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Le Droit administratif

Publié le 04/12/2012

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L E DROIT ADMINISTRATIF ENTRE SCIENCE ADMINISTRATIVE ET DROIT CONSTITUTIONNEL PAR J acques CHEVALLIER Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2) Directeur du C. U.R.A.P.P. Traiter des mutations du droit administratif n'est simple qu'en apparence; encore faut-il savoir ce qu'on entend par "droit administratif'. En tant que branche du droit, le droit administratif se présente comme un corps de règles dotées d'une spécificité au moins relative au sein de l'ordre juridique: selon que cette spécificité sera rapportée, soit à l'objet auquel elles s'appliquent (l'administration), soit à leur contenu intrinsèque (contenu exorbitant du droit commun), on sera confronté à une définition large ou étroite; et le diagnostic qu'on sera amené à porter sur l'évolution en cours sera dans les deux cas fort différent. Mais le droit administratif peut aussi être envisagé, d'un point de vue sociologique, comme un champ de production juridique spécialisé, caractérisé par une certaine cohésion et disposant d'une autonomie au moins relative; l'existence d'un droit administratif est indissociable de la création d'un juge spécial, le juge administratif, qui a contribué à forger des règles particulières ; et l'intervention de professionnels chargés de l'interprétation et de la diffusion des solutions jurisprudentielles a contribué à transformer le droit administratif en une oeuvre systématique et cohérente. Dans cette seconde perspective, l'analyse des mutations du droit administratif consiste à s'interroger sur le déplacement des positions des professionnels de ce champ dans la hiérarchie des producteurs de savoirs juridiques. Ces deux facettes du problème sont en fait indissolublement liées, si l'on admet que l'autonomisation d'une branche du droit n'est jamais l'expression d'une nécessité objective et d'une logique purement interne au droit: produit d'un certain état des pra- 12 LE DROIT ADMINISTRATIF EN MUTATION tiques et des représentations sociales qu'elle concourt à objectiver!, en la traduisant dans le langage du droit, elle est aussi le reflet des stratégies corporatives déployées par les professionnels concernés pour asseoir leur autorité dans le champ juridique et social ; les équilibres réalisés étant par essence instables et variant en fonction de multiples paramètres, on assistera à la réévaluation incessante des découpages disciplinaires et des positions respectives occupées par les spécialistes des différentes branches du droit. La place du "droit administratif", entendu ainsi à la fois comme corps de règles et corps de professionnels, dépend d'une double détermination: d'une part, il subit, en tant que savoir juridique, la concurrence d'autres savoirs relatifs à l'administration; d'autre part, il est amené, en tant que savoir juridique spécialisé, à se situer par rapport aux autres branches du droit. C'est dans/par la relation duale entretenue avec, d'un côté la science administrative, de l'autre le droit constitutionnel, que le droit administratif acquiert sa véritable dimension. Dans l'histoire du droit administratif ces aspects sont en fait indissociables : l'imposition progressive de la grille de lecture juridique pour expliquer le phénomène administratif a coïncidé en effet avec une suprématie conquise au sein du droit public; l' "âge d'or" du droit administratif est marqué par sa reconnaissance à la fois comme savoir total, voire exclusif, sur l'administration et comme noyau central, voire fondateur, du droit public (1). L'évolution récente se caractériserait par un mouvement de reflux sur ces deux plans : tandis que la capacité explicative et l'efficacité pragmatique du droit administratif sont fortement remises en cause, l'essor spectaculaire du droit constitutionnel semble le ramener à une position plus modeste, voire subordonnée, au sein de l'ordre juridique; disqualifié comme savoir technique, indispensable au bon fonctionnement administratif, le droit administratif se trouve au même moment, par une coïncidence troublante, supplanté dans la hiérarchie des savoirs juridiques (II). Si cette analyse comporte une part de vérité, elle mérite cependant d'être fortement nuancée: tandis que la vision de l' "âge d'or" du droit administratif est largement factice et tend à prendre au pied de la lettre les discours autojustificateurs des intéressés, la thèse d'un droit administratif en crise, et menacé d'implosion, apparaît illusoire: non seulement le droit apparaît pour l'administration plus que jamais comme une contrainte incontournable, à l'heure où le discours de l'Etat de droit insiste sur les vertus de la médiation juridique, mais encore la constitutionnalisation progressive du droit administratif, loin de signifier la mort de celui-ci, lui confère sans doute des points d'appui plus solides. A cet égard, la victoire du "droit constitutionnel", décrite par certains thuriféraires du Conseil constitutionnel, apparaît plutôt comme une victoire à la Pyrrhus, dans la mesure où elle est assortie d'une dérive des significations originaires. 