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Dissertation: Sans autrui, puis-je être humain ?

Publié le 22/02/2012

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   L'homme est, tout au long de sa vie, entouré par cette présence, parfois indésirable, parfois inquiétante : autrui. Notre société, comme celles des singes dont l'homme est le lointain héritier, tend à codifier les rapports que nous avons avec nos congénères, et on finit par définir l'homme comme un animal sociable. La question se pose alors de savoir si l'on peut être humain sans autrui. Peut-on réellement maintenir notre humanité sans les autres. Ou sont-ils indispensables ? D'ailleurs, quand peut-on réellement parler d'absence d'autrui ?    Les ermites ont choisi de vivre seuls, éloignés de leurs congénères, exilés volontaires de la société. On les appelle souvent « sages «. Or s'ils le sont, c'est bien qu'ils sont humains : la sagesse est bien souvent considérée comme le principal attribut de l'homme.    Sans nécessairement que nous soyons ermites, il nous est tous arrivé de désirer nous retirer quelque temps, nous isoler de la présence d'autrui, pour « réfléchir «. Si autrui nous empêche de réfléchir, il est alors plus un obstacle qu'un adjuvant à notre humanité !    De plus, autrui ne cesse d'être pour nous un objet d'émotions : de haine, de colère, ou de passions : d'amour. Autant de sentiments qui nous éloignent de la pure pensée que l'on fait fréquemment passer pour caractéristique humaine.    À ce titre, l'homme est un perpétuel obstacle pour l'humanité, rester humain malgré autrui est un perpétuel combat.    L'homme naît bon et c'est la société qui le corrompt, pensait Jean- Jacques Rousseau. Or qu'est-ce que la société si ce n'est les autres ? Et qu'est-ce que corrompre un homme, sinon lui retirer son humanité ? Qui est responsable des crimes, de tout ce que l'on qualifie d'« inhumain «, d'« animal « ? Autrui, naturellement. 

   Par ailleurs, l'homme est un animal plus individuel que communautaire : sûr de sa propre individualité, il estime ne pas avoir besoin de ses congénères pour la conserver, pour rester humain. Peut-être est-ce par egocentrisme, mais tout de même nos relations avec la majorité des personnes que nous croisons se limitent à une froide indifférence. Comment pourrait-elle entretenir notre humanité ?    Autrui est celui qui, par sa propre subjectivité, ne cesse de nous transformer en objet. Autrui est celui qui me vole ma liberté, dit  Jean-Paul Sartre. D'humain, je deviens simple objet dans sa conscience, et il m'empêche d'être réellement un humain. 

   Mais tout de même, dire qu'autrui est responsable du caractère inhumain de l'homme est plutôt une manière de se déculpabiliser de nos vices. De plus, quoi de plus humain que l'émotion quoi de moins animal ? Et autrui joue bien d'autres rôles dans notre vie…    Quel est notre premier contact avec autrui ? Nos parents, notre mère surtout. Ce sont nos parents qui nous apprennent à parler. Et la parole définit l'homme : nos parents nous apprennent donc à être humain. Les enfants élevés par des loups montrent que de ce point de vue l'acquis est plus important que l'inné : ils se comportent bien plus en loups qu'en hommes. À ce sujet, Henri Piéron écrit : « un enfant est un candidat à l'humanité, mais il n'est qu'un candidat. « Nos parents nous sont des intermédiaires indispensables pour que nous puissions devenir humains.    Le Robinson de Michel Tournier, seul sur une île déserte, illustre parfaitement à quel point autrui ne cesse jamais de nous être nécessaire pour rester humain. Le côté animal, que représente la souille, ne peut être écarté que par la création d'un ersatz de société ; Robinson crée une présence d'autrui imaginaire, en personnifiant l'île, ou en lui donnant des habitants fictifs, en se nommant « gouverneur «. Ce n'est qu'avec l'arrivée de Vendredi que l'humanité triomphera définitivement.    Autrui nous est de surcroît sans cesse nécessaire pour nous rappeler à la réalité, pour nous sortir de cette tour d'ivoire de pensées ou nous nous enfermerions. Seul la distraction qu'il nous occasionne peut nous aider à percevoir le monde réel. Même les rivalités nous sont dans ce sens bénéfiques, en ce qu'elles nous permettent de garder les pieds sur terre. Robinson écrit lui-même que l'absence d'autrui suffit « à me repousser aux confins de la vie, dans un lieu suspendu entre ciel et enfers, dans les limbes en somme… «    La communication est nécessaire au maintient de l'intelligence humaine, et même de sa conscience. Cependant, communiquer avec nous-mêmes, avec les arbres ou les minéraux, n'est pas chose aisée. Preuve encore que la présence d'autrui est indispensable pour notre conscience, et notre humanité.    D'ailleurs, quand peut-on réellement parler d'absence ? Y a-t-il une situation ou nous serions totalement isolés d'autrui, non seulement physiquement mais, même mentalement ? Il faudrait pour cela une fort longue absence, longue jusqu'à l'oubli ; ou bien que nous n'eussions jamais connu nos semblables… Peu probable. En effet, autrui ne cesse d'habiter nos pensées, notre mémoire. Si nous pouvons certes nous éloigner des êtres physiques qui nous entourent, quitter cet autrui du passé qui loge en notre esprit se montre plus difficile !    Similairement, la lecture, à laquelle même Robinson ou le capitaine Némo ont recours, est une manière d'avoir autrui continuellement auprès de nous, par papier interposé. Les auteurs sont à demi présents : ils nous apportent leur pensée, leur côté humain, sans pour autant nous imposer leur présence.    Il nous faut en conséquence revoir ce que nous entendons par « sans autrui « : s'il est clair qu'une privation de compagnie dès sa naissance « déshumanise « l'homme, seule une très longue absence, ou une absence à laquelle on n'envisage pas de terme, peut produire le même effet, ainsi qu'à Robinson. On peut alors réellement affirmer que, sans autrui, je ne peux pas être humain, mais en prenant le mot « sans « au sens fort.    On peut donc dire que la présence d'autrui, même si elle est quelquefois gênante, est indispensable pour rester humain ; cependant, il convient de prendre le mot « présence « dans un sens plus restreint que celui d'une perpétuelle proximité, ou d'une communication incessante. Le simple souvenir de certains peut être bien plus profitable que la présence d'autres. Ceci soulève naturellement la question des relations que nous entretenons avec autrui. On peut aussi se demander si c'est la société humaine qui nous apparaît comme nécessaire, ou bien certains individus qui la composent. 

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