du moins une certaine ambition.

L'homme ne s'intéresse pas à luis'il ne se croit pas intéressant ou du moins capable de le devenir.

Ainsi l'auteur du journal intime s'illusionne lui-même;le personnage qu'il croit ou voudrait être se superpose à celui qu'il est réellement.Au lieu d'aller à la découverte de soi, il se donne d'emblée une certaine forme d'être.

Son journal, dès lors, commel'expression d'une attitude une fois choisie.

Entre lui et lui-même il intercale la donnée objective (4) d'un personnagequi servira de règle à ses analyses.

Jeu inconscient d'une censure qui impose certaines conformités morales etsociales, certains préjugés personnels, au détriment de l'exactitude authentique.

(G.

Gusdorf). c) Le plus souvent d'ailleurs la pensée des autres n'est pas complètement absente et la perspective d'un lecteuréventuel induit l'auteur de journal intime à se montrer comme il voudrait paraître.

« En commençant, note BenjaminCONSTANT, je m'étais promis à ne parler que pour moi et cependant telle est l'habitude de parler pour la galerie quequelquefois je me suis oublié.Ainsi le journal intime risque de nous faire perdre notre authenticité ou de nous dédoubler en deux personnages dontnous ne savons pas trop lequel est vraiment nous.Il convenait de passer en revue les plus importants de ces dangers afin que, les évitant, ceux qui projettent unjournal intime retirent de cet exercice tous les avantages qu'il peut procurer. III.

— SON UTILITÉ Il est incontestable, en effet, que la tenue d'un journal intime est fort utile à celui qui évite les travers que nousavons signalés. A.

-- Pratique. Notons d'abord que ces cahiers constituent un précieux mémorial, dans lequel celui qui l'a écrit sera heureux plustard de revivre son passé et de se retrouver lui-même.a) Sans doute, nous l'avons dit, le journal intime se distingue du livre de raison, mais dans une certaine mesure il en. »

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