1. Voir la démonstration faite par H. Kelsen du "caractère idéologique de la distinction droit privé-droit public" (Théorie pure du droit, 1934, 2ème éd., Dalloz 1962, pp. 372 s. SCIENCE ADMINISTRATIVE ET DROIT CONSTITUTIONNEL 13 1 - L'HÉGÉMONIE DU DROIT ADMINISTRATIF L'idée selon laquelle le droit administratif a été jusqu'à une période récente la discipline-reine, autour de laquelle gravitaient tous les savoirs administratifs et se trouvait polarisé le droit public entier, est devenue un véritable lieu commun. Les explications de cette suprématie sont nombreuses : le prestige d'un Conseil d'Etat ayant résisté à toutes les secousses et construisant de toutes pièces un droit spécifique ; la continuité administrative s'opposant à la discontinuité constitutionnelle; l'accent mis sur les garanties juridiques et l'exigence de limitation de l'Etat par le droit; mais aussi l'enracinement profond d'un droit apparu sous la Monarchie absolue, qui elle-même n'avait fait que laïciser certaines techniques administratives de l'Eglise. Cette thèse doit être cependant assortie de certaines nuances et correctifs : l'hégémonie du droit administratif, entretenue par la faiblesse constitutive du droit constitutionnel qui lui permet d'apparaître comme le noyau dur du droit public, ne s'établit réellement qu'à la fin du XIXème siècle, lorsque la conjugaison d'une jurisprudence audacieuse et de travaux doctrinaux d'envergure lui confére ses lettres de noblesse ; jusqu'alors la juridiction administrative avait été l'objet d'une contestation permanente 2 , au point que son existence était apparue à plusieurs reprises menacée, et les controverses renaîtront encore périodiquement au cours du XXème siècle 3 o Par ailleurs, cette hégémonie, lentement conquise (A) comporte des zones de fragilité (B). A) Affinnation L'hégémonie du droit administratif résulte de la consolidation progressive, tout au long du XIXème siècle, d'un champ que l'héritage impérial rendait pourtant vulnérable: le renforcement de l'indépendance du juge administratif et les progrès de la jurisprudence allaient se conjuguer avec un travail de systématisation doctrinal, débouchant sur la constitution d'une véritable discipline ; doté d'une solide armature jurisprudentielle et conceptuelle, le droit administratif pouvait prétendre ramener à lui une science administrative qui avait manifesté quelques velléités d'émancipation et apparaître comme l' élément stable du droit public. 1) La monopolisation des savoirs administratifs a) En dépit de ses racines historiques et de l'appui qu'il trouvait dans l'existence d'une juridiction administrative, la position du droit administratif est restée précaire jusqu'aux années 1870 : non seulement le droit administratif éprouve alors bien des difficultés à franchir les étapes lui permettant d'accéder au statut de "droit" à part entière, en confortant sa "juridicité", 2. Lochak (D.), "Quelle légitimité pour le juge administratif?", in Droit et politique, PUF 1993, p. 141. 3. Gentot (M.), Ibid, p. 153 et Caillosse (J.), "Sur les enjeux idéologiques et politiques du droit administratif. Aperçus du problème à la lumière du changement", AIDA 1982, p. 361. 14 LE DROIT ADMINISTRATIF EN MUTATION mais encore il se trouve concurrencé par d'autres savoirs sur l'administration; le droit administratif n'apparaît que comme un élément d'une science administrative plus vaste que le dépasse et l'englobe. Ces difficultés d'implantation du droit administratif dans l'univers juridique sont attestées par un ensemble de signes. D'abord, la persistance des attaques contre le juge administratif, dont l'indépendance par rapport au pouvoir est suspectée et qui n'est pas considéré, notamment par les libéraux, comme un véritable juge: très vives sous la Restauration, ces attaques reprendront de plus belle à la fin du Second Empire, au nom de la lutte contre l'''étatisme" ; mais au milieu des années 1890 encore, des propositions visant à la suppression de la juridiction administrative seront présentées 4 o Ensuite, les vicissitudes de l'enseignement du droit administratif dans les facultés de droit: la chaire de droit administratif5 créée à la faculté de droit de Paris par l'ordonnance du 21 mars 1819 au profit de Gérando sera supprimée pour raisons politiques le 6 septembre 1822, avant d'être rétablie en 1828 par le gouvernement libéral au profit du même Gérando (suppléant: Macarel) ; des chaires seront ensuite créées à Caen, Toulouse etc ... mais le mouvement ne s'achèvera qu'au cours des années 1840 et la place de l'enseignement dans le cursus universitaire sera fluctuante. La conception qui a présidé à la création des écoles de droit en 1804, écoles