Le désintérêt a-t-il une valeur morale ?
Publié le 14/05/2012
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Nous sentirons peut-être encore mieux l'immoralité de l'indifférence si nous l'observons dans la vie sociale. Voici un homme qui a pour règle de ne s'intéresser à rien : les malheurs des autres ne changent pas sa marche d'une ligne, une action héroïque le laisse aussi indifférent que le passage d'un léger nuage sur le soleil, il ne lèverait pas le petit doigt pour améliorer les conditions de vie de son prochain. Le sens ·moral d'un lei homme n'est-il pas complètement oblitéré?
«
font qu'un avec la vie heureuse, et celle-ci est inséparable rl 'elles.
» (ll.
« A tout prendre, déclare DIDEROT, il vaut mieux, pour son bonheur dans ce monde, être un honnête homme qu'un coquin.
» (2)_ Stuart MILL nous
dit bien que, « entre le propre bonheur de l'individu et celui des autres, l'utilitarisme exige que l'individu soit aussi strictement impartial qu'un spectateur désintéres,sé et bienveillant >> (Sl; mais il reconnait plus [oin > (p.
72).
Un de ses
disciples, Al.
BAIN, précise l'attitude de ce qu'on pourrait appeler le désin téressement intéressé : « Un peu de désintéressement est un moyen d'aug menter notre bonheur en obtenant l'attention et les services de nos sem blables.
Une générosité spontanée, nous poussant à accomplir une bonne
action sans penser à chercher une compensation, est le meilleur moyen d'obtenir la considération de ceux qui nous entourent...
Une certaine promptitude à montrer de la bonté pour tout le monde est un bon place ment quand il est soumis à la raison, qui nous conduit à notre propre
bonheur.
» (4).
En définitive, pour ces philosophes, le vrai désintéresse
ment serait pure sottise et n'aurait aucune valeur morale.
B.
Nous disons, au contraire, que la valeur morale de l'activité de l'homme est conditionnée par son désintéressement.
Normalement, la pratique du bien et la recherche de l'ordre nous
valent des avantages appréciables et même, en définitive, des avantages
supérieurs
à ceux que nous aurions obtenus en mettant tout notre souci à assurer nos intérêts : souvent, la santé physique; ordinairement, l'es· time de nos semblables; presque toujours, le cas du scrupule excepté, la
joie ou la paix de la conscience.
Mais ce n'est pas en vue de ces avantages
que nous agissons quand nous agissons moralement : nous ne considérons
que le bien lui-même.
Nous ne cherchons même pas les plaisirs supérieurs
que procure le sentiment
d'avoir obtenu un beau résultat : si nous les
cherchions, nous les manquerions sûrement, et les joies morales sont
conditionnées par le désintéressement à leur égard.
TI doit donc y avoir du désintéressement dans une vie morale; mais le
désintéressement suffit-il à constituer la moralité? Nous avons reconnu
la valeur morale du désintéressement; devons-nous ajouter que cette V'lleur est absolue P
II.
- CONTRE LE DÉSI:'lTÉRESSE~!ENT.
Le désintéressement est une attitude purement négative : il consiste à
n'accorder aucune attention à une certaine catégorie de choses, à les tenir pour inexistantes.
Mais, seule, une attitude positive, un réel attachement à ce qui le mérite, peut avoir une valeur morale.
Si donc, en se déta chant de ce qui n'est pas le bien, on a fait un grand pas vers la moralité.
on n'est pas parvenu à la moralité véritable : condition de la moralité, lP désintéressement ne suffit pas à la constituer.
(f J EPI CURE, Doctrine et maximes, éd.
Sol ovine (Alcan).
p.
80.
(2) Entretien d'un philosophe avec la Maréchale de ***, Fibliothèque de !a [>léiarle, p.
851.
(3) L'utilitarisme, éd.
Alcan, p.
31.
(4) Les émotions et la volonté, éd.
Alcan, p.
425..
»
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