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Dissertation

Publié le 01/03/2011

Extrait du document

Autrefois dans la Grèce antique, le théâtre était un art destiné à être regardé par un public. Le théâtre, notamment en France, est reconnu aujourd’hui aussi bien comme un domaine littéraire qu’un art du spectacle, et les valeurs littéraires des pièces de théâtre ne cessent de s’intensifier dans les yeux des amateurs. Nous possédons deux voies majeures pour aborder une pièce de théâtre, soit en tant que spectateur, soit en tant que lecteur. La représentation consiste à présenter une pièce de théâtre une nouvelle fois, avec entre autre, des transformations éventuelles entre plusieurs représentations, ce qui la rend unique. En introduisant la pièce aux yeux des spectateurs, elle la rend vivante et actuelle. Chaque représentation est alors une recréation de la pièce par le metteur en scène, créant un lien entre les spectateurs et les acteurs qui regardent sur scène. Mais Gilles Aillaud, scénographe de Bérénice à la Comédie Française pense plutôt qu’il existe des « pièces qui ne sont pas à représenter mais à lire », telle que Bérénice de Racine. La lecture d’une pièce de théâtre peut aider les lecteurs à percevoir au mieux l’aspect poétique d’une pièce en vers comme Bérénice. Le lecteur est appelé à se plonger dans les lignes d’écriture, en essayant de comprendre le message qu’on a voulu lui transmettre derrière des figures de styles, des expressions. Il prend du temps pour aller et venir entre les parties de l’œuvre et n’hésite pas à reprendre la lecture en entier. La lecture permet ainsi de savourer seul la beauté de la langue utilisée. Mais est-ce que la beauté d’une œuvre théâtrale est valorisée avant tout par la lecture et moins par la mise en scène ? En essayant de répondre à cette question, nous allons voir dans un premier temps les pistes fécondes que la lecture peut offrir à un lecteur attentif dans sa découverte de l’œuvre. Nous soulignerons ensuite qu’en en effet la représentation d’une pièce semble difficilement négligeable dans la mesure où elle apporte au spectateur d’autres aspects admirables d’une œuvre qui ne peuvent pas être perçus dans une lecture. Finalement, nous tenterons de faire de la lecture et de la représentation, deux éléments complémentaires pour aboutir à la meilleure approche possible du texte théâtral. Lire semble être une excellente approche d’un texte théâtral. La question du temps consacré à la lecture n’est pas une contrainte, ce qui autorise une libre circulation dans l’œuvre. Cet élément est capital pour une meilleure compréhension de l’œuvre afin de se rendre compte de toutes ses valeurs. Enfin, la lecture individuelle provoque souvent chez le lecteur des sensations personnelles, qui peuvent faire naître le plaisir de posséder quelque chose à soi. Dans la lecture, le lecteur est libre dans le choix de la quantité de temps consacrée à la lecture. Il a la possibilité de prendre du temps pour découvrir un langage théâtral, qui n’est pas forcément familier. Cette distance proviendrait du vocabulaire de l’époque, car par exemple, l’usage des mots au XVIIème siècle n’est pas le même qu’actuellement. Les mots comme « feux », « ennui », « déplaisirs » n’ont plus aujourd’hui une signification aussi intense que dans Andromaque de Racine ou Horace de Corneille. Il en va de même pour le registre, le contexte historique et religieux ou encore le style comme l’écriture en vers dans les pièces de théâtre classiques. Si le lecteur arrive à se donner du temps pour se familiariser peu à peu avec le langage d’une pièce, la distance temporelle entre l’époque de l’auteur et celle du lecteur peut très bien se raccourcir, voire disparaître. Et puisque le temps n’est plus une contrainte comme dans une représentation où il est limité, le lecteur a droit à une libre circulation dans l’œuvre. Il est donc invité à revenir sur des passages nécessaires quand il le désire, voire à reprendre la lecture de l’œuvre intégrale plusieurs fois. De telles reprises sont impossibles au théâtre même si on revoit une représentation d’une même troupe car chaque représentation est unique et ne peut être reproduite à l’identique. Cette possibilité de concevoir des allers-retours dans l’œuvre est capitale tout d’abord pour cerner le message implicite que l’auteur a voulu cacher derrière son écriture. Chaque élément, qu’il soit dans