destinées à préparer aux professions judiciaires et dont l'enseignement sera centré sur l'étude du code civil, reste dominante : l'enseignement dispensé dans les facultés de droit est tourné essentiellement vers le droit privé ; et le droit administratif reste considéré comme une discipline marginale, dont la juridicité est sujette à caution. Enfin, le travail de systématisation de la nouvelle discipline ne s'effectuera que très progressivement: les premiers ouvrages à destination des étudiants , et notamment6 celui de Gérando 7 , restent conçus sur le mode de la compilation puis de la divulgation de la jurisprudence 8 ; ce n'est qu'à partir des années 1860 qu'une organisation plus rationnelle de la matière est esquissée, la notion d"'administration publique" devenant alors la "notion fondatrice" permettant de tracer les contours de la discipline et d'ordonner les développements 9 o 4. Voir Burdeau (F.), "Les crises du priucipe de dualité de juridictions", RFDA 1990, nO 5, pp. 724 ss. 5. L'expression "droit administratif' figure en 1807 dans le "projet d'instruction" élaboré par les inspecteurs généraux des facultés de droit; en 1805 est seulement créée à l'école de droit de Paris uu enseiguement de "droit civil dans ses rapports avec l'administration publique". 6. Voir déjà le Cours de législation administrative de Portiez de l'Oise (1808), qui avait été chargé d'enseigner, en 1805, lors de l'ouverture de l'école de droit de Paris, "le droit civil dans ses rapports avec l'administration publique" (voir Mestre (J.-L.), "Aux origines de l'enseignement du droit administratif: le "Cours de législation administrl!tive" de Portiez de l'Oise", RFDA 1993, nO 2, pp. 239 ss). 7. Institutes du droit administratif français ou éléments du Code administratif, 4 vol., 1ère éd: 1829-1836, 2ème éd: 1842-1846. 8. Macarel a été dès 1818 le premier véritable analyste de l'oeuvre jurisprudentielle du Conseil d'Etat; le recueil des arrêts du Conseil d'Etat est fondé en 1821. 9. Gugliehui (G.-J.), La notion d'administration publique dans la théorie juridique française. De la Révolution à l'arrêt Cadot (1789-1889), LGDJ 1991, pp. 287 ss. SCIENCE ADMINISTRATIVE ET DROIT CONSTITUTIONNEL 15 Parallèlement, et même si la majorité des ouvrages qui traitent de l'administration ahordent celle-ci sous l'angle du droit, l'analyse dépasse le seul plan de l'étude des textes et de la jurisprudence, pour s'intéresser à l'organisation et au fonctionnement de l'administration puhlique lO o Le droit administratif se trouve alors inséré dans une perspective large: ce n'est qu'un élément parmi d'autres ll d'une "science administrative", dont l' amhition est vaste 12 ; dans la voie tracée au déhut du siècle par C.J. Bonnin, il s'agit en effet de remonter aux "principes" qui sous-tendent l'action administrative. Le droit administratif apparaît comme un élément constitutif d'une science administrative, science "sociale" au sens fort du terme et "totale", puisqu'elle entend maîtriser l'ensemhle des données sociales de l'action administrative, à l'aide des instruments d'investigation les plus divers, et notamment des statistiques; et c'est cette science administrative-là qu'on cherche à enseigner aux futurs fonctionnaires 13 . h) A partir des années soixante-dix, l'optique change. D'une part, le droit administratif a conforté ses assises: le renforcement, pratique mais aussi symholique - par l'octroi de la justice déléguée en 1872 -, de l'indépendance du Conseil d'Etat l4 comme le développement du contrôle juridictionnel, notamment par le hiais du rencours pour excès de pouvoir, ont diminué les préventions contre la justice administrative; l'enseignement du droit administratif se développe, en profitant du mouvement d'ouverture et de diversification progressive des études juridiques15 ; enfin, la parution du Traité de la juridiction et des recours contentieux d'E. Laferrière 16 , succédant aux premiers grands traités des années 1860 (Dufour, Serrigny, Dareste, Ducrocq, Bathie ... ), marque le point de départ d'une véritahle science du droit administratif, transformé en une construction logique, cohérente, ordonnée. Dans la voie ouverte par Laferrière, sont puhliés une série de "manuels"17 ; qui modifient 10. Burdeau (F.), "Les tribulations de la science administrative en France. Essai d'explication", Mélanges Langrod, Editions d'organisation 1980, pp. Il ss. Il. Burdeau (F.), Histoire de l'administrationfrançaise du XVIlIème au XXème siècles, Montchrestien 1989, pp. 299 ss. 12. Comme le dit Macarel, "La science administrative a pour but de rechercher à la source méme des besoins, les règles de la vie pratique des nations, les principes généraux qui doivent les régir". De même pour Vivien, "la science administrative a pour point de départ la société tout entière; elle recherche et proclame les règles qui peuvent en assurer le bien-être et la prospérité". 