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DESCARTES: comme un pilote en son navire

Publié le 16/04/2005

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La nature m'enseigne aussi, par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc.., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu'un pilote en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé que je compose comme un seul tout avec lui. Car, si cela n'était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu'une chose qui pense, mais j'apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau ; et lorsque mon corps a besoin de boire ou de manger, je connaîtrais simplement cela même, sans en être averti par des sentiments confus de faim et de soif. Car en effet tous ces sentiments de faim, de soif, de douleur, etc.., ne sont autre chose que de certaines façons confuses de penser, qui proviennent et dépendent de l'union et comme du mélange de l'esprit avec le corps. DESCARTES

Alors même que j'avais décidé de ne « rien laisser paraître «, le tremblement de mes lèvres ou de ma voix trahit mon émotion. Singulière expérience des limites de ma volonté, ou plutôt des limites de son pouvoir : ne suis-je pas capable de maîtriser totalement mes réactions corporelles ? Le « décalage « ainsi éprouvé donne à réfléchir lorsque j'envisage par ailleurs les cas où mon corps « exécute « parfaitement ma décision d'agir de telle ou telle façon : j'ai décidé de quitter cette pièce, je me lève, et je sors... Tantôt réalité apparemment autonome qui produit ses effets à l'insu de ma volonté, tantôt fidèle « instrument « de mes décisions, mon corps est-il en mon pouvoir, et dans quelle mesure ? Suis-je dans mon corps « comme un pilote en son navire « ?

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« saisir ce corps, que l'on décrit comme un objet, en tant qu'il est mon corps, n'est-ce pas déjà dépasser lasimple détermination du corps objet, pour accéder au point de vue du corps sujet ? « Mon bras me fait mal »: l'expérience de la douleur est subjective, et pas seulement objective (c'est-à-dire liée à la perception dequelque chose qui « arrive » à un objet).

La phénoménologie du « corps propre » stipule une relation d'«appartenance » plus intime que celle qui unit le pilote à son navire. Phénoménologie : ici, étude des phénomènes, compris comme une donnée qui se manifeste à la conscience. Ce qui est en jeu, c'est ici l'adéquation d'une vision dualiste, qui n'unit les deux principes (le « je » et le «corps ») qu'à la condition de les distinguer.

Y a-t-il une substance, deux, ou même trois ? Le navire est unesubstance (un artifice finalisé agençant des matériaux d'une certaine façon) : c'est un objet technique.

Lepilote en est une autre, si l'on peut dire.

Et le tout une troisième, que l'on pourrait considérer comme « unionsubstantielle » des deux premières, s'il n'y avait là une sorte d'abus de langage relevant de la volonté desuggérer métaphoriquement la complémentarité du navire et du pilote : « Je fais corps avec ma machine »,disent quelquefois les pilotes de course.

Tout se passe, en ce cas-là, comme si le pilote n'était que la piècela plus perfectionnée du navire, en ce sens que pour elle le navire se guiderait lui-même de façon optimalepar rapport à l'action complexe des éléments qui influent sur sa progression.

Mais dans cette sorte d'osmosemétaphorique, le pilote irait-il jusqu'à sentir en lui la violence des vagues qui heurtent la coque, ou la forcedu vent qui met le gréement à rude épreuve ? C'est à ce niveau de la réflexion que la distinction du « corpsobjet » et du « corps propre » (ou corps sujet) prend toute sa signification.

« Mon corps » ne se dit pasdans le même sens que « mon navire », ne serait-ce que parce que je peux changer de navire.

Par moncorps, je suis situé dans l'existence, je perçois et je souffre — et les sensations qui aujourd'hui m'affectentont plus ou moins de résonances selon ce que j'ai vécu, moi, et moi seul.

Mon corps n'est pasinterchangeable comme un navire.