les répliques ou dans les didascalies a un sens, rien n’est anodin car même dans les pièces que l’on peut qualifier d’ « absurdes », les messages sont très nombreux. Dans En attendant Godot de Beckett, la chaussure qu’Estragon essaie désespérément de s’enlever ou la ceinture qui se casse quand Vladimir essaie de se pendre traduisent toutes deux une certaine impuissance face au destin déjà dessiné. La compréhension ne peut tout de même pas s’effectuer totalement suite à une seule rencontre avec l’œuvre. Il s’agit d’un travail de construction continuel et précis d’où l’importance de pouvoir revenir sur certains passages que l’on n’a pas vraiment compris. Dans un second temps, les promenades du lecteur dans l’œuvre lui permettent de contempler la beauté de l’écriture utilisée. L’aspect poétique dans Bérénice de Racine mérite d’être étudiée en profondeur par le biais de multiples figures de styles comme métaphore, comparaison, antithèse, ou chiasme, ou par la richesse des rimes dans les alexandrins. Le travail sur l’étymologie des mots utilisés comme « enfant », « cruauté », « limbes » peut s’avérer passionnant. Il aide parfois fortement à comprendre le côté implicite de l’œuvre. Absolument passionant les moments d’exaltation dans un monde absolument absurde et pleins de fadaises. Finalement, suite à un certain temps consacré à l’œuvre, le lecteur est libre dans la « concrétisation » de l’image des acteurs, leur voix, leur taille, leur jeu, mais aussi pour tout ce qui concerne les cadres spatio-temporels comme les décors, les costumes, et les objets théâtraux. Il peut imaginer sa propre « représentation » car il n’y a pas d’images qui lui sont imposées comme dans le cas d’un spectateur au théâtre. Il est important de souligner que les metteurs en scène doivent être tout d’abord des lecteurs de théâtre pour pouvoir arriver à représenter une pièce. Ainsi, chaque lecteur a sa propre interprétation des éléments dans la pièce. Il est très souvent le seul à éprouver certains sentiments à l’égard de passages qu’il a appréciés particulièrement, alors que d’autres n’y font pas attention. Le lien entre Antiochus et Titus dans Bérénice de Racine peut alors être perçu comme un lien de rivalité, ou comme un lien d’affection excessif qui va jusqu’à l’homosexualité d’après l’opinion de certains metteurs en scène. Dans la lecture, les sensations du lecteur sont moins influencées par d’autres que le spectateur au théâtre. Il s’agit d’une vraie jouissance de voir se tisser une liaison entre son âme et celui de l’auteur car on est parfois facilement convaincu d'être le seul à avoir compris les allusions derrières certaines images. Il nous est possible de voir que la lecture paraît capable à elle seule de nous transmettre toute la beauté de l’œuvre théâtrale. Cependant si nous regardons du côté de la représentation, les chemins proposés pour l’entrée dans l’œuvre sont également très abondants. La représentation peut permettre la transmission de certaines choses non ressenties dans la lecture. Malgré les avantages que peuvent présenter la lecture d’une pièce de théâtre, sa représentation semble être difficilement négligeable car le théâtre est créé tout d’abord pour être joué. Le jeu sur scène permet de concrétiser les éléments dans la pièce, et facilite donc l’accès à la compréhension de l’œuvre. Il offre en même temps une vision et une audition aux spectateurs. La vocation primaire d’une pièce de théâtre est d’être vue. Dans la Grèce antique, le berceau du théâtre occidental, le mot « theatron » qui donnera plus tard « théâtre » en français voulait dire « contempler ». Le théâtre est d’abord créé dans le but de faire participer tous les citoyens à une manifestation religieuse et de leur apprendre à respecter les dieux et le destin intransigeant. Les mythes sont souvent repris dans les tragédies grecques tels que le mythe d’Electre dans Les Euménides d’Eschyle, Electre d’Euripide et Electre de Sophocle. D’ailleurs, il nous est possible de remarquer que les « pièces à lire » n’apparaissent que récemment, au cours du XIXème siècle avec des auteurs romantiques comme Musset avec son Lorenzaccio ou encore Hugo avec Cromwell. Dans chaque pièce de théâtre, en parallèle avec les répliques se présentent les didascalies qui sont des indications soit pour l’espace scénique soit pour le jeu de l’acteur. Cette présence traduit la volonté des auteurs que leurs œuvres