13. Voir le projet Salvandy de création de facultés de sciences politiques et administratives en 1845 - projet auquel s'opposeront les facultés de droit -, puis l'expérience très brève de l'école d'administration en 1848. 14. Chevallier (J.), L'élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l'administration active, LGDJ 1970. 15. Les décrets du 28 décembre 1880 et du 24 juillet 1884 augmentent l'importance du droit public et de l'économie politique, dont l'enseignement a été rendu obligatoire en 1877. Voir Gatti-Montain (J.), in L'administration dans son droit, Publisud 1985, pp. 121 ss et Le système d'enseignement du droit en France, PUL 1987. 16. Voir Gonod (P.), Edouard Laferrière : un juriste au service de la République, Thèse Paris l, janvier 1992 (multig.). 17. Le premier est le Précis de droit administratif de M. Hauriou de 1892. 16 LE DROIT ADMINISTRATIF EN MUTATION la didactique de la discipline, en fixant le cadre conceptuel qui est désormais le sien 18 : le droit administratif apparaît alors comme une branche du droit à part entière, répondant pleinement aux critères de la juridicité. Corrélativement, la science administrative tend à être reléguée au rang des accessoires inutiles. Les tentatives de constitution d'une science administrative dépassant le seul point de vue juridique et capable d'intégrer l'ensemble des savoirs utiles aux administrateurs échoue: les gouvernants y étaient hostiles; les libéraux la considéraient comme une séquelle de l'ancienne "science de la police", dont les premiers auteurs, et notamment Gérando, restaient fort imprégnés, et comme un vecteur d'étatisme l9 ; quant aux facultés de droit, déjà soupçonneuses vis-à-vis du droit administratif, elle resteront résolument hostiles à l'introduction d'une perspective autre que juridique dans leurs enseignements. On sait qu'elles ne parviendront pas à prendre suffisamment à temps le tournant des sciences sociales : la sociologie leur échappera, en passant du côté des facultés des lettres ; et les sciences administratives et politiques seront enseignées en dehors de leur enceinte et de l'Université20 , au sein de l'école libre des sciences politiques créée par E. Boutmy en 1871 21 o Le seul savoir légitime sur l'administration est désormais d'ordre juridique, et plus précisément contentieux : les quelques auteurs qui, comme Firmin Laferrière ou Léon Aucoc préconisent la persistance d'un point de vue large se retrouvent isolés ; la production scientifique se concentre sur l'étude approfondie de la jurisprudence. La science administrative se ramène au droit administratif avec lequel elle se confond et dans lequel elle s'épuise: comme la science administrative, la science du contentieux est conçue comme une "science de l'action", destinée à guider les administrateurs; le seul changement, c'est que cette action est dorénavant exclusivement commandée par l'impératif juridique et que c'est le Conseil d'Etat qui est appelé à définir collectivement, par ses arrêts, les préceptes à suivre. "De l'administration, on veut voir désormais uniquement ou presque l'image qu'en reflètent les arrêts du Conseil d'Etat"22. Prenant place parmi les savoirs juridiques légitimes, le droit administratif tire parti de cette reconnaissance pour établir son monopole sur les savoirs administratifs, en refoulant et en invalidant les points de vue concurrents, auxquels l'essor des sciences sociales pouvait pourtant conférer une nouvelle autorité. 18. Voir Lavigne (P.), "Les manuels de droit administratif pour les étudiants des facultés de 1829 à 1922", Annales d'Histoire des facultés de droit, 1985, nO 2, pp. 125 ss. 19. La critique acerbe que M. Hauriou fait de C.J. Bonnin (in "Droit administratif", Répertoire Béquet 1897) est symptomatique: pour Hauriou, Bonnin était "de l'espèce redoutable des idéologues qui réduisent tout en idées abstraites et mettent ces idées au service de la force pure"; dans cette perspective, "le droit n'existe pas, il n'y a que la loi, elle-même oeuvre d'un gouvernement autoritaire". 20. Leur opposition avait eu raison des différentes velléités de création de "facultés de sciences politiques et administratives". 21. Voir Favre (P.), Naissances de la science politique en France (1870-1914), Fayard, Coll. L'Espace du politique, 1989, pp. 67 ss. 22. Burdeau (F.), Mélanges Langrod prée. SCIENCE ADMINISTRATIVE ET DROIT CONSTITUTIONNEL 17 Cette montée en puissance du droit administratif lui donne une position centrale au sein du droit public. 2) La structuration du droit public a) La construction du droit administratif s'est faite de manière autonome, par le jeu d'une dynamique propre. Néanmoins, le problème des rapports avec le "droit public" s'est immédiatement posé, notamment sur le plan didactique: c'est un enseignement de "droit public général" et de "droit civil dans ses rapports avec l'administration publique" qui est introduit par la loi du 22 ventôse an XII ; et la chaire qui est créée au p...
