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Débat à la Chambre des députés sur la provocation à l'avortement

Publié le 04/04/2013

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 (1920)

En 1913, il est né deux fois plus d’Allemands que de Français. La Grande Guerre, en emportant 10 p. 100 des hommes actifs, a rendu la situation démographique française catastrophique. Ce bilan incite le député conservateur Edouard Ignace à proposer, en juillet 1920, de réprimer la provocation à l’avortement, assimilé à un crime, et au malthusianisme, perçu comme un comportement anti-patriotique. Le débat, expéditif, ne tient aucun compte des évolutions de la société, en l’occurrence le développement d’une civilisation aspirant à de meilleures conditions de vie et la prétention inéluctable des femmes à l’émancipation.

Débat à la Chambre des députés sur la provocation à l’avortement (1920)

 

M. Édouard Ignace. Messieurs, lorsque la Chambre connaîtra les raisons de mon intervention à cette tribune, elle m’amnistiera immédiatement. (Sourires.) Nous nous sommes préoccupés, un certain nombre de mes collègues et moi, de la question très grave, et qui devient de plus en plus aiguë au fur et à mesure que se perpétue l’impunité, de la provocation à l’avortement et de la propagande des moyens malthusiens et anticonceptionnels. (Applaudissements). […] Nous avons pensé qu’il était indispensable d’y mettre fin. Pour parer au plus pressé, nous avons estimé nécessaire d’extraire de la proposition de loi votée par le Sénat et adoptée par votre commission les quelques articles qui tendent à réprimer le crime de provocation à l’avortement et le délit de propagande, des procédés malthusiens et anticonceptionnels qui demeurent impunis dans l’état actuel de notre législation pénale. […] Voici le texte de l’exposé des motifs de la proposition de loi, dont le règlement m’oblige à vous donner lecture : Messieurs, depuis quelques mois, dans certaines régions notamment, la propagande néomalthusienne ou anticonceptionnelle redouble d’activité. Elle constitue un grave danger national et nécessite une répression énergique et immédiate. Au lendemain d’une guerre, où près de 1 500 000 Français ont sacrifié leur vie pour que la France ait le droit de vivre dans l’indépendance et l’honneur, il ne saurait être toléré que d’autres Français aient le droit de tirer d’importants revenus de la multiplication des avortements et de la propagande malthusienne. […] « Art. 1er. — Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 100 F à 3 000 F quiconque : soit par des discours proférés dans des lieux ou réunions publics ; soit par la vente, la mise en vente ou l’offre, même non publique, ou par l’exposition, l’affichage ou la distribution sur la voie publique ou dans les lieux publics, ou par la distribution à domicile, la remise sous bande ou sous enveloppe fermée, ou non fermée, à la poste ou à tout agent de distribution ou de transport, de livres, d’écrits, d’imprimés, d’annonces, d’affiches, dessins, images et emblèmes ; soit par la publicité de cabinets médicaux ou soi-disant médicaux ; aura provoqué au crime d’avortement, alors même que cette provocation n’aura pas été suivie d’effet. « « Art. 2 — Sera puni des mêmes peines quiconque aura vendu, mis en vente ou fait vendre, distribué ou fait distribuer, de quelque manière que ce soit, des remèdes, substances, instruments ou objets quelconques, sachant qu’ils étaient destinés à commettre le crime d’avortement, lors même que cet avortement n’aurait été ni consommé, ni tenté et alors même que ces remèdes, substances, instruments ou objets quelconques, proposés comme moyens d’avortement efficaces, seraient en réalité inaptes à les réaliser. « « Art. 3 — Sera puni d’un mois à six mois de prison et d’une amende de 100 F à 5 000 F quiconque, dans un but de propagande anticonceptionnelle, aura, par l’un des moyens spécifiés aux articles 1er et 2, décrit, ou divulgué, ou offert de révéler les procédés propres à prévenir la grossesse, ou encore facilité l’usage de ces procédés. Les mêmes peines seront applicables à quiconque, par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, se sera livré à une propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité. « « Art. 4 — Seront punies des mêmes peines les infractions aux articles 32 et 36 de la loi du 21 germinal an XI, lorsque les remèdes secrets sont désignés par les étiquettes, les annonces ou tout autre moyen comme jouissant de vertus spécifiques préventives de la grossesse, alors même que l’indication de ces vertus ne serait que mensongère. « […] M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux. M. Lhopiteau, garde des sceaux, ministre de la Justice. Le Gouvernement pleinement d’accord avec la commission, demande à la Chambre de vouloir bien adopter d’urgence les dispositions qui lui sont soumises. […] M. André Berthon. Messieurs, je m’oppose à la discussion immédiate de la proposition présentée par l’honorable M. Ignace. Il me paraît impossible — ce serait une fâcheuse méthode de discussion — d’offrir à notre examen une proposition de loi aussi peu étudiée que celle-ci, et qui ne soutient pas la discussion. M. Louis Perrollaz. Elle est étudiée depuis des années. M. André Berthon. Si elle est étudiée depuis des années, je ne comprends pas que, dans une séance qui doit être réservée à l’amnistie, on en demande inopinément le vote, sans inscription régulière à l’ordre du jour. En réalité, cette proposition contient de telles lacunes et de telles imprécisions qu’elle exige une mise au point, impossible dans un débat brusqué comme celui que l’on désire. M. le garde des sceaux. Nous la mettrons au point après, si besoin est. Votez-la toujours. (Applaudissements au centre et à droite.) M. André Berthon. Messieurs, vous allez encore arriver, grâce à une telle méthode, à une loi complètement inapplicable et qui permettra les pires erreurs. M. le garde des sceaux en reconnaît l’imperfection et déclare qu’il sera toujours temps de la modifier lorsqu’elle aura été votée par le Parlement. M. Léon Daudet. Pendant ce temps, il naîtra des enfants. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.) M. André Berthon. C’est un système déplorable. Autant que j’ai pu m’en rendre compte par un examen si rapide, cette proposition de loi prévoit des peines pour de simples offres ayant pour objet de provoquer à l’avortement, même lorsque les moyens proposés ne seraient pas susceptibles d’obtenir ce résultat. Nous voyons encore l’article 2 punir l’offre de procédés, même, en réalité, inaptes à causer l’avortement. M. Duclaux-Monteil. Vous voulez faire avorter le projet ! M. André Berthon. […] Ces dispositions législatives nouvelles permettront-elles de frapper celui qui dira qu’il ne faut avoir des enfants que dans la limite où on peut les nourrir et les élever ? Allez-vous le faire passer en correctionnelle et le faire condamner ? M. Louis Perrollaz. Ce n’est pas la question. M. Léon Daudet. Ce sont ceux qui vivent de l’avortement qui tiennent ces propos hypocrites. M. André Berthon. Propagande contre la natalité, tout cela ? Votre texte est d’une telle imprécision qu’au premier coup d’œil, il apparaît, en fait, inapplicable. Vous punissez, d’autre part, le fait de se servir de n’importe quel moyen pour éviter la grossesse. Allez-vous condamner les pharmaciens qui vendent… (Mouvement divers et bruit.) Nous parlons nettement : ce que vous voyez à la devanture des pharmaciens, le préservatif, le condamnerez-vous par ce texte de loi ? (Exclamations.) Un membre au centre. N’oubliez pas que ce débat est public. M. Alexandre-Blanc. Je demande le comité secret. (Exclamations et rires.)

 

 

Source : Mopin (Michel), les Grands Débats parlementaires de 1875 à nos jours, sous la direction de Philippe Ardant, Paris, la Documentation française, 1988.

 

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