soient mises en scène. Pour le cas des pièces qui ont peu de didascalies comme chez Molière ou Racine, on apprend que ce n’est pas du à une volonté d’écrire une pièce à lire mais parce qu’ils sont eux-mêmes des metteurs en scène pour leurs pièces. Le spectateur est d’ailleurs considéré comme un des acteurs indispensables au théâtre, sans lequel il n’y aura pas de théâtralité. La mise en scène permet de voir en concret l’espace scénique. Elle offre au spectateur une des visions possibles de l’œuvre. Les objets théâtraux ont tous des significations importantes qui permettrent de mieux comprendre l’œuvre. Dans la mise en scène de La visite de la vieille dame de Durrenmatt par Rudolph Straub, les changements entre scènes sont visibles pour les spectateurs. Au milieu de la pièce, il y a trois changements de scènes consécutives qui utilise les mêmes espaces pour représenter trois lieux différents. La reconnaissance des lieux se fait tout simplement par des objets théâtraux comme la croix qui représente la maison du curé, le plan de la mairie qui fait allusion au maire, ou encore un révolver qui fait directement penser au gendarme. Ainsi, non seulement on distingue trois lieux différents grâce à l’intervention d’un seul objet caractéristique, mais cette façon de construire l’espace de jeu fait comprendre aussi que ces trois hommes sont finalement des êtres de même nature : ils sont préoccupés par les intérêts personnels de façon semblable et seule leur fonction dans la société les distingue. La façon de mettre en scène le décor et les objets théâtraux peut révéler ce que le metteur en scène a compris dans le sens de l’œuvre, dans le message que l’auteur a voulu transmettre dans sa pièce. La question de la voix au théâtre est un élément très important également. La musicalité des vers, des mots, et le rythme des réplique sont mis en valeur au théâtre, ce qui ne peut être obtenu dans une lecture individuelle (1). La ponctuation dans les textes peut être respectée au gré d’un service de l’auteur ou bien modifiée pour que le texte puisse être mis au service du travail du metteur en scène et de son équipe. Le metteur en scène peut désirer respecter la ponctuation mise en place par l’auteur, comme c’est le cas de Lambert Wilson qui a mis en scène Bérénice de Racine. Influencé dès son adolescence par « la sensualité, la volupté de la voix » due à « la prononciation des vers de Racine », il veut que la diction des vers raciniens par les acteurs soit aussi précise que s’ils étaient des musiciens face à une partition. Le second cas est repérable dans la mise en scène de Phèdre de Racine par Patrice Chéreau, où les vers sont prononcés naturellement, sans respect des césures entre hémistiches et des arrêts en fin de vers. Chéreau entend par cette forme de diction rendre le sens des répliques plus compréhensible aux lecteurs. Le rôle de l’acteur est de rendre vivant l’âme des personnages à travers des répliques et les gestes. Représenter une pièce, est en même temps la rendre actuelle aux yeux du spectateur par le biais de l’image et du son. Il s’agit d’une recréation de l’œuvre, une réapparition après certaines transformations par le metteur en scène et son équipe. La représentation s’avère être aussi importante que la lecture pour aborder une pièce de théâtre. Ne serait-il pas plus intéressant de les voir en tant qu’éléments complémentaires que de les considérer comme deux antagonistes ? La combinaison entre lecture et représentation promet la meilleure réception d’une œuvre théâtrale. Lecture et représentation ne sont pas du tout incompatibles et de plus chacune apporte de son côté des éléments pour mieux appréhender une pièce de théâtre, et de plus, le texte et la représentation sont tous deux des créations extrêmement riches. Tout d’abord, les « pièces à lire » ne sont pas forcément difficilement représentables. Bérénice est une pièce que Gilles Aillaud pense être destinée à être lue plutôt qu’à être représentée, et pourtant les représentations de Bérénice ont connu beaucoup de succès, avec des metteurs en scènes qui travaillent de façon totalement différente. Pour certaines pièces écrites pour être lues comme l’a indiqué leurs auteurs, tels que Lorenzaccio de Musset, il y a eu quand même des tentatives de mises en scènes comme celle de Jean-Pierre Vincent en 2000, qui n’ont pas du tout connu d’échec. Cela montre que même si certaines pièces