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Déterminisme et incertitude

Publié le 12/06/2011

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« La conception mathématique du monde est d'abord inspirée par l'intuition des formes simples. Celte intuition conduit à résister longtemps à l'idée de déformation des corps célestes et à l'idée de la perturbation des trajectoires. Le déterminisme est alors une conséquence de la simplicité de la géométrisation première. Le sentiment du déterminé, c'est le sentiment de l'ordre fondamental, le repos d'esprit que donnent les symétries, la sécurité des liaisons mathématiques. [...] « On comprendra alors la nécessité où l'on est d'enseigner le déterminisme, en rectifiant l'observation par l'expérimentation. « Une seule remarque philosophique suffit à prouver que l'observation immédiate ne livre pas le déterminisme : le déterminisme ne lie pas tous les aspects du phénomène avec la même rigueur. La division de la pensée en loi et perturbation est une division qui doit être refaite à propos de chaque étude particulière. Dans l'étude du devenir des phénomènes, les lignes expérimentales sont marquées de place en place par des sortes de noeuds. Le déterminisme va d'un noeud au noeud suivant, d'une cause bien définie à un effet bien défini. Il suffit de considérer l'entre-noeud pour voir des processus particuliers dont on a tacitement postulé l'inefficacité. Donnons un exemple grossier. La craie et le vinaigre font effervescence dès qu'ils sont en présence. La durée même du phénomène n'influe pas sur le résultat final. On peut donc prendre la durée comme uniforme. Cependant si l'on voulait étudier le détail de l'évolution on se rendrait compte qu'un autre enchaînement temporel doit être placé dans l'entre-noeud. L'évolution a une histoire. Il n'y a donc pas de déterminisme sans un choix, sans une mise à l'écart des phénomènes perturbants ou insignifiants. Très souvent d'ailleurs un phénomène est insignifiant parce qu'on néglige de l'interroger. Au fond, l'esprit scientifique ne consiste pas tant à observer le déterminisme des phénomènes qu'à déterminer les phénomènes, qu'a prendre les précautions pour que le phénomène défini au préalable se produise sans d'excessives déformations. « Cet esprit de simplification qui est à la base de la conception déterministe explique précisément le succès de l'hypothèse mécaniste. « Jamais peut-être l'explication et la description n'ont été si éloignées l'une de l'autre que dans l'ère du mécanisme. Si l'on replaçait la description à la base de la phénoménologie, on se rendrait tout de suite compte que le déterminisme est un postulat de la mécanique et qu'il n'est vérifié que dans la proportion bien minime où la mécanique explique le phénomène. D'où l'idéal de la période mécanistique : pour que tout soit déterminé dans le phénomène il faut que tout y soit réductible aux propriétés mécaniques. « On pourrait ajouter que notre croyance au déterminisme des phénomènes repose sur une réduction des phénomènes à la mécanique classique élémentaire. «

Gaston BACHELARD, Le Nouvel Esprit scientifique, PUF.

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