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« 12 LEDROIT ADMINISTRATIF ENMUTATION tiques et des représentations sociales qu'elle concourt àobjectiver!, en la tra­ duisant dans lelangage du droit, elle est aussi le reflet des stratégies corpora­ tives déployées par les professionnels concernés pour asseoir leur autorité dans le champ juridique et social ;les équilibres réalisés étant par essence instables et variant en fonction de multiples paramètres, on assistera àla réévaluation incessante des découpages disciplinaires et des positions respec­ tives occupées par les spécialistes des différentes branches du droit. La place du "droit administratif", entendu ainsi àla fois comme corps de règles et corps de professionnels, dépend d'une double détermination: d'une part, ilsubit, en tant que savoir juridique, la concurrence d'autres savoirs relatifs àl'administration; d'autre part, ilest amené, en tant que savoir juri­ dique spécialisé, àse situer par rapport aux autres branches du droit. C'est dans/par la relation duale entretenue avec, d'un côté la science administrati­ ve, de l'autre le droit constitutionnel, que le droit administratif acquiert sa véritable dimension. Dans l'histoire du droit administratif ces aspects sont en fait indissociables :l'imposition progressive de la grille de lecture juridique pour expliquer lephénomène administratif acoïncidé en effet avec une supré­ matie conquise au sein du droit public; l'"âge d'or" du droit administratif est marqué par sa reconnaissance àla fois comme savoir total, voire exclusif, sur l'administration et comme noyau central, voire fondateur, du droit public (1). L'évolution récente se caractériserait par un mouvement de reflux sur ces deux plans :tandis que la capacité explicative et l'efficacité pragmatique du droit administratif sont fortement remises en cause, l'essor spectaculaire du droit constitutionnel semble le ramener àune position plus modeste, voire subordonnée, au sein de l'ordre juridique; disqualifié comme savoir techni­ que, indispensable au bon fonctionnement administratif, ledroit administratif se trouve au même moment, par une coïncidence troublante, supplanté dans la hiérarchie des savoirs juridiques (II). Si cette analyse comporte une part de vérité, elle mérite cependant d'être fortement nuancée: tandis que la vision de l'"âge d'or" du droit administratif est largement factice et tend àprendre au pied de la lettre les discours auto­ justificateurs des intéressés, la thèse d'un droit administratif en crise, et menacé d'implosion, apparaît illusoire: non seulement le droit apparaît pour l'administration plus que jamais comme une contrainte incontournable, à l'heure où le discours de l'Etat de droit insiste sur les vertus de la médiation juridique, mais encore la constitutionnalisation progressive du droit adminis­ tratif, loin de signifier la mort de celui-ci, lui confère sans doute des points d'appui plus solides.

A cet égard, la victoire du "droit constitutionnel", décri­ tepar certains thuriféraires du Conseil constitutionnel, apparaît plutôt comme une victoire àla Pyrrhus, dans la mesure où elle est assortie d'une dérive des significations originaires. 1.Voir ladémonstration faite par H. Kelsen du "caractère idéologique de ladistinction droit privé-droit public" (Théorie pure du droit, 1934, 2ème éd., Dalloz 1962, pp. 372s.. »

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