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LE DESTIN DE BOILEAU

Publié le 27/06/2011

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On ne peut contester que Boileau a connu le succès de son vivant. Dès 1666, il fait grand bruit sur le Parnasse ; à partir de 1669, sa réputation croît rapidement ; en 1677, la charge qu'il reçoit lui donne de l'importance ; en 1687, la Querelle des Anciens et des Modernes le met en vedette. Les témoignages de ce succès abondent. Les attaques de ses adversaires, de Chapelain le premier, de Cotin et de Desmarets, des plus grands aux plus petits, en sont des preuves constantes et irréfutables. Il est attesté par des observateurs de la vie littéraire aussi divers que Fénelon et Baillet.

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« tout le xviiie siècle : on sait qu'il enchanta les soirées de Rousseau aussi bien que de son père.L'influence positive de Boileau ne fut pas plus considérable que son influence négative.

Nous avons dit qu'il n'ajamais aidé La Fontaine, Molière, ni Racine à prendre conscience de leur génie.

Il n'a pas senti l'originalité de leurscréations.

A l'instar de ses contemporains, il a vu dans le premier un poète de second ordre, simple traducteurparfois, charmant souvent, à peu près l'égal de Godeau, de Benserade et de Voiture.

C'était l'opinion de Mme deSévigné, qui adorait les Fables ; c'était encore celle de Perrault ; Boileau n'en a pas eu d'autre.

Il a aimé Molière etestimé Alceste, mcis condamné Scapin.

Son idéal comique était Térence.

La farce avait pourtant la faveur du publicet Pourceaugnac et George Dandin étaient joués presque autant que le Misanthrope.

Desmarets et Pradon ontreproché à Despréaux de faire de telles réserves sur le talent d'un ami à peine disparu.

On assure qu'à la fin de savie il reprit du goût pour une pièce comme la Comtesse d'Escarbagnas.

Mais le témoignage est trop sommaire poureffacer la sentence prononcée par Y Art poétique.

Boileau pensait sur ce point comme Saint-Evremond, La Bruyèreet Fénelon, et comme toute la critique du temps.

On peut dire la même chose de ses rapports avec Racine.

L'estimeréciproque, les conseils même n'impliquent pas une véritable influence.L'originalité de Boileau n'est guère dans ses idées, mais bien dans son tempérament, c'est-à-dire dans ce qui est lemoins communicable.

Son Art poétique n'a ni créé ni modifié les tendances qui animent la littérature classique.

LesSatires n'ont guère agi sur la mode régnante ni changé sensiblement l'opinion.

Les Réflexions sur Longiny où l'auteuranalysait si maladroitement ses raisons d'aimer les Anciens, n'ont pas empêché le parti moderne de s'étendre et deprendre de l'autorité.Le destin de Boileau prit forme dans un royaume qui n'est pas celui du Parnasse et où le poète à l'origine ne semblaitpas devoir accéder : dans le royaume des pédants, dans le Pays latin d'où Chapelain l'exilait en 1666.

Dès 1694,Despréaux s'enorgueillit de voir son Ode traduite dans la langue d'Horace ! Deux professeurs importants, Lenglet etRollin, plus tard un célèbre Jésuite, le P.

de la Landelle, accomplirent cette transposition.

A vrai dire, l'Ode neméritait pas plus d'égards : fabriquée en vers français ou en vers latins, elle était également médiocre.

Peu à peu lescollèges annexèrent Boileau.

En 1701, on se souvint que le poète était un ancien élève du collège de Beauvais : ungrand dîner en l'honneur de l'illustre rejeton de l'établissement fut donné par les soins de Rollin, qui y enseignaitl'éloquence ; les écoliers acclamèrent leur ancien ; il leur donna des vacances en guise de remerciement.

On peutêtre sûr qu'il joua son rôle dans cette fête avec un plaisir sincère.

Il avait à peu près dépouillé les préventionsd'autrefois et se laissait doucement accaparer par des admirations qui flattaient son amour-propre.Il ne s'apercevait pas qu'il se laissait trahir.

Après sa mort, son succès s'amplifia et son autorité s'installa sur toutela littérature, surtout grâce aux régents.

Il avait contre lui à peu près tout ce qui dans les lettres était original ouindépendant : La Motte, qui, continuant le travail de Perrault, combattait les règles au nom de la raison ;plus tard Mannontel, qui essaya aussi de délivrer l'art dramatique des conventions imposées par la superstition de lavraisemblance ; Mercier, à la fin du siècle, autre avocat de la liberté.