paraissent plus conformes à la lecture qu’à une représentation, il est toujours possible d’aborder une pièce par les deux voies. Des relectures en compagnies de plusieurs représentations permettent de ressentir à chaque fois un nouvel éclaircissement sur un point précis. Il est impossible de faire attention à tout à la fois, vu que dans l’œuvre, les champs lexicaux, les figures de styles et des allusions présentés sont extrêmement riches et que sur scène, la lumière, le décors, les objets puis le jeu des acteurs et leur diction forment également un ensemble très abondant. La lecture et la représentation sont complémentaires et forment sans doute l’outil le plus puissant et efficace pour guider le spectateur-lecteur dans l’œuvre. Il serait dommage que la découverte d’une oeuvre théâtrale soit réduite seulement à la lecture ou bien seulement à la représentation. Avoir la possibilité d’être en contact avec les deux, surtout de façon continuelle, est une chance pour les spectateurs de contempler une « double création ». La première est celle de l’auteur au niveau de la beauté de l’écriture. Quant à la seconde, elle résulte du travail du metteur en scène et de toute son équipe au niveau de la mise en scène. Ces deux travaux se différencient de plus en plus notamment avec les metteurs en scène contemporains qui cherchent à se distinguer véritablement de l’auteur. Ils sont plus nombreux à se servir du texte dans leur travail (2) comme dans la mise en scène de Bérénice par Fisbach et Montet qui utilise le texte comme un fond pour l’expression du corps des danseurs, ainsi qu’une traduction de texte en hébreux qui correspondraient au côté étranger de Bérénice à Rome. A côté du travail de l’auteur qui est reconnu comme véritable création, nous pouvons aujourd’hui appeler également des mises en scène par « recréation ». Les représentations d’une pièce varient énormément selon le travail des metteurs en scène car chacun y apporte même inconsciemment quelques choses de soi. Dans sa mise en scène de Bérénice, Lambert Wilson dispose dans le décor un portrait écrasant de Vespasien pour renforcer le mythe du père dont Titus essaie désespérément de se débarrasser. Lambert Wilson lui-même cherche à sortir de l’ombre de son père Georges Wilson, célèbre metteur en scène du théâtre français. Suite à la lecture de Bérénice, le fait d’aller voir des représentations différentes peut nous offrir plus de chances d’avoir différentes visions sur la pièce. Finalement, si la lecture offre plusieurs avantages tels que l’absence des contraintes temporelles, la possibilité d’entamer une étude profonde sur la beauté de l’écriture ou encore la liberté d'imaginer des dispositions et des personnages dans une pièce de théâtre, la représentation permet également de son côté plusieurs approches intéressantes. La lecture crée une certaine intimité entre le lecteur et l’auteur. Quant à la représentation, elle a été le but primaire à la naissance du théâtre. Elle amène non seulement la possibilité de visualiser des espaces scéniques et des jeux concrètement mais aussi celle d’entendre la musicalité des répliques avec toutes les assonances et allitérations. Représenter permet donc une création de rapport scène-salle. Pour pouvoir transmettre entièrement la beauté d’une œuvre au destinataire, il serait plus intéressant de concevoir ces deux voies comme complémentaires, afin de créer une voie plus grande, plus accessible et plus abondante menant à la découverte d’une œuvre théâtrale. Ainsi, le destinataire de l’œuvre est invité à savourer une double création artistique, tout en approchant plus facilement le sens d’une oeuvre. Mais on ne peut pas nier le fait que la participation à une lecture et à une représentation est radicalement différente, tant par les sens qu’elles mobilisent que par la stabilité de la création. Nous voulons parler du fait qu’un texte théâtral produit sur support papier reste fixe et peut être reproduite. Il est donc possible de le reprendre, de retravailler dessus quand le lecteur le désire. Cela n’est pas possible quant à une représentation car chaque représentation est unique et même avec la nouvelle technologie, on n’arrive pas à fixer une représentation de façon qu’elle puisse se reproduire car la captation en vidéo supprime en effet toutes les véritables sensations dues au rapport scène-salle (3).

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