Décide-t-on de devenir quelqu'un ?
Publié le 21/03/2004
Extrait du document
«
que passer dans les corps vont commencer une nouvelle carrière et renaître à la condition mortelle.
Or les âmesvont choisir leur destinée : «Chacun est responsable de son choix, la divinité est hors de cause », écrit Platon.
Ainsisommes-nous responsables de notre destin.
Les âmes choisissent en toute liberté ; il leur est offert de recommencertout à neuf, de tout changer !Cette scène que raconte Er le ressuscité n'est-elle pas celle de tous les moments de notre vie ? Nous décidons sanscesse de « devenir quelqu'un ».
D'instant en instant, les choix nous sont proposés.
A nous de faire le bon choix, deconstruire le « bon » sujet, de réaliser la vraie personne et, en somme, de bien décider.
B.
Antithèse : la construction du sujet semble, néanmoins, nous échapper.
S'il est vrai qu'en un sens nous décidons de devenir quelqu'un, à chaque instant, par une création de nous-mêmesoù la personne s'engendre et se fait continuellement, création libre que rien ne précède, en un autre sens, il sembleque nous n'ayions pas à décider de devenir « quelqu'un » : le « quelqu'un » n'est-il pas, en effet, un donné et nonpoint le fruit d'une libre création ? Telle est la question que l'on peut maintenant poser.« Décider de devenir quelqu'un » : cette proposition pourrait, au fond, être critiquée à un triple niveau : biologique,social et, enfin, psychique et individuel.Au point de vue biologique, comment pourrait-on décider librement d'accéder à un certain type de personne et desujet ? La personne elle-même, le « quelqu'un » dont il est question dans l'intitulé, le sujet, renvoie, bienévidemment, à un certain type de personnalité concrète sans laquelle elle ne serait rien : quelqu'un (le sujet)suppose une personnalité avec une configuration de qualités.
Mais cette personnalité elle-même renvoie à unensemble de phénomènes donnés, à une réalité qui est sans avoir été choisie.
Du simple point de vue organique, unepersonnalité s'est constituée, en dehors de ma volonté, modelée par une hérédité qui a été subie et non pointchoisie.
Je porte en moi toute une lignée biologique où je m'inscris.
Le choix libre de « devenir quelqu'un » n'est-ilpas débordé, de toutes parts, par ma situation physiologique et par un ensemble biologiquement déterminé ?Mais ces remarques concernant le poids et l'enracinement biologique qui sont miens appellent aussi quelquesnotations au sujet de ma personnalité sociale.
Il y a en moi, semble-t-il, une personnalité sociale dépendantlargement des circonstances extérieures, des groupes variés qui m'environnent, du milieu, de la culture ambiante,des signes et des valeurs constitutifs d'un certain groupe, etc.
Après tout, la civilisation où je suis plongé, maisaussi ma classe sociale, me façonnent et m'engendrent.
Décide-t-on vraiment de devenir quelqu'un ? Ce choix libreconsisterait, disions-nous, à accéder à un certain type de sujet responsable, à une personne.
Mais, de tous côtés,mes valeurs et normes me sont dictées.
Suis-je vraiment authentique dans ma création et dans l'engendrement demoi par moi ? Nous nous croyons libres, autonomes dans nos choix, dans notre décision de donner soudainement ànotre vie telle ou telle orientation, de devenir un sujet ou une personnalité, ce « quelqu'un » engagé dans unehistoire concrète.
Illusion trompeuse ! En réalité, je ne suis mû que par les rôles, les valeurs et les normes contenusdans les groupes sociaux qui m'environnent, que par des contraintes plus ou moins cachées, plus ou moins secrètesmais, néanmoins, très puissantes.
D'une génération à une autre, les rôles exigés par le groupe varient et, moi-même,je dépends de ces transformations culturelles.
Dira-t-on que je décide de devenir quelqu'un, alors que je ne faisqu'accomplir une exigence sociale, que jouer un rôle éphémère au sein de la dérisoire et changeante comédiehumaine ?Enfin, à un troisième niveau, non plus biologique ni social mais psychologique et individuel, il semble que l'on nedécide nullement de devenir quelqu'un, un sujet, une personne ou une individualité.
En effet, mon individualitépsychique n'est-elle pas déterminée ? Je ne me suis pas donné mes aptitudes ni mes goûts.
Le « quelqu'un » que jesuis est modelé, non point seulement par l'environnement social, mais par le groupe parental très étroit.
La «création de soi par soi » n'est peut-être pas grand chose comparée au « surmoi », intériorisation des interditsparentaux.
Le « surmoi », nous dit Freud, dérive de l'influence exercée par les parents.
Or, ce « surmoi » nousmodèle.
Bien loin de décider de devenir quelqu'un, n'obéissons-nous pas aux exigences de ces interdits familiaux ?Ainsi, à un triple niveau, biologique, social et relatif au psychisme individuel, nous existons sans avoir choisid'exister, sans avoir voulu le sujet, la personne ou la personnalité.
En nous, la part du donné semble primordiale.L'essence –l'ensemble des caractères constitutifs de l'homme-antérieure à l'existence – le fait de surgir dans lemonde et de s'y construire – paraît nous renvoyer à une nature première qui nous commande et nous fait de part enpart.
C.
Synthèse : les données « empiriques », reflet d'un choix profond.
Ne faut-il pas, néanmoins, s'efforcer de comprendre au sein d'une unité plus haute les deux dimensions qui se sontprésentées à notre examen ? Ne sommes-nous pas, simultanément, ce donné brut que nous venons de décrire et lesujet que nous choisissons, à telle heure, d'incarner et de construire ? En fait, nous nous trouvons en présence de.
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