Son nom était devenu le symbole de la règle ;on oubliait le satirique au tempérament irréductible, le réaliste en rupture avec les bienséances, l'artiste sensible à labeauté antique : il ne restait de toute cette œuvre personnelle et vivante qu'un code d'inspiration anonyme, parfoismême en contradiction avec le tempérament de son rédacteur.Cette déformation fut l'œuvre des partisans du poète encore plus que de ses adversaires.

C'est un Brossette dansson Commentaire, un Louis Racine, un Titon du Tillet, ses thuriféraires, qui l'accomplirent.

Avec eux travaillaient lesrégents : les trois noms de l'abbé Batteux, La Harpe et Daunou jalonnent l'histoire de la fortune de Boileau dans lescollèges et à l'Université.

On découvrit dans Y Art poétique et les Epîtres, et dans quelques Satires y une poésiescolaire, à laquelle les sentences et les conseils de style, la morale et la rhétorique donnent une grande valeurpédagogique.

Des volumes qu'autrefois on n'aurait pas mis dans toutes les mains devinrent des livres de prix.

On leslut dans les classes ; on les apprit par cœur : ce furent les premiers ouvrages en français, avec les Fables de LaFontaine, à figurer dans le programme des études à côté des Anciens.

Les régents firent de Despréaux un autrerégent, le Régent du Parnasse, le pédagogue du génie français.

Or ils façonnaient l'opinion.

Ils élevèrent Diderotcomme Voltaire ; seul, Rousseau leur échappa.

Comment se serait-on aperçu qu'il y avait dans cette œuvre encorerécente un autre poète que celui que l'on apprenait à lire sur les bancs de l'école ?C'est ainsi que Despréaux se trouva encourager tout ce qu'il avait détesté ; l'ingéniosité et l'artifice, les ornements,la fausse élégance, la rhétorique banale et creuse.

Certes, il avait prêté les mains à cette trahison : L'Art poétiqueparfois, Y Ode sur Namur tout entière la méritaient et l'appelaient.

Mais ce n'était en lui qu'insuffisance du ta- lentou incapacité à s'exprimer complètement.

Son tempérament le portait ailleurs.

Etait-il équitable de ne se souvenirque de ses défauts, pour en faire les qualités d'un poète modèle et symbole qu'il eût renié avec énergie ?Le xixe siècle n'a pas été plus juste à son égard que le xviiie siècle.

Vers 1800, son règne était devenu une véritabletyrannie.

L'Académie mit au concours son Eloge.

Daunou étudia son influence et assura qu'on lui devait tout leclassicisme.

Geoffroy et Dussault virent en lui un Mentor universel et dans son œuvre les tables de la loi.

On nedouta pas qu'il n'eût bâti pour l'éternité.

Comment s'étonner que de jeunes écrivains, plus éclairés ou plusindépendants, se soient rebellés contre ce despotisme ? Chateaubriand installa malgré Boileau le merveilleux chrétiendans la littérature moderne ; Mme de Staël remarqua que Despréaux avait confondu le versificateur et le poète.Victor Hugo, après l'avoir respecté et même admiré, restreignit de plus en plus le champ de son estime : en 1824, ils'inclinait devant la pureté de son goût ; en 1826, il ne révérait plus en lui que le styliste ; en 1827, il abattit toutl'édifice de Y Art poétique ; il en vint même à danser une sorte de danse triomphante sur le cadavre du malheureuxRégent du Parnasse.Mais l'Université ne change pas ainsi de dieux.

Sainte-Beuve, poète d'abord, professeur plus tard, passa à l'égard deBoileau de l'hostilité à l'admiration : dès 1843, il rendit hommage à son jugement ; en 1852, il adopta la thèse desrégents sur son rôle dans le classicisme.

Nisard maintint la tradition du législateur du Parnasse ad aeternum.

Leromantisme ne prévalut pas contre l'Ecole.

Les bibliographes relèvent cent quinze éditions collectives des œuvres deBoileau entre 1711 et 1789 ; cinquante-sept jusqu'à 1815 ; cent trente de 1815 à 1850 ; cent vingt-deux de 1850à 1929 ; soit une ou deux éditions par année au xviiie siècle, deux sous la Révolution et l'Empire, plus de trois àl'époque romantique, une ou deux dans la dernière période.

L'ascension est sensible jusqu'au milieu du XIXe siècle ;. »

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