Mon corps, lié à l'intimité d'une expérience unique, n'est-il pas un point devue original sur le Monde ? Et ce qui l'affecte ne m'affecte-t-il pas aussi du même coup ? Il faut toute laforce morale d'un philosophe stoïcien comme Épictète pour parvenir à donner à toute souffrance infligée aucorps le caractère d'un événement extérieur : esclave brutalisé par son maître, ne lui aurait-il pas dit, enguise de commentaire à mesure qu'il subissait les sévices : « Arrête, tu vas me casser le bras, arrête, t'ai-jedit...

Eh bien voilà, tu l'as cassé...

» ? Troisième partie : que valent les présupposés de l'analogie ? Ai-je un corps, ou suis-je un corps ? Cette question en forme d'alternative reprend les difficultés évoquéesplus haut.

Si je suis un corps, je ne me réduis pas à lui.

Dire « mon corps », nous l'avons vu, ce n'est pasénoncer une relation d'appartenance extérieure (« ma voiture ») : l'utilisation du langage usuel est icimétaphorique, et peut-être même totalement inadéquate.

Ce qui est suggéré, c'est la nécessaire distinctionde la conscience de soi et du corps, mais rien ne permet d'exclure, a priori, que le corps soit la source decette conscience de soi : ainsi, l'hypothèse matérialiste n'entend pas confondre la conscience et le corpsmais envisager comment l'activité complexe et originaire de l'homme peut produire, comme une de sesdifférenciations, l'activité propre à la conscience.

Descartes lui-même semblait embarrassé par le problème,et proposait de distinguer trois substances, et non pas deux, analysant l'homme comme union substantiellede l'âme et du corps.

Il excluait donc de définir la relation de l'âme et du corps comme simple extériorité,comme le montre l'extrait suivant de la sixième Méditation métaphysique :« La nature m'enseigne aussi, par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis passeulement logé dans mon corps, ainsi qu'un pilote en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjointtrès étroitement, et tellement confondu et mêlé que je compose comme un seul tout avec lui.

Car, si celan'était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu'unechose qui pense, mais j'apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par lavue si quelque chose se rompt dans son vaisseau.

»Les nuances de formulation de ce texte sont assez remarquables pour être soulignées : la douleur, commephénomène psychophysiologique, atteste la réalité de l'implication du sujet percevant dans toute expériencesensible : ce qui advient au corps affecte directement le sujet de l'intérieur, au lieu d'être simplement perçuet analysé comme un « événement » extérieur.

Il n'y a donc pas une simple « association » du sujet et ducorps, mais, selon les termes de Descartes, confusion et mélange.

Le corps, dès lors, n'est pas « opposable» au je comme réalité distincte, et tout se passe comme s'ils formaient un seul tout : l'analogie avec lepilote et son navire reste donc en fin de compte inexacte et superficielle.

Elle peut indiquer, suggérer,certains traits du rapport entre le je et le corps, mais ne le représente pas de façon adéquate.La question peut être déplacée et reformulée pour préciser F enjeu de la réflexion entreprise.

Le sujetpercevant et agissant dispose-t-il d'une emprise sur ce qui affecte le corps, ou bien ne fait-il que subir ? Laproblématiquedes passions est ici en cause.

« Qu'il n'y a point d'âme si faible qu'elle ne puisse, étant bien conduite,acquérir un pouvoir absolu sur ses passions » (Les Passions de l'âme, paragraphe 50, première partie).Descartes s'efforce d'articuler une psychophysiologie du déterminisme passionnel et une théorie de lamaîtrise de soi liée au libre arbitre reconnu à chacun.

La relation au corps est donc plus complexe que celled'un pilote à son navire.

Mon corps médiatise le monde ; en lui s'impriment les impressions produites par lesdonnées du monde extérieur ; en lui aussi se répercutent tous les facteurs de la configuration présente demes rapports à une situation.

J'associe spontanément des impressions qui se présentent ensemble et àplusieurs reprises, comme le montre Descartes dans l'article 50 du Traité des passions de l'âme (premièrepartie) et dans la fameuse lettre à Chanut du 6 juin 1647 ; mais je peux apprendre, par un effort